Une certaine vision des superproductions cinématographiques
Les superproductions ne valent-elles que par l’aspect financier qu’elles représentent, est-ce justifié de les bouder sous prétexte qu’elles sont le porte drapeau d’une forme de cinéma à grand spectacle considéré parfois comme superficiel et creux ? Ne passe-t-on pas, en adoptant par principe une telle attitude, à côté d’un excellent film, car ne sont-elles pas au contraire du grand cinéma, du vrai cinéma, créé pour servir la distraction et le plaisir du spectateur, tout comme l’étaient les comédies musicales hollywoodiennes à l’époque où celles-ci faisaient fureur, ou le cinéma de Bollywood de nos jours ?
J’ai eu l’occasion d’aller voir Avatar durant les fêtes de fin d’année. Partie au départ avec l’idée de voir un film simplement distrayant, de belles images et de bons effets spéciaux, et pas bien sûr un film d’art et d’essai incitant à la réflexion, à l’arrivée je n’ai donc pas été déçue, loin de là, même si certains aspects ou passages du film ne correspondent pas au genre de cinéma vers lequel je tends à me tourner d’habitude.
J’ai, ou plutôt j’ai eu autrefois, sans doute par pur snobisme, trait de caractère dont on a parfois bien du mal à se défaire, tendance à rejeter d’emblée les superproductions, ce genre de films faits à coup de millions de dollars servant une avalanche d’effets spéciaux les plus spectaculaires possibles, dont l’un des objectifs, volontaire ou non, est de masquer une absence quasi totale de profondeur dans le contenu, et qui inondent ensuite les salles de cinéma du monde entier, faisant venir le public à coup de campagnes publicitaires tout aussi coûteuses ou presque.
Ce préjugé, quoique parfois justifié pour l’aspect parfois un peu « premier degré » ou « message un peu trop simpliste » de ces productions, a déjà failli me faire passer à côté de Titanic en 1997, que je croyais n’être au départ qu’une énième histoire d’amour impossible entre une aristocrate richissime et révoltée contre son milieu et un jeune artiste forcément fauché, naive et… digne du pays des Bisounours, (autrement dit exactement comme on les aime en France ;-) ), et que j’ai en fait adoré (l’histoire d’amour aussi, que j’ai trouvée très belle et très romantique) surtout pour la fidélité dont James Cameron a scrupuleusement fait preuve dans la reproduction du moindre petit détail historique, s’aidant notamment de photos d’époque (rescapées du naufrage, ou prises avant l’appareillage du navire), pour la construction de ses scènes.
J’aime en effet ce souci du plus petit détail, ce perfectionnisme dans la mise en scène ou le graphisme, que l’on trouve la plupart du temps dans les films américains à effets spéciaux, ou les dessins animés japonais comme Princesse Mononoké de Hayao Mizayaki, ou le très triste mais magnifique Tombeau des Lucioles de Isao Takahata, deux productions des studios japonais Ghibli, qui font de ces films ou ces Mangas animés des chefs d’œuvre dans le genre auquel ils appartiennent.
Ce souci du détail, qui représente aussi pour moi une forme de respect envers le public, fait malheureusement souvent défaut, à mon avis, dans les productions françaises, (sans aucun doute par manque de budget équivalent, ce qu’on l’on ne peut évidemment pas reprocher, mais peut être aussi par le fait d’une sorte de croyance chronique que « ça suffira bien comme ça, pas la peine d’en faire trop, de toute façon le spectateur n’aura pas le temps de capter ce détail fugitif ») mais également dans certains nouveaux dessins animés américains à base d’images de synthèse, dont les graphismes sont pour moi totalement dénués de finesse et de délicatesse, du moins pour l’instant.)
Ces super productions américaines dopées à coup de millions de dollars ne sont pas seulement le résultat d’un budget colossal, mais aussi et surtout celui du travail tout aussi colossal d’une équipe toute entière, totalement vouée à la réussite du projet à mener à bien, à commencer par le travail du metteur en scène qui doit avoir l’impression, au moment du démarrage de son projet, d’une véritable montagne qu’il va lui falloir abattre.
