Le sens des valeurs
Le sens dessine la dimension. C'est le sens de la vie qui détermine les valeurs. Comme le sens de la vie n'est autre que le mouvement que donne le temps à l'existence humaine, il existe un sens de la vie pour le corps, un autre pour la conscience, et un troisième pour la pensée. Ces trois directions ont elles-mêmes créé trois dimensions de l'intelligence (intelligence physique, conscience ou "présence au monde", et pensée) qui sont génératrices de trois grands types de valeurs. Nous illustrerons cette démonstration de pensées de Descartes, de Spinoza et de Nietzsche, afin de montrer que ces philosophes incarnent chacun l'une des trois dimensions des valeurs humaines.
Pour bien se représenter le rôle de ces trois formes d'intelligences - présentées dans l'article "le sens de la vie"-, nous pouvons donner l'exemple de l'athlète qui, dans son parcours de compétition, commet une faute qui pourrait le déstabiliser, mais l'athlète parvient à ne pas se désunir, en maintenant ensemble ses trois formes d'intelligence pour n'en faire qu'une, une seule intelligence en action. La conscience est au service de l'intelligence physique et la pensée est, un temps, neutralisée. Par sa concentration, l'athlète parvient à empêcher toute intrusion de la pensée dans le champ de sa conscience, et il réussit ainsi à accomplir son action dans un état de grande confiance, la confiance étant l'autre nom que l'on'on peut donner à cette maîtrise particulière.
A présent, pour comprendre les différences de valeurs que génèrent ces trois formes d'intelligence, il faut songer à un orateur. Cet orateur a trois choix. Il peut s'adresser à l'intelligence physique (laquelle comporte les émotions) en utilisant les expressions de son visage, par des modulations de voix, des gestes, des postures. C'est la méthode la plus efficace pour parler à l'intelligence physique, qui est celle qui déclenche les émotions et l'action. Mais si l'orateur fait face à un parterre d'intellectuels, il ne jouera pas sur le registre de l'émotion ; il emploiera le langage qui se rattache à la pensée : idées, concepts, phrases. Il usera peu de métaphores, parce que la métaphore relève de la sphère de l'intelligence centrale, de la conscience. Or, celle-ci remplit une fonction représentative (elle nous représente le monde extérieur). C'est donc par l'image qu'on la touche le plus facilement. Il existe ainsi trois modes d'accès de communication à l'intelligence pace que l'émotion parle à l'intelligence physique, l'image touche la conscience, et le langage touche la pensée.
Le schéma présenté ci-dessus croise le schéma de la dualité de l’être ("être-en-devenir" / "être-en-projet") avec celui de la conception de la triple présence au monde (les trois intelligences : « Intelligence physique - Conscience – Pensée »). Ce schéma propose une explication dynamique du processus de création des valeurs humaines.
La dimension projetante de l’être est la plus enthousiasmante des dimensions ; elle prouve que l'homme est projet, et non pas simple "devenir". Mais l'être évolue aus ein de trois dimensions : outre la dimension projetante, il existe une dimension montante (valeurs et transcendance) et une dimension reliante (sociale).
L’intelligence physique, l’intelligence représentative, l’intelligence formelle, sont créatrices de valeurs. Ces trois formes d’intelligence, communes à tous les êtres humains, sont à l’origine de trois grandes dimensions de valeurs : le bon et le mauvais (intelligence active), le Vrai (conscience), le bien et le mal (pensée).
1°) Descartes et la conscience : la valeur du Vrai
Descartes assimile la pensée à toute forme de conscience Dans la Méditation III, on peut ainsi lire : « Je suis une chose qui pense, c’est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. » Pour lui, la conscience, c'est : sentir, imaginer, raisonner, le désir et le vouloir.
Le mot « conscience » n’existant pas à l’époque de Descartes, le philosophe emploie le verbe « penser » dans un usage générique mais c'est la conscience qu'il désigne et non la pensée élaborée.
La preuve en est, qu'après avoir énoncé "je pense donc je suis" dans son Discours de la méthode, il supprime l'adverbe et énonce "je pense, je suis" dans le texte des méditations.
L'être est ici en pleine conscience (intelligence physique incluse) mais la pensée n'intervient pas et c'est pourquoi il ne peut y avoir dans l'esprit, à ce moment, un lien de causalité qui serait introduit par le "donc". Seule la pensée crée des liens logiques, pas la conscience. Le "je pense" et le "je suis" traduisent - désormais non liés par quelque opération de la pensée - deux réalités qui coexistent dans la dimension de l'intelligence de présence au monde, dans la conscience.
Cela posé, Descartes considère qu'est vrai ce qui ressort clairement dans la conscience. A commencer par le cogito : l'affirmation "Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit." Descartes est persuadé que le vrai se puise dans la conscience par la voie des "lumières naturelles" : « Ce souverain bien considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n'est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes, c'est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l'étude. Et, parce que toutes ces choses sont entièrement vraies, elles ne seraient pas difficiles à persuader si elles étaient bien déduites. » (Les Principes de la philosophie, lettre-préface de l'édition française des Principes)
C'est ainsi qu'il rejoint les croyants, pour lesquels le Vrai est ce qui se trouve dans la conscience pure. Il s’agit bien sûr du Vrai de la conscience et non du vrai, notion reliée au réel comme la chose vérifiée de façon expérimentale voire scientifique.
