Contrat première embauche : bouc émissaire des universités
Mardi 28 février, les portes des facultés ont été barrées par des étudiants qui protestaient contre le CPE à Paris, Lille, Nantes, Tours et Poitiers. Plutôt que de crier trop vite à l’injustice et de s’acharner sur le CPE, les étudiants ne feraient-ils pas mieux de s’interroger sur la valorisation de leurs formations auprès des employeurs ?

Entrées cadenassées
Barricades de chaises et de tables à toutes les portes sur le site de Jussieu, blocage des ascenseurs par une trentaine d’étudiants à Tolbiac, barrage filtrant n’autorisant que l’entrée des candidats au Capes et à l’ agrégation à Censier, grève reconduite à Villetaneuse : tel est le bilan des actions universitaires parisiennes contre le CPE.
En province, dans les zones hors-vacances scolaires, des initiatives du même ordre ont eu lieu. Blocage partiel à Lille et à Tours, tandis qu’ à Nantes, quelque 300 étudiants bloquent l’accès aux bâtiments des sciences humaines.
Manifestation anti-CPE à Paris, "carnaval de la précarité" à Poitiers
"Qui sème le misère récolte la colère. Villepin au Kärcher", ont scandé les manifestants anti-CPE, qui ont défilé dans les rues de la capitale mardi 28 février, en attendant la journée de mobilisation nationale du 7 mars. Lancée par le collectif d’organisations de jeunesse, formé mi-janvier contre le CPE, qui regroupe, entre autres, l’Unef, la Fidl, Sud et la CGT, la manifestation a regroupé quelques milliers d’étudiants et de lycéens (1500 selon la police, 5000 selon les organisateurs).
A Poitiers, les manifestants (900 selon la police, 3000 selon les organisateurs)ont revêtu symboliquement haillons et sacs poubelles pour un "Mardi gras de la précarité."
"On s’attendait à une semaine morne dans les universités mais, avec la forte mobilisation des facs, c’est plus qu’on espérait", a commenté Bruno Julliard, président de l’Unef. La plupart des facultés de province sont en effet en vacances cette semaine. Charlotte Allegret, vice-présidente du Fidl, estime, quant à elle, qu’il était "très important d’être là, en vue du 7 mars, pour que les gens entendent parler du mouvement, et pour bien rappeler aux jeunes que leur avenir est en jeu".
Stages, CPE : une transition obligée
Effectivement, l’avenir des jeunes est en jeu. Mais il repose sur des facteurs complexes. Le CPE, "contrat précaire" pour certains, est une tentative de réponse à une situation autrement plus précaire.
Il y a quelques mois, les membres de Génération Précaire, masqués de blanc, dénonçaient l’engrenage des stages à répétition, abusifs et non rémunérés. Sur son site, Génération Précaire rappelle au Premier ministre que "800 000 stages sont effectués chaque année en France et plus de 60 000 emplois seraient ainsi occupés par des stagiaires". Le groupe insiste également sur la prolifération de stages proposés aux post-diplômés : "Il est incompréhensible que malgré l’allongement considérable des études et la multiplication des séjours en entreprise, un jeune actif se voie proposer uniquement des stages ou des contrats précaires pour effectuer un vrai travail".
Or, contrairement au stage, le CPE est un véritable contrat de travail, avec à la clé une rémunération, l’accès au Code du travail, (rappelons que les stagiaires ne possèdent légalement ni statut, ni droits) et une place réelle au sein de l’entreprise. Evitons l’amalgame : rassembler, sous le terme de "contrats précaires",stages, CDD et CPE, porte à confusion. Le degré de précarité financière et psychologique du stagiaire, mi-salarié, sous-salarié, sans droits, sans rémunération, est sans commune mesure avec le statut du titulaire d’un CPE.
Le contrat première embauche n’est certainement pas une panacée en matière de sécurité de l’emploi. Ce n’est pas son objectif.
Le CPE est un contrat de transition entre le monde de la faculté et le monde du travail. En cela, c’est une alternative très avantageuse aux stages et un tremplin vers de meilleures opportunités.
Le CPE, bouc émissaire de formations dévalorisées
Plutôt que de crier à l’injustice et de mener une lutte acharnée contre le CPE, les étudiants de l’ Université ne feraient-ils pas mieux de s’ interroger sur le contenu et les débouchés de leurs formations, ainsi que sur l’image des universités auprès des employeurs ?
