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Accueil du site > Actualités > Société > Empathie, conscience morale et psychopathie – l’intelligence (...)

Empathie, conscience morale et psychopathie – l’intelligence émotionnelle (partie 2/3)

« La conscience est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal. »

Bien que séparé par près de 2 500 ans d’histoire, cette citation de CONFUCIUS n’aurait certainement pas déplu à Antonio DAMASIO et son équipe pour qui : « Les émotions sont inséparables de l’idée de récompense ou de punition, de plaisir ou de peine, d’approche ou de retrait, d’avantage ou de désavantage personnel. Inévitablement, les émotions sont inséparables de l’idée de bien et de mal  »[1].

Ces chercheurs se sont fixés pour tâche de percer les mystères de la conscience, de la raison et des émotions, en étudiant un très large panel de personnes atteintes de troubles neurologiques suite à divers traumatismes cérébraux.

Mais qu’est-ce que la notion de bien et de mal a à voir avec la conscience et/ou les émotions (i.e. l’intelligence émotionnelle) ?

C’est ce que nous allons découvrir dans cet article en explorant plusieurs voies.

Le postulat de fin du précédent article identifiait le mal que notre société engendre comme étant la résultante d’une « absence à soi », hypothèse que Michel TERESTCHENKO avance dans son livre Un si fragile vernis d’humanité – Banalité du mal, banalité du bien. Une « absence à soi » dont le seul ‘remède’ consisterait à développer notre « présence à soi » afin « d’être le changement que nous voulons voir dans le monde »[2]. En d’autres termes, « l’absence à soi » traduit un manque de conscience de soi.

Cette « absence à soi » fait que nous interprétons nos actes de « cruauté ordinaire »[3] pour des situations anodines de la vie quotidienne. Or, ces agirs, qui se manifestent en premier lieu par une communication déviante[4], sont tout sauf quelconques si l’on considère les forces entropiques qu’ils mettent en œuvre[5].

Avant d’envisager comment développer notre « présence à soi », question à laquelle ne répond pas l’ouvrage de Michel TERESTCHENKO et qui sera traitée plus en détail lors de la troisième partie de cet opus, il faut d’abord répondre à la question de savoir pourquoi, parmi toutes les causes déjà avancées, « l’absence à soi » – le manque de conscience de soi – serait une thèse plus probable qu’une autre dans la genèse du mal.

Une réponse simple à cette question consiste à dire que « l’absence à soi » intervient dans la genèse du mal parce qu’elle manifeste un faible développement de notre sens moral qui a pour principale fonction d’inhiber nos conduites asociales ou amorales. Reste maintenant à argumenter ce point vis-à-vis de l’intelligence émotionnelle[6] compte tenu du fait « qu’il semble de plus en plus attesté que les sentiments ainsi que les appétits et les émotions qui les causes le plus souvent, jouent un rôle décisif dans le comportement social »[7].

 

Un si fragile vernis d’humanité – Banalité du mal, banalité du bien :

C’est en se basant sur les différentes études[8] effectuées pour tenter de comprendre les atrocités du nazisme lors de la Seconde Guerre mondiale que Michel TERESTCHENKO a pu développer sa théorie selon laquelle tout le mal que nous produisons est lié à « l’absence à soi ». Cette conclusion, à laquelle je souscris, l’oblige cependant à redéfinir au préalable les conditions d’un comportement altruiste, car à la distinction manichéenne entre le bien et le mal, il n’est pas question pour cet auteur de lui substituer un nouveau paradigme dualiste opposant « l’absence à soi » à « la présence à soi ».

À cet effet, une redéfinition de l’altruisme s’avère indispensable, car la représentation que nous en avons et les définitions que l’on peut trouver dans différents dictionnaires sont impropres à traduire toute la complexité qui caractérise cette vertu.

Ainsi, « à la définition de l’altruisme comme désintéressement sacrificiel qui exige l’oubli, l’abnégation de soi en faveur d’autrui – définition que la tradition morale et religieuse a presque unanimement consacrée –, les résultats des recherches entreprises sur ce sujet nous invitent à substituer celle-ci : l’altruisme comme relation bienveillante envers autrui qui résulte de la fidélité à soi, de l'obligation, éprouvée au plus intime de soi, d'accorder ses actes avec ses convictions (philosophiques, éthiques ou religieuses) en même temps qu'avec ses sentiments (d’empathie ou de compassion), parfois même, plus simplement encore, d’agir en accord avec l’image de soi indépendamment de tout regard ou jugement d’autrui, de tout désir social de reconnaissance »[9]. D’où l’on comprend que se montrer « présent à soi » nécessite une cohérence intrinsèque entre sentiments, et donc émotions, convictions et actions.

