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eau-du-robinet eau-du-robinet 6 décembre 2022 09:50

Les propos ci-dessous datent de 2018 ; ils ont été tenus par Henri Proglio dans un colloque, organisé par J-P Chevènement dans RES PUBLICA au sujet de la politique énergétique de la France, sujet d’actualité aujourd’hui.e

Je crois qu’ils n’ont rien perdu de leur pertinence

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"Je crois, Monsieur le ministre, qu’il y a un croisement de politiques qui non seulement ne sont pas cohérentes mais se contredisent. On ne peut pas dire qu’on en sorte pleinement convaincu.

Je n’ai pas pour habitude de tenir des discours très diplomatiques. Vous me pardonnerez d’être parfois un peu brutal.

Des politiques nationales de l’énergie, il en a existé, notamment en France.

Il y a soixante-dix ans le constat avait été fait que la France, ne bénéficiant pas de ressources énergétiques, était totalement dépendante de ses importations et qu’il était nécessaire de construire son indépendance énergétique, d’assurer la qualité des services et l’accès permanent de tous à l’énergie à un prix compétitif. C’est ce qui a guidé la France dans ses choix énergétiques de l’époque.

Ces choix ont été initialement marqués par l’hydraulique qui représente encore 12,5 % de la production d’électricité en France. Ce fut ensuite la grande aventure nucléaire qui a donné à ce pays un outil (le parc nucléaire français : cinquante-huit réacteurs, plusieurs en « construction éternelle ») et, à travers un opérateur initié et construit pour cela (EDF), l’électricité la plus compétitive d’Europe qui arrive au même prix dans tous les foyers, quelle que soit leur situation géographique, y compris dans les DOM-TOM. La France avait conquis son indépendance énergétique, un atout dont ne disposait aucun autre pays industriel, a fortiori européen.

Il y avait alors une politique, il y avait même un ministre de l’Énergie. Aujourd’hui, il n’y a plus de politique énergétique mais une politique de la « transition ». On mute, on transite, on essaye de détruire ce qui existe pour aller vers… quelque chose dont ni l’objectif ni même les grandes caractéristiques n’ont été définis. On a donc confié la « transition » à des ministres qui ne sont pas chargés de l’énergie.

Dans le même temps, un pays voisin qui, bien que n’ayant pas eu cette consistance, avait réussi sa politique industrielle, donc sa compétitivité mondiale à travers son industrie, a identifié un grand risque : son énergie électrique coûtait à peu près deux fois plus cher que l’énergie française. Or, dans la compétitivité des territoires, l’énergie allait jouer un rôle déterminant. Par conséquent, à défaut de résoudre son problème, il lui fallait a minima détruire la compétitivité du voisin. J’avais rencontré Mme Merkel en 2011 au moment de la décision sur l’Energiewende et de l’arrêt du nucléaire. Elle avait eu ces paroles dont je me souviendrai toute ma vie : « Allemande de l’Est, je suis totalement convaincue par le nucléaire. Mais j’ai besoin des Verts pour gagner les élections régionales et demain les élections nationales. Je sacrifie les industriels de l’énergie allemande à l’intérêt supérieur du Reich qui est d’avoir la CDU à la tête du pays ». On pouvait comprendre et j’ai parfaitement intégré la variable de la politique allemande.

Malheureusement, il n’y avait pas de politique française en face ! Pourtant, de temps en temps, on ajoute une disposition qui permet de continuer à détruire ce qui existe… « Oblige-t-on EDF à vendre son énergie à ses concurrents ? », demandiez-vous, Monsieur le ministre. Oui, bien sûr. Chaque jour on promeut un fournisseur d’énergie (Engie ou autre) qui vend de l’énergie 10 % moins cher présentée comme « verte » ! En réalité, ces fournisseurs vendent avec bénéfice l’énergie qu’ils achètent à EDF, en prétendant qu’elle est « verte » ! Il s’agit donc d’une subvention à la concurrence. En effet, le seul principe qui guide l’Europe : la concurrence fait le bonheur des peuples, balaie l’argument selon lequel nous avons un système qui est peut-être monopolistique mais qui est efficace !

Les barrages eux-mêmes doivent être mis en concurrence. Or les barrages ne servent pas à produire mais à stocker. Ils sont un élément d’optimisation du système électrique, une grande pile à combustible. L’énergie stockée est utilisée quand on en a besoin, quand les centrales nucléaires sont à l’arrêt, lors des pointes de consommation etc. Pourtant, l’Europe imposant la concurrence, nous sommes sommés de mettre les barrages en appel d’offres. J’ai résisté pendant cinq ans… Désormais soumis à concurrence les barrages vont nous être achetés pour la valeur de production et non pour la valeur d’utilité qui serait incommensurablement plus importante. On va donc désoptimiser le système électrique, augmenter le coût de revient… au détriment du consommateur qui, in fine, va payer.

Mais ce n’est pas tout. Parce que le monde regorge de liquidités, une surenchère folle sur les infrastructures aboutit à des taux d’intérêt négatifs. D’énormes liquidités ne savent pas où s’investir parce que les placements bancaires traditionnels ne sont pas rémunérés. Or ces liquidités appartiennent à des actionnaires qu’il faut rémunérer. Quoi de mieux que de les investir dans des infrastructures vitales qui s’amortissent sur des durées très longues et permettent des investissements massifs ? Les réseaux durent très longtemps, ils sont utilisables, comme les barrages, pendant cent ans. À condition de bien l’entretenir, un réseau peut s’amortir sur une durée très longue. Formidable opportunité de placement des fonds mondiaux d’infrastructures qui appartiennent à la finance mondiale, à des liquidités, à des trésoreries qui fluctuent etc. On va vendre des réseaux !


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