Pas étonnant alors qu’il ait fallu à James Cameron dix longues années pour réaliser un film comme Avatar, et c’est donc non seulement une absence de reconnaissance du travail monumental consenti, mais également une injustice par rapport à la qualité finale du film et par rapport au désir de l’équipe cinématographique, dont on sent son souci premier (fut-il même secondaire) de faire plaisir au spectateur, de lui offrir un spectacle de grande qualité, que de formuler des critiques telles que « dix ans pour pondre ça ? »
Alors jusqu’au dernier souffle de ma vie, je jure solennellement de ne plus avoir ce préjugé sur les films à très grand budget ;-), même si bien sûr certains de ces films à grand spectacle sont forcément plus réussis que d’autres. Comme pour tout autre genre cinématographique, il faut faire une sélection, lire d’abord les critiques, les positives comme les négatives, pour être plus à même de décider si l’on accepte ou non de payer la somme non négligeable de 13,50 euros (3D oblige) et d’affronter les températures hivernales et les bourrasques de vent glacial pour se rendre dans un des nombreux temples du 7ème art.
Bien sûr, on ne peut nier que certaines critiques émises sur un certain manque de profondeur de beaucoup de ces superproductions sont parfois justifiées. Les messages sont parfois distillés de façon trop simpliste. La saga Star Wars, désormais entrée dans la légende, et dont le « making of » a fait l’objet d’une magnifique exposition à la Cité des Sciences et de l’Industrie fin 2005 (sauf erreur de date de ma part), comporte elle aussi des défauts, certaines scènes de l’épisode 6 (le premier épisode tourné) me donnant souvent, par exemple, le sentiment d’être un film de propagande réalisé sur commande pour les services de recrutement de l’armée américaine.
Rien de tel dans Avatar en ce qui concerne la vision donnée de l’armée américaine, c’est même tout le contraire. « Enfin ! » a-t-on envie de dire avec soulagement ! James Cameron n’hésite donc pas à partager ses opinions personnelles, celles d’un citoyen visiblement engagé.
La caricature totale du soldat forcément balafré, si musclé qu’on a l’impression que ses biceps vont exploser comme une roue de vélo trop gonflée, au cerveau quelque peu atrophié, totalement dénué de toute forme de sensibilité, impitoyable et conditionné pour appuyer sur la gâchette et vider de façon enragée son chargeur dès qu’il repère le simple frémissement d’une feuille d’arbre, est parfaitement réussie, et sert ici le message que James Cameron veut faire passer, même s’il est présenté de façon évidente (mais on sent que c’est ici intentionnel, ce film étant destiné à toucher toutes les classes d’âge). Le reproche que l’on pourrait faire à ce genre de messages, si l’on souhaite vraiment en formuler un, serait plutôt leur absence de caractère intemporel ou universel, étant de façon trop évidente liés à l’actualité de ces dernières années.
Les messages sous-jacents introduits dans certains Mangas animés japonais, notamment ceux liés au rejet de la bombe atomique et par extension au rejet du nucléaire dans son ensemble (Nausicaa de la Vallée du Vent, de Mizayaki), sont toujours présentés de façon très symbolique, et peuvent donc être compris quelque soit l’époque (mais pas forcément quelque soit l’âge du spectateur). Cependant, on ne peut qu’espérer que les prochaines générations de spectateurs, qui auront peut être l’occasion de revoir Avatar, ne se sentiront plus concernées à l’avenir par les messages présents dans le film tels que « combattons la terreur par la terreur » qui sont très clairement et très directement énoncés par le personnage du Colonel.
Un autre reproche que l’on pourrait formuler concernant les superproductions à très gros budget comme Avatar est le souci flagrant de satisfaire les amateurs de tous les genres de films à grand spectacle. Avatar est en effet une sorte de gâteau composé d’ingrédients très (trop ?) divers, piochés dans les films d’action, de guerre, de Fantasy, dans le style Jurassic Park avec des monstres préhistoriques à souhait, mettant également en scène l’indispensable histoire d’amour que beaucoup jugeront là aussi niaise (qu’y a-t-il de si niais dans une histoire d’amour ??), n’oubliant pas non plus l’univers de la science fiction, etc.