Par ailleurs, précisons également pour compléter cette définition, que « l’altruisme n’exige pas la déprise, l’anéantissement, la dépossession de soi, le désintéressement sacrificiel qui s’abandonne à une altérité radicale (Dieu, la loi morale ou autrui) »[10] comme voudraient nous le faire croire les théories dualistes opposant radicalement l’égoïsme à l’altruisme. « L’abandon, la déprise de soi, est au contraire l’un des chemins qui mènent le plus sûrement l’individu à la soumission, à l’obéissance aveugle et à la servilité »[11] ainsi que le démontrent les exemples d’emprise sectaire, les membres des communautés religieuses, les partis politiques, etc. Car « seul celui qui s’estime et s’assume pleinement comme un soi autonome peut résister aux ordres et à l’autorité établie, prendre sur lui le poids de la douleur et de la détresse d’autrui et, lorsque les circonstances l’exigent, assumer les périls parfois mortels que ses engagements les plus intimement impérieux lui font courir. »[12] Ce qui, au regard des stades du développement moral de Lawrence KOHLBERG, passés en revue dans la première partie de cette série d’articles, correspond à un niveau postconventionnel du jugement moral.

Toutefois, comme nous l’avons vu ci-dessus et dans le précédent billet, la recherche en psychologie morale n’a globalement pas élucidé la nature des liens qui existe entre la conscience morale d’un individu et ses comportements (la cohérence intrinsèque entre émotions, convictions et actions). De telle sorte qu’un profil de personnalité présentant un haut degré de raisonnement moral pouvait très bien adopter des comportements totalement amoraux. Mais si la recherche en psychologie morale n’a pu obtenir de tels résultats, c’est notamment en raison du fait qu’elle n’intégrait pas les émotions dans ses précédentes explications et, de ce fait, ne distinguait pas la rationalité morale, testée par les questionnaires de KOHLBERG, du sens moral qui lui dépend des émotions.

Cette omission, très bien perçu par Michel TERESTCHENKO sans pour autant qu’il y fasse référence, est actuellement comblée par les neuroscientifiques qui centrent leurs recherches sur les émotions, en n’hésitant pas à remettre en question le modèle dominant de la primauté de la raison sur les passions comme s’attachent à le faire désormais de nombreux chercheurs tels qu’Antonio DAMASIO, Gérald EDELMAN, Joseph LEDOUX, Jean-Pierre CHANGEUX, Stanislas DEHAENE, Michael GAZZANIGA, Chris FRITH, Jean DECETY, Paul EKMAN, etc., et dans un autre registre Daniel KAHNEMAN, etc. (pour ne citer que les plus célèbres qui ont publié des ouvrages de synthèse de leurs imposants travaux les rendant ainsi accessibles au grand public).

C’est donc de bon droit que l’auteur de l’essai Un si fragile vernis d’humanité – Banalité du mal, banalité du bien peut décrire l’altruisme comme résultant « (...) de la fidélité à soi, de l'obligation, éprouvée au plus intime de soi, d'accorder ses actes avec ses convictions en même temps qu'avec ses sentiments », autrement dit : de la « présence à soi » ou de la conscience de soi.

Ces quelques précisions apportées, nous voyons se dessiner les conséquences d’une non-présence à soi, c’est-à-dire d’une « absence à soi », que sous-entend cette définition de l’altruisme. En effet, que peut-il donc advenir de la « fidélité à soi », cette « obligation éprouvée au plus intime de soi d’accorder ses actes avec ses convictions », chez un individu dépourvu d’affect ou d’un autre qui ne ressent pas correctement ou que superficiellement les émotions qu’il éprouve ?

Poser la question c’est déjà y répondre, car : quelle obligation s’imposer en l’absence d’émotions liées aux actions que nous menons ou aux décisions que nous prenons ?

La réponse est fort simple ; nous pouvons la déduire sans peine dès lors que nous manifestons un tant soit peu d’empathie : il n’y en a pas (cf. infra).

