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W.Best fonzibrain 7 août 2008 21:13
Ce que ne comprend pas - ou ne veut pas comprendre - Ségolène Royal

par Jacques Cheminade

Nous publions cette page pour montrer, avec l’aide de François Rabelais, que la question de l’endettement et du remboursement des dettes se pose depuis très longtemps. Aujourd’hui, force est de constater qu’en acceptant le principe du remboursement de la dette existante, sans examiner ce qui en a été la cause, tout en prônant la réduction de l’endettement à venir sans définir aucun objectif réel, Ségolène Royal se place dans le camp de tous ceux qui ont spéculé sur la dette, c’est-à-dire de ceux qui ont dépouillé les Etats. Elle n’est pas la seule, hélas, et loin de là, mais le fait qu’elle le fasse est malheureusement significatif.

La réalité est que l’endettement de la France est passé de 229 milliards en 1980 à 1142 milliards en 2006, puis environ 1250 milliards actuellement.

On nous fait croire que cette augmentation (multiplication par cinq en 26 ans) serait due à l’incurie de l’Etat ou à la consommation excessive de certaines catégories de Français. Ce raisonnement, de type vichyste, est fait pour masquer la vérité, et ceux qui le font, consciemment ou non, deviennent les complices d’une oligarchie financière dont la ponction sur l’économie réelle produit aujourd’hui la pire crise de l’époque contemporaine.

Ce que Ségolène royal écrit sur la dette

« Dernier exemple, celui de la dette, sujet macroéconomique par excellence, que l’on a tendance à ne traiter que sous l’angle comptable et qui paraîtra le plus éloigné des sujets de ce chapitre. Ce n’est pourtant pas le cas. La réduction de la dette, ce n’est pas une priorité parmi d’autres, c’est une obligation. [c’est nous qui soulignons] La dette n’est pas un prétexte pour faire moins, c’est une obligation pour faire autrement. (...) Notre dette est le produit d’un système qui fonctionne mal, d’un Etat rigide ou de groupes de pression puissants.

« Si on ne remet pas en cause les règles du jeu, on ne réussira pas à faire baisser la dette. Il faut rompre avec une mauvaise habitude française : ne jamais remettre en cause les anciennes dépenses, et venir y empiler les nouvelles. La nouvelle règle du jeu, en ce domaine, est simple : 1 euro dépensé doit être 1 euro utile. Cela signifie très concrètement : ne pas engager de dépenses nouvelles sans économies sur les dépenses anciennes ; reconduire des dépenses anciennes seulement après évaluation de leurs résultats avec les usagers. Et surtout, un Etat efficace grâce à une nouvelle étape de décentralisation. »

Extrait de Si la gauche veut des idées, de Ségolène Royal et Alain Touraine, Grasset, 336 p., 20euros

La hausse de notre endettement, comme celle d’autres Etats, est en effet essentiellement due à un racket des réseaux financiers privés sur la richesse publique. Il s’est agi, en privant l’Etat de ses moyens de se financer (cf. encadrés ci-contre), de créer une accumulation de liquidités sans précédent, à travers le paiements des intérêts de la dette, entre les mains des établissements financiers privés prêteurs. Le bout de la chaîne est aujourd’hui atteint avec les partenariats public-privé (PPP, actuellement votés par l’Assemblée nationale), qui contraignent l’Etat à payer un loyer à ceux auxquels il a confié le service public : le monde à l’envers.

En fait, dans ces conditions, comme le soulignent André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder dans La dette publique, affaire rentable : « Au total, entre le début de 1980 et la fin de 2006, nous avons payé 1142 milliards d’euros d’intérêts. La dette, quant à elle, a augmenté de 913 milliards d’euros. Pendant ces vingt-six ans, si nous n’avions pas eu à emprunter ces 913 milliards sur les marchés monétaires, c’est-à-dire si nous avions pu créer notre monnaie, faire exactement ce qu’ont le droit de faire les banques privées, si nous n’avions pas abandonné au profit des banques notre droit de seigneuriage, c’est-à-dire le bénéfice, sous forme d’intérêts, de la création monétaire, la dette qui était de 229 milliards d’euros début 1980 serait inexistante aujourd’hui. »

Qui plus est, le rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) nous révèle qu’« en terme de dette nette, i.e. la dette brute moins les actifs financiers détenus par les administrations, la France est à 44% du PIB, nettement en dessous de la zone euro (58%), un peu en dessous de l’ensemble de l’OCDE (48%) et des Etats-Unis (47%). Il n’y a donc pas de singularité française. La hausse de longue période se retrouve dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, bien q’un peu plus accentuée dans le cas de la France, qui part de plus bas. Les administrations publiques possèdent aussi des actifs physiques (des infrastructures). Globalement, la richesse nette des administrations publiques représentait 20% du PIB en 2003. Certes le nouveau-né français hérite d’une dette publique, mais il hérite aussi d’actifs publics : routes, écoles, maternités, équipements sportifs (...) Si l’on considère l’ensemble des agents, publics et privés, la richesse nationale se compose du stock de capital physique et des avoirs nets accumulés sur l’étranger. Les actifs physiques représentaient quatre fois le PIB de la France en 1993, 5,2 fois en 2003 ; les avoirs nets de la France sur l’étranger sont faiblement positifs, de l’ordre de 9% du PIB en 2005. Le nouveau-né français est donc riche en moyenne, à sa naissance, de 166000 euros », bien qu’endetté par ailleurs de 18500 euros, à population égale.

Pour conclure, disons à Ségolène Royal que rien, rien n’impose, économiquement, que les acteurs privés maîtrisent la création monétaire. Au contraire, toute politique progressiste doit avoir pour objet de la leur reprendre, au moins pour financer l’équipement des hommes et de la nature, c’est-à-dire les investissements infrastructurels à long terme.

