• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


En réponse à :


M (---.---.107.234) 5 août 2006 01:54

Vu mon histoire personnelle, je me sens fortement « interpelée » par ce sujet. J’ai moi-même subi deux agressions sexuelles, une quand j’étais très petite enfant et une autre à l’adolescence. Les faits ne sont pas comparables, la violence physique n’a pas été la même les deux fois et je pense que la première pourrait être qualifiée de viol alors que pas la seconde. Vous êtes plusieurs à avoir parlé de « degré » de viol, de traumatisme etc. Cela me choque énormément. Une violence est une violence, et même si les faits n’ont pas la même ampleur, le traumatisme et la souffrance qui en résultent sont terribles. Il ne s’agit pas de proportionalité. On n’est pas là pour classifier et dire que telle personne a plus souffert que telle autre. La souffrance est là, et je veux bien croire que l’agression subie par Daniel Milan a dû être aussi traumatisante que ce que j’ai vécu. Quel est l’intérêt de classifier les souffrances ? Est-on plus à plaindre et plus intéressant si on a plus souffert ? La seule chose importante est maintenant d’arriver à avancer avec ses croix et à réussir à vivre avec tout cela. Je pense cependant que le violeur doit encourir une peine plus élevée que le « simple » agresseur. Parce que les répercussions psychologiques se font sentir dans beaucoup de domaines de la vie privée. Parce que des années après, même avec un mari aimant et attentionné, la vie sexuelle est bouleversée. Une personne qui a subi une agression violente mais non sexuelle ressent sûrmeent une grande peur dans certaines situations, mais je ne pense pas que sa vie privée envers la personne qu’il aime le plus au monde puisse être détruite comme l’est celle d’une personne qui a été violée. D’où, je trouve, la différence de traitement qui doit s’établir entre les agresseurs et les violeurs.

Je voulais aussi en revenir à la question posée par Benjamin et dans certains commentaires sur la culpabilité et le silence des victimes. Je ne vais pas ici faire un cours, et je ne peux que parler de ma propre expérience - je n’ai pas dénoncé mes agresseurs, je n’en ai jamais parlé à qui que ce soit de ma famille (même des années après, je ne le peux pas) et j’en ai encore honte (bien que je travaille dessus et que je sache que c’est idiot d’avoir honte, c’est un fait et je fais avec). Je crois que plusieurs phénomènes entrent en compte :

1. Le poids de la société est effectivement très lourd. J’ai peur d’être accusée d’« avoir allumé » l’agresseur (par lui et par les autres). Ben oui, exactement comme le dit si bien Benjamin, c’est un homme sans histoire, beau, père de famille, intégré, avec un bon métier, ami de la famille qui plus est. Et ce n’est pas (contrairement à ce que j’ai lu dans certains commentaires que je trouve totalement hors de propos) une racaille, un musulman, un étranger, un homosexuel... Stoppez vos amalgames... Cela peut être n’importe qui ! J’ai eu aussi longtemps la peur qu’on ne me croie pas et qu’on me dise « elle prend ses désirs pour des réalités » ou qu’on m’accuse de dénoncer cet homme par dépit qu’il n’ait pas répondu à mes avances. Bon, qu’on soit clairs : je ne lui ai pas fait d’avances et il m’a fait du mal. C’est tout. Mais j’avais peur que la société ne me reconnaisse pas en tant que victime.

2. Il y a aussi la difficulté terrible, lorsqu’on porte plainte, de devoir tout raconter en détails. Revivre le viol une seconde fois. C’est trop dur, je suis peut-être lâche, mais je n’ai pas ce courage.

3. Il y a aussi une autre chose : cet homme possède une famille qui tient à lui et qui compte sur lui. Pour moi, le dénoncer, c’est détruire sa famille. Je ne pouvais pas prendre sur moi cette destruction, être responsable du malheur de sa femme, de ses enfants, de ses parents... Avec le recul, je vois bien que ça aurait été lui le seul vrai responsable, mais j’avais peur de croiser le regard et la haine de sa famille pour qui j’aurais été la méchante. Etre la faible qui n’a pas su se défendre, c’est déjà très dur. Mais en plus, devenir la méchante, non, c’est au-dessus de mes forces. Et c’est d’autant plus dur qu’on connaît la famille (je ne sais pas si c’est plus facile quand c’est un inconnu qui vous agresse). Mais il est vrai que je me suis demandé plusieurs fois si à cause de mon silence d’autres n’avaient pas été agressées (et là, c’est encore plus culpabilisant... On prend sur soi des responsabilités qu’on ne devrait pas prendre).

4. Comme quelqu’un le disait, il y a évidemment la question du « pourquoi moi ? ». Et quand ça nous arrive deux fois par des personnes différentes, on se dit que vraiment le problème vient de nous et pas de l’extérieur. Je ne suis pas jolie, je ne mets jamais de mini-jupes, alors c’est quoi mon problème ? En fait, avec le temps, j’en viens à croire que c’est ma faiblesse. Je pense qu’on lit en moi que je suis faible et que je ne saurai pas me défendre. Je ne sais pas. C’est culpabilisant en tout cas.

5. Le dernier facteur, j’en suis moins sûr, je l’avais entendu exposé par un psy sur France Inter il y a une dizaine d’années. Il disait qu’une chose très dure pour les victimes est d’avoir été passif. On est un objet et on a du mal à le vivre. En devenant tout à coup « coupable » plutôt que victime, on quitte la passivité pour redevenir acteur de notre vie. On n’est plus un objet mais de nouveau une personne. Et ce psy expliquait que c’était une réaction instinctive de l’inconscient pour s’autoguérir et nous aider à reprendre notre vie en main. Cela me paraît crédible. Mais c’est aussi très autodestructeur.

Voilà, je voulais partager (anonymement) cela avec vous. Je ne l’avais jamais fait jusque là, et ça me fait du bien d’en parler ici. Merci à Benjamin d’avoir lancé le sujet. Et merci à vous tous (sauf 1 ou 2) d’y avoir répondu avec tant de délicatesse , de décence et de respect.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON


Palmarès