C’est-à-dire que le mal que nous pouvons créer lorsque nous sommes « absents à soi » ne peut être circonscrit par les normes que la société érige. Si nous pouvons facilement comprendre que les normes morales imposées par une société sécuritaire ne sont pas suffisantes à endiguer le mal commis à autrui, il n’est pas aisé, compte tenu des faux paradigmes que nous inculquent certaines idéologies dominantes, d’aborder le problème des solutions à mettre en place pour contenir un tel fléau.

Néanmoins, considérant le fait désormais établi qu’il existe bel et bien des niveaux de raisonnement moral corrélés avec la maturité des émotions, la façon d’exprimer ces dernières ou de les ressentir constitue donc également un très bon indicateur du sens moral des individus. Mieux encore, étant donné que le questionnaire de L. KOHLBERG ne permet pas d’élucider la nature des liens qui existent entre le raisonnement moral d’un individu et ses comportements ou ses prises de décisions, la mesure de la maturité émotionnelle aurait une valeur prédictive bien plus efficiente que l’analyse des dilemmes moraux impersonnels tels qu’ils furent initialement imaginés.

Compte tenu du faible intérêt que la communauté scientifique a jusqu’à présent accordé aux émotions, la maturité émotionnelle n’a pas fait l’objet d’études approfondies au même titre que celles effectuées pour le raisonnement moral ou la moralité, mais ces deux dernières décennies ont été immensément prolixes en ce domaine grâce notamment aux recherches engagées par les chercheurs cités précédemment tant et si bien que l’intelligence émotionnelle, que mesure le quotient émotionnel (ou QE) – la maturité –, est désormais considérée comme indispensable à une conscience de soi (ou « présence à soi ») ‘étendue’[13].

Mais historiquement ce constat est très récent en occident tant et si bien qu’il est refusé par une grande majorité d’entre nous, car il va à l’encontre des préjugés actuels et des aprioris qui gravitent sur la question des émotions.

Même si quelques précurseurs, auxquels ne manquent pas de rendre hommage les spécialistes précédemment cités, avaient bien pressenti l’importance des émotions dans nos prises de décision et nos tendances à l’action, la raison (le bon sens) a toujours été et est encore le paradigme dominant de notre société occidentale.

Il n’en va toutefois pas de même d’autres traditions.

 

La prise de conscience de l’importance des émotions :

Sous l’impulsion de Francisco VARELA, chercheur en biologie humaine et en science cognitive et ami du Dalaï-lama, une association réunissant quelques scientifiques de renommée mondiale et des représentants du bouddhisme – tel que le français Matthieu RICARD – fut fondée afin d’étudier le fonctionnement du cerceau des méditants grâce aux neurosciences alors en pleine expansion. Ainsi naquit le Mind and Life Institute (« Esprit et Vie ») dont le vingt-cinquième anniversaire fut célébré en 2013. Ces entretiens entre scientifiques et bouddhistes ont donné lieu à d’importantes recherches qui ont permis des découvertes fascinantes concernant certains postulats bouddhistes en matière de connaissance de l’esprit, de la conscience, des émotions, etc. Ces conférences ont été relatées dans de nombreux livres touchant tous aux divers aspects des phénomènes psychiques étudiés.

Le premier auteur à s’être fait connaître suite à ces échanges fut Daniel GOLEMAN qui fut le coordinateur scientifique de la troisième édition « Esprit et Vie » organisée en 1990 et dont le thème portait sur les rapports entre les émotions et la santé. Le succès de son livre L’intelligence émotionnelle qui parut en 1995 (1997 en France) lui assura une renommée mondiale[14]. Mais l’un des tout premiers neuroscientifiques ayant participé à ces débats, lors des rencontres « Esprit et Vie II » de 1989, ne fut autre qu’Antonio DAMASIO[15].

Ce rapprochement entre différentes cultures, né d’une volonté commune, a permis aux neurosciences contemporaines de s'interroger sur le problème des émotions dont l’intérêt était totalement tombé en désuétude.

Reste désormais à organiser toutes les données récoltées à la suite des travaux initiés par ces réunions pour que, « cette confrontation entre la science moderne et la définition traditionnelle de la conscience par le bouddhisme puisse jouer en faveur de la paix dans le monde »[16].

Par ailleurs, comme le souligne également Antonio DAMASIO dans ses ouvrages, ainsi que la majorité des participants aux différentes rencontres organisées par l’institut « Esprit et Vie », parfaire nos connaissances sur la façon dont notre cerveau fonctionne et prend des décisions ne peut que contribuer à améliorer notre société. Pas très loin de ce que déclarait Henri LABORIT lorsqu’il disait : « Tant que l'on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette Planète, la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent, tant que l'on n'aura pas dit, que jusqu'ici cela a toujours été pour dominer l'Autre ; il y a peu de chance qu'il y ait quelque chose qui change ! »[17]

Ceci dit, que nous apprennent les neurosciences sur l’intelligence émotionnelle ?

