Pensez printemps !
La langue officielle, de l’état d’Eurasia est le newspeak ou novlangue, la seule autorisée. Tout récemment encore les citoyens d’Eurasia du sud ouest ont élu un président qui la maitrise avec brio.
Après une série de guerres nucléaires, le monde est divisé en trois grands blocs, Océania, Eurasia et Estasia. Chaque bloc représente un état totalitaire, gouverné par une idéologie. En Océania c’est l’Angsoc ou socialisme anglais, en Eurasia c’est le Néo-bolchevisme et en Estasia c’est le Culte de la mort ou l’oblitération du moi.
A part leur appellation, rien ne différencie ces trois idéologies, au contraire, elles ont toutes un objectif en commun, l’emprise totale sur leurs citoyens. A côté de ces trois entités subsiste une quatrième région, une sorte de « no man’s land » que les trois empires se disputent continuellement, ce qui justifie leur état de « guerre permanent ». C’est la guerre « nécessaire » et « incessante ».
Winston Smith fait partie de la caste intermédiaire ou « outer party » d’Eurasia, une sorte de classe sociale supérieure, en dessous du « inner party » la classe des 2% les plus privilégiés, mais en dessus de la classe des « proles » qui représentent environ 95% de la population. Il est membre de l’administration du Néo-bolchevisme et occupe un poste au ministère de la vérité, ou « minivér » en novlangue, où il est chargé de la réorganisation des archives dans le but de faire correspondre le passé à la version officielle de la doctrine du Néo-bolchevisme.
Quand, d’un jour à l’autre, éclata la guerre entre Eurasia et Estasia, or que les deux pays vivaient en parfaite harmonie jusqu’alors, il fallait effacer toutes les traces des archives d’une quelconque alliance entre les belligérants, le travail de Winston Smith. Celui-ci refusa et courut par son attitude, un grave danger.
La configuration particulière de son logement permettait à Winston de se soustraire aux regards indiscrets des caméras de surveillance, les « télécrans », installées par le minivér à l’intérieur de chaque foyer, pour écrire la vérité. A part le programme du miniver, ces caméras diffusaient chaque jour, pendant deux minutes, le visage d’Emmanuel Goldstein, l’ennemi public numéro un, que tout citoyen eut le devoir de haïr, car il viserait à déstabiliser la doctrine du Néo-bolchevisme avec sa mystérieuse fratrie.
Winston Smith finit par se faire arrêter par la « police de la pensée » qui l’amena au ministère de l’amour ou « miniluv », le ministère le plus puissant, qui contrôle la pensée. Il dut se soumettre à un lavage de cerveau et au réapprentissage du newspeak.
Le newspeak, destiné à remplacer le oldspeak, est une langue qui vise à simplifier la vie des citoyens. En diminuant le nombre de mots on évite un trop grand nombre de possibles concepts déconcertants, ce qui rend peu probable le développement de novelles idées, faute de vocabulaire, car, comme disait déjà un ancien verset de la bible, œuvre précurseur des lumières, « beati pauperes spiritu » ou « heureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux est à eux ».
Le vocabulaire du newspeak est divisé en trois catégories. La catégorie A est destinée aux « proles ». Elle ne contient que des termes, nécessaires pour la vie quotidienne, dormir, boire, travailler. L’univocité des termes utilisés empêche tout développement d’une pensée contraire. La catégorie B est réservée à la classe supérieure et contient des mots composés à usage politique et une multitude de néologismes. La catégorie C est entièrement composée de termes techniques et scientifiques.
La novlangue vise à conserver les dichotomies, les bons et les mauvais. Si tu n’es pas mon ami, tu es mon ennemi. Pour effacer les nuances entre le bon et le mauvais on remplace le mot « mauvais » par « non bon » et la négation donnerait « inbon », ou « good », « ungood » « plusgood », « doubleplusgood ».
Si une chose ne peut pas être dite, elle ne peut pas être pensée. Des exemples de mots réducteurs seraient des mots comme « compliqué », remplaçant incertain, délicat, difficile, complexe, grave, impossible, décourageant etc. ou « potentiel », remplaçant espoir, attente, capacité, aptitude, don, prometteur, encourageant, favorable etc. ou encore « marteler », remplaçant communiquer, affirmer, insister, prétendre, clamer, répéter.
La double pensée ou « doublethink » en novlangue est un concept qui vise à faire contenir aux expressions une idée et leur contraire. La double signification évite à celui qui l’exprime la contestation.
Un autre aspect de la double pensée est l’association « suggérée » d’une pensée à une autre, tel que « crimesex », fornication, adultère ou homosexualité vs « biensex », rapport sexuel dans le but d’enfanter, ou « crimepensée » le concept de liberté, égalité et droit, « doubleplusinbon », détestable ou « ancipensée », le concept englobant les termes d’objectivité et de rationalité.
Des années avaient passées depuis la doctrine du Néo-bolchevisme, peut-être trente ou quarante ans, jusqu’à l’arrivée de la nouvelle présidente du « inner party » d’Eurasia du nord. Elle décida aussitôt de remplacer le Néo-bolchevisme par le « Nélib », ce qui a demanda un gigantesque travail de réorganisation des archives. En plus, il fallait adapter tous les livres scolaires.
De nombreux présidents lui ont succédé depuis, en Eurasia du centre, en Eurasia du sud-ouest et du sud et tous ont adhéré à la doctrine Nélib, malgré les différentes appellations de leurs propres organisations qui représentaient, au fond, toute une autre vision du monde, contredisant celle du Nélib. Mais, finalement toutes ces années de travail de persuasion avaient fini par porter leurs fruits.
Encore tout récemment les eurasiens du sud ont élu un président, adepte du Nélib, qui maîtrise la novlangue avec brio. Voici l’extrait d’un discours qu’il a tenu devant un parterre de journalistes au ministère de l’amour, retransmis par tous les télécrans :
« La vie est complexe, mais, en même temps, le monde a changé, il n’est plus le même, mais l’Eurasia est un rêve de paix, c’est un rêve vibrant qu’on doit cesser d’accuser de tous les maux, c’est un monde dans lequel l’agriculture et ses femmes et ses hommes nous nourrissent. C’est parce que nous croyons dans cette fraternité nous mettrons de l’humain partout. C’est parce que nous voulons faire converger nos efforts pour préserver et protéger nos biens communs, car on ne construit rien de solide si on ne pense pas au passé, si on n’a pas en mémoire ce qui est advenu et aussi longtemps que la diplomatie peut empêcher la guerre, elle est préférable. »
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