Alors, faut-il croire Panurge et s’endetter sans limites ? Bien sûr que non, la sagesse est dans le camp de Pantagruel. Il ne faut pas laisser les prêteurs mettre les pays en coupe réglée, et il faut immédiatement abroger toute disposition européenne allant en ce sens, qu’elle se trouve dans les traités de Maastricht ou de Lisbonne, de même que toute disposition française. La limite à l’émission de capital productif public, car il y en a une, tient au potentiel que l’on peut, et doit mobiliser. C’est toute la question de l’économie physique : si la monnaie créée se dirige vers l’équipement de la nature et de l’homme, et que les ressources pour le faire soient réunies, tant en termes de capacité humaine que de capacité technologiques, l’inflation ne pourra se manifester, car les crédits-monnaie susciteront un surplus qui ira au-delà des sommes introduites, au moins à terme. Les projets à financer doivent donc être soigneusement préparés, avec une évaluation des capacités humaines et physiques. Il est aujourd’hui souhaitable que cet impact soit mesuré à l’échelle de plusieurs pays, coordonnant leurs politiques pour mieux produire et non pour engendrer une valeur ajoutée monétaire sans contrepartie.

C’est ce que voulait dire Pantagruel, c’est ce qu’ont pratiqué le New Deal de Roosevelt et les premiers Plans français des Trente Glorieuses, en relevant l’économie au profit du plus grand nombre et des générations à naître. C’est ce que les amis et adversaires de Ségolène Royal ont cessé de faire depuis quarante ans.


Comment Panurge loue les debteurs et emprunteurs (chapitre 3)

« Mais (demanda Pantagruel) quand serez-vous hors de debtes ?

– Es calendes grecques, respondit Panurge, lorsque tout le monde sera content et que serez héritier de vous-mesmes. Dieu me guarde d’en estre hors. Plus lors ne trouverois qui un denier me prestast. Qui au soir ne laisse levain, jà ne fera au matin lever paste. Doibvez tousjours à quelqu’un. Par icelluy sera continuellement Dieu prié vous donner bonne, longue et heureuse vie, craignant sa debte perdre ; tousjours bien de vous dira en toutes compaignies, tousjours nouveaulx créditeurs vous acquestera, affin que par eulx vous faciez versure, et de terre d’aultruy remplissez son fossé. Quand jadis en Gaulle, par l’institution des druydes, les serfz, varletz et appariteurs estoient tous vifs bruslez aux funérailles et exèques de leurs maistres et seigneurs, n’avoient-ilz belle paour que leurs maistres et seigneurs mourussent, car ensemble force leurs estoit mourir ? Ne prioient-ilz continuellement leur grand dieu Mercure, avecques Dis, le père aux escuz, longuement en santé les conserver ? N’estoient-ils soingneux de bien les traicter et servir ? Car ensemble povoient-ils vivre, au moins, jusques à la mort. Croyez qu’en plus fervente dévotion vos créditeurs priront Dieu que vivez, craindront que mourez, d’autant que plus ayment la manche que le braz et la denare que la vie. Tesmoings les usuriers de Landerousse, qui naguères se pendirent, voyans les bleds et vins ravaller en pris et bon temps retourner. »

(...)

– Et faict quoiy ? Debtes. O chose rare et antiquaire ! Debtes, diz-je, excédentes le nombre des syllabes résultantes au couplement de toutes les consonantes avecques les vocales, jadis projecté et compté par le noble Xénocrates. A la numérosité des créditeurs si vous estimez la perfection des debteurs, vous ne errerez en Arithmétique pratique. »

(...)

« De cestuy monde rien ne prestant ne sera qu’une chienerie, que une brigue plus anomale que celle du Recteur de Paris, qu’une diablerie plus confuse que celle des jeuz de Doué. Entre les humains l’un ne saulvera l’autre ; il aura beau crier : "A l’aide ! Au feu ! Au meurtre !" personne ne ira à secours. Pourquoy ? Il n’avoit rien presté, on ne luy debvoit rien. Personne n’a intérest en sa conflagration, en son naufrage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne prestoit-il rien. Aussi bien n’eust-il par après rien presté. »

Comment Pantagruel déteste les debteurs et emprunteurs

Pantagruel :

« Et suys d’opinion que ne erroient les Perses, estimans le second vice estre mentir, le premier estre debvoir. Car debtes et mensonges sont ordinairement ensemble ralliez.

« Je ne veulx pourtant inférer que jamais ne faille debvoir, jamais ne faille prester. Il n’est si riche qui quelques foys ne doibve. Il n’est si paouvre, de qui quelques foys on ne puisse emprunter.

« L’occasion sera telle que l’a dict Platon en ses Loix, quand il ordonne qu’on ne laisse chés soy les voysins puiser eau, si premièrement ilz n’avoient en leurs propres pastifz foussoié et bêché jusques à trouver celle espèce de terre qu’on nomme céramite (c’est terre à potier), et là n’eussent rencontré source ou dégout d’eaux. Car icelle terre par sa substance, qui est grasse, forte, lize et dense, retient l’humidité et n’en est facilement faict escours ne exhalation.

« Ainsi est-ce grande vergouigne, tousjours, en tous lieux, d’un chascun emprunter, plus toust que travailler et guaingner. Lors seulement devroit-on (scelon mon jugement) prester, quand la personne travaillant n’a peu par son labeur faire guain, ou quand elle est soubdainement tombée en perte inopinée de ses biens. »


Mercredi 09 Juillet 2008
 

http://www.solidariteetprogres.org

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