« Au niveau de l'individu, la particularité d'une croyance est qu'elle est ajustée, par celui qui y adhère, à sa propre réalité. Elle est considérée comme vraie et projetée sur notre représentation conceptuelle de la réalité. » (wikipedia)
2°) Spinoza et les valeurs dynamiques de bon et de mauvais
« Nous ne tendons pas vers une chose parce que nous la jugeons bonne mais au contraire nous jugeons qu’elle est bonne parce que nous tendons vers elle. » (Spinoza) Nous serions donc ainsi guidés par notre nature. La pensée validerait les choix accomplis par notre intelligence active, la pensée, dans son rôle d’« intelligence créative », créant des jugements de valeur sur ce qui est bon ou mauvais, selon notre point de vue et nos projets et désirs en cours.
La valeur, selon Spinoza, ne dépend plus d’une transcendance. Elle naît de l’activité désirante, des tendances de l’homme. Les valeurs deviennent ainsi relatives. Mais surtout, cette définition montre la triple dimension de la vie de l’être humain, que je présente ainsi :
- la dimension projetante du désir qui est une tension ou de la volonté. Elle est exprimée dans « nous tendons »,
- La dimension montante (les valeurs qui nous servent de guide) contenue dans la formule « nous jugeons »,
- la dimension reliante du « nous » qui vient nous rappeler que ce n'est pas l'individu seul qui détermine ses points de repère, les valeurs à suivre, mais la société.
C’est pourquoi, le schéma présente au début de cet article place les jugements après les actions. La prise de conscience d’une action bonne - réalisée ou à venir- définit ou renforce une valeur qui servira de fondement à une nouvelle action, voire à un projet plus large. Spinoza montre que la conscience décide par elle-même ce qui est bon ou mauvais sans la recours préalable de la pensée. Ce sont nos tendances désirantes qui forgent les valeurs. C'est ainsi l'intelligence physique qui a le dernier mot, pas la pensée.
3°) Niertzsche : les valeurs de la Vie contre celles de la morale e des idéaux
Nietzsche dénonce la façon dont la religion chrétienne méprise les valeurs de la vie. La religion chrétienne est pour Nietzsche le meilleur exemple d'une maladie, en ce qu'elle développe le symptôme de la "mauvaise conscience" et entraîne un "refoulement" contraire au plein épanouissement de la vie. Ce sont les aristocrates de toutes sociétés qui se sont désignés en premier lieu eux-mêmes comme bons. Puis furent désignés comme mauvais les gens des basses conditions. Ainsi, un rapport de domination est-il à l'origine d'une frontière entre les valeurs des maîtres et celles des esclaves. La religion catholique renforce la morale d'esclaves.
Pour Nietzsche, est bon tout ce qui sert la volonté de puissance, c'est-à-dire ce qui va dans le sens (*) de l'accroissement de la vie et la préservation « les conditions de la conservation et de l'accroissement de la vie ».
(*) (j'emploie encore ce mot à dessein, rappelant au passage que le sens crée la dimension)
Mais au fond quelles sont ces valeurs qui étouffent celles de la vie ? Nous le voyons bien : ce sont les valeurs créées par l'esprit comme la notion du mal associé par le catholicisme au corps. C'est aussi de la dimension de la pensée (et non de celle des deux autres formes d'intelligence) que naît la morale, qui n'est ni physique ou naturelle, ni présente dans la conscience pure qui s'observe. De façon plus générale, tout ce qui relève de l'idéologie, de la morale et de l'idéalisme, est du domaine de la pensée.
Les idéalistes ont un besoin religieux et moral, un besoin "né dans des âmes d'esclaves." La morale est, pour Nietzsche, le refuge des faibles. Les gens ordinaires sont dominés par la peur de la mort, leur esprit de servilité et leur mauvaise conscience. La "mort de Dieu" signifie que la conception morale de Dieu est périmée, ce qui, par conséquent, oblige déjà l'interrogation à se situer par-delà le bien et le mal.
Nietzsche replace toutes les formes de transcendances dans son projet, qu'il nomme "généalogie", projet d'une explication de l'homme comme être entièrement corporel et animal dirigé par des pulsions et des affects qui expliquent ses croyances. Le bien et le vrai, par exemple, sont soumis à la méthode « généalogique ». Le philosophe revient ainsi aux valeurs de l'intelligence physique mais avec un détour par le projet.
Pour conclure, nous pouvons ainsi observer que l'apparent paradoxe de l'injonction nietschéenne "deviens ce que tu es" est une clé de la résolution du problème de choix de la dimension des valeurs. Au premier abord, elle n'a pas de sens, en effet on ne peut employer le verbe "devenir" à l'impératif puisque la volonté n'a pas de prise sur ce que l'on devient. Mais, en y réfléchissant mieux, on voit que l'injonction signifie à peu près "fais en sorte que tes idéaux soient en conformité avec les valeurs de la vie", mais je dis "à peu près" parce qu'on peut difficilement interpréter la pensée profonde de Nietzsche selon une grille de lecture unique.
Je dirai que nous devons tendre à projeter notre être et à diriger notre vie selon des valeurs proches de la Vie et de notre intelligence physique et donc plus en communion avec notre nature et la Nature. Nous devons employer les trois formes de notre intelligence à cette fin.
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