La rue, quand on y plonge, elle vous suit partout. Peu d’endroit où elle ne vous mord pas jusqu’aux os. Vos mains, vos ongles, se noircissent, même s’ils restent tout le temps dans vos poches. Quand je suis remonté (par un petit miracle) de la galère, j’ai refusé de chauffer mon appartement de tout l’hiver. Me cailler était un luxe, celui de sentir que j’avais un toit et que je pouvais me réchauffer facilement sous mes couettes. J’en avais besoin pour me raccrocher à la vie, pour profiter d’un véritable bonheur simple et retrouver la fierté de ne pas être de celles et ceux dont l’indifférence (ou la haine, car vous en voyez des gens vous insulter dans cette situation) m’a meurtri.
On ne dit pas assez que le minimum donné pour survivre est l’acceptation sociale de la mort à petits feux. C’est d’une violence inouïe. Et encore, quand on le touche ce minimum. Hors institution, on accepte que vous soyez mort. On aimerait simplement ne plus vous voir. Les personnes extra-ordinaires sont rares (mais elles vous laissent un souvenir impérissable). Croyez-moi, c’est bien souvent, et pour ma sociabilité, le cerveau sur off que je navigue maintenant dans la société des biens-portants.