Pourquoi cadenasser les entrées de la faculté et empêcher les autres étudiants d’ accéder à leurs cours ? Très agaçante, cette pratique de prise en otage des locaux, lorsqu’on sait que le nombre de cours à l’université est déjà très étriqué, faute de moyens.
Comment l’université peut-elle espérer être crédible aux yeux des entreprises, si les étudiants passent leur temps à bloquer les cours ou à manifester sans avoir pris le temps d’une réflexion et d’une concertation approfondies (sans orienter politiquement le débat de manière systématique) ?
Les stages, les CDD, le CPE représentent un passage obligé entre, d’une part, un monde coupé de la réalité économique, sans objectif de rendement, sans prise réelle de responsabilités et, d’autre part, le monde des entreprises, dont l’objectif affiché est de générer des profits, et où il est donc nécessaire d’être rapidement autonome et opérationnel...
On ne peut pas sensément espérer être embauché directement en CDI, sans déclassement, à la sortie de la faculté, sans bagage professionnel monnayable.
Or, les universités ne proposent pas encore assez de stages obligatoires à leurs étudiants. Seules les formations « professionnalisantes », comme la licence et le master professionnel, permettent aux étudiants d’effectuer un stage, le plus souvent court (de quelques heures à 3 mois), en fin de cursus. Résultat : les jeunes sont contraints d’effectuer des stages après obtention de leur diplôme.
Manque de moyens des universités, système à 2 vitesses : une plaie pour l’embauche
On ne peut accuser les professeurs de mauvaise volonté. La plupart s’impliquent dans le développement et le succès de leurs élèves.
Pourtant, l’université garde l’image du parent pauvre des formations supérieures. Un sondage de l’Ifop, passé inaperçu, a pourtant révélé des résultats accablants. Un échantillon composé d’1/3 de jeunes, d’1/3 de parents et d’1/3 de dirigeants et de cadres ont répondu à la question : "Quelle formation supérieure prépare le mieux un jeune pour affronter le monde du travail ? " Réponses des dirigeants et de cadres : grandes écoles, 62 %: IUT : 30 % ; autres formations universitaires... 5 %. Réponse identique pour les jeunes et leurs parents.
Les dirigeants de la classe politique sortent des grandes écoles, et n’ont d’yeux que pour elles. L’Etat n’a jamais valorisé ses universités, et il a négligé également l’importance de la recherche.
D’après l’excellent article "Les six plaies de l’emploi des jeunes" de Patrick Fauconnier et Jacqueline de Linares (paru le 2 février 2006 sur le nouvelobs.com) : "On dépense couramment plus de 15 000 euros par élève en grande école contre 6700 euros en fac. Sur un CV, la différence saute aux yeux. Ici, des jeunes tutorés qui ont fait plein de stages sont souvent bilingues, sont allés en Asie ou en Amérique. Là, des diplômés ignorant tout du monde de l’entreprise, possédant rarement une langue étrangère, et dont 3% seulement ont bénéficié d’échanges Erasmus, limités à l’Europe...". Ajoutons-y la maîtrise des logiciels informatiques, inaccessible aux étudiants de la faculté, qui disposent rarement d ’une formation sur ordinateur au cours de leur cursus.
S’il est nécessaire de se battre, les étudiants anti-CPE se trompent de débat. Le CPE est bancal, certes, mais c’est parce qu’il n’est que le pansement de formations dévalorisées. Manifester, certes, mais pour que les étudiants issus de l’université disposent des atouts qui leur sont dus.
Il faut plus de cours, plus de stages, plus de langues, plus d’ordinateurs, une meilleure visibilité auprès des entreprises, un meilleur réseau, une unité plus forte entre les élèves (associations, juniors entreprises, Bureau des élèves...) : la liste est longue...
Le parcours universitaire ne devrait pas conduire aux désillusions, au complexe d’infériorité par rapport aux grandes écoles, et au déclassement. Les jeunes mettent leur avenir en jeu, en s’engageant dans une formation longue. Il est de la responsabilité de l’Etat et des universités de répondre à leurs espérances.
Assemblée générale d’étudiants de la Sorbonne
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