C’est peut être au contraire une des forces du film, car le mélange des ingrédients est homogène et au final le gâteau est savoureux. Chacun y trouve par conséquent son compte, même si le risque est cependant que l’on s’ennuie un peu lors de scènes que l’on va forcément juger trop longues, car ne correspondant pas au genre de spectacle que l’on affectionne, comme, en ce qui me concerne, les scènes de bataille, même si on ne peut nier qu’elles sont magnifiquement conçues et que les images sont superbes et à couper le souffle.
Car la plus grande réussite des films à grand spectacle et à gros budget comme Avatar est la beauté extraordinaire de leurs images. Comment ne pas être éblouis par ces paysages féériques, quasi magiques, composés de plantes fluorescentes aux douces teintes pastel, magnifiés de surcroît par les effets de la 3D ? Même Titanic, dont pourtant le thème traité était on ne peut plus tragique, n’a pas oublié de soigner son esthétique, certaines scènes comme celle où les dernières balises de détresse sont tirées sur fond de ciel étoilé, ou celle où la barque, revenue à la recherche des derniers survivants, est filmée progressant au ralenti au milieu des corps inanimés, au son des voix déformées des sauveteurs accompagnées d’une mélodie douce et mélancolique, sont artistiquement sublimes. James Cameron est, sans le moindre doute, l’un des plus grands réalisateurs de notre époque.
Cependant, ces superproductions, pour être entièrement réussies, devraient peut-être redéfinir encore mieux leur équilibre, afin d’éviter le trop-graphique, ou le trop-spectaculaire composé uniquement d’effets spéciaux sur lesquels on miserait de façon exagérée, au détriment du symbolisme, qu’il faudrait introduire plus encore, à la façon des Mangas animés japonais les plus réussis, qui s’adressent par conséquent aussi bien aux enfants qu’aux adultes, afin de s’enrichir en ajoutant des niveaux supplémentaires de compréhension, construisant alors des œuvres parfaitement achevées un peu comme on fabriquerait un mille feuille, chaque niveau d’interprétation se comportant comme une couche supplémentaire venant s’ajouter sur la précédente. Les superproductions américaines, si elles sont souvent des chefs d’œuvre dans leur genre, gagneraient sans doute à se laisser plus influencer par le cinéma venu de l’extérieur.
C’est pourquoi un film comme Avatar, de même que toute superproduction soignée, pour laquelle le réalisateur et son équipe ont fourni un véritable travail, ne mérite pas d’être boudé. Il y a dans ces films beaucoup plus de choses à découvrir, beaucoup plus de choses à retenir que ce qu’on voudrait y voir au premier abord.
Et Jake, le héros d’Avatar, qui nous rappelle étrangement le Jack de Titanic au moment où Neytiri, le croyant mort, se désespère en appelant son nom (souvenons nous de Rose, secouant en pleurant la main de son amant : « Jack, there’s a boat, Jack ! »…) loin de s’égarer dans l’illusion d’un monde utopique et donc forcément éphémère, situé entre le réel et le virtuel, dans lequel on lui demande d’évoluer, loin de se perdre mentalement dans la double identité, le « double-je » qu’il est obligé de jouer, réapprend au contraire petit à petit, au contact des Na’vis, les vraies valeurs oubliées, la vraie réalité de la vie.
Nous devons apprendre de nos erreurs, tel est aussi le message sous-jacent d’Avatar, peut être le message le plus important, car il est, celui-ci, intemporel et totalement universel.
Articles Agoravox consacrés au film « Avatar » :
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/avatar-esque-67599
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/avatar-de-james-cameron-67179
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/avatar-le-choc-des-cultures-67101
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/avatar-du-ravissement-a-la-67057
Agoravox.tv :
http://www.agoravox.tv/culture-loisirs/culture/article/tout-sur-avatar-24582
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