D’une part, qu’elle a besoin d’un terreau fertile pour croître et se développer afin qu’à chacune des étapes successives qu’elle doit franchir, il y ait réorganisation de l’équipement cognitif, car, tout comme pour le raisonnement moral, l’ancien est dépassé dans sa relation au monde et à autrui (cf. point b. des caractéristiques du développement de L. KOHLBERG).

Et d’autre part, qu’il existe différents niveaux de régulation homéostatique automatisée, nécessaires à l’émergence des émotions et des sentiments sans qui aucune intelligence émotionnelle ni aucune conscience ou raison supérieure ne peut se manifester.

Plutôt qu’une longue explication, voici comment Antonio DAMASIO présente ce processus :

Niveau de régulation biologique. Le niveau fondamental de régulation biologique – le kit de survie – comprend les états biologiques qui peuvent être consciemment perçus comme des pulsions et des motivations et comme des états de douleur et de plaisir. Les émotions se trouvent à un niveau supérieur de complexité. Les flèches qui vont dans les deux sens désignent la causalité ascendante ou descendante. Par exemple, la douleur peut induire des émotions, et certaines émotions peuvent comporter un état de douleur. (Antonio DAMASIO, Le sentiment même de soi, tableau 2.1. p. 77).

Représentation des niveaux de régulation homéostatique automatisée (Nda : niveau de régulation biologique dans le schéma précédent), du plus simple au plus complexe. Les sentiments assurent un autre niveau de régulation homéostatique. Ils sont une expression mentale de tous les autres niveaux de régulation homéostatique. Il existe au moins trois sortes d’émotions proprement dîtes : les émotions d’arrière-plan, les émotions primaires, et les émotions sociales. Le principe d’emboîtement s’applique ici aussi. Par exemple, les émotions sociales incorporent des réponses qui font partie des émotions primaires et d’arrière-plan. (Antonio DAMASIO : Spinoza avait raison, joie et tristesse, le cerveau des émotions ; synthèse reproduite à partir des figures 2.1., 2.2., et 2.3., respectivement p. 38, 44 et 52).

Les deux schémas ci-dessus éclairent sous un jour nouveau (pour notre société occidentale) la relation indissociable qui existe entre émotions, sentiments, conscience et raison ‘pure’[18]. Mais pour que naissent des sentiments donnant lieu aux états mentaux supérieurs, il faut que les émotions éprouvées par soi ou par autrui soient perçues correctement, d’où toute l’importance de l’intelligence émotionnelle sans quoi notre perception du monde n’est plus qu’un succédané d’interprétations farfelues propre à justifier la mise en valeur de notre égo.

Il apparaît donc que les sentiments sont déterminants pour la « conscience de soi », ou : « la présence à soi ». En d’autres termes, une personne « absente à soi » n’a pas conscience des sentiments qui l’habitent, et ce, même si elle a conscience d’éprouver certaines émotions.

Ce dernier point est particulièrement important, car il signifie qu’en l’absence d’émotions, et notamment d’émotions secondaires telles que les émotions sociales, nul n’est tenu de respecter ses engagements envers autrui puisque c’est à ce niveau qu’intervient la négation de l’altérité, c’est-à-dire, la psychopathie.

Nous avons peine à imaginer les très lourdes conséquences que cela implique pour une société qui a jusqu’à présent considéré que les émotions doivent être jugulées au point de les honnir. Cependant, nous en mesurons tous intuitivement les effets dans cette période particulière de climat social de plus en plus nauséabond.

Si nous voulions chercher d’autres exemples pour étayer ce postulat et mesurer ces effets destructeurs, nous les trouverions dans les études effectuées en victimologie sur la criminalité et la récidive dont le coût atteint 3 à 6 % du PIB national soit environ une à deux fois le déficit annuel du budget de la nation. Mais ce que nous démontre avant tout l’abondante recherche effectuée dans ce domaine, c’est qu’aucune obligation, aucune loi, aucune règle ne peuvent contraindre certains récidivistes à ne plus commettre de délits[19]. Ignorer ce fait constaté par tous les intervenants sociaux en milieu judiciaire rend très problématique la mise en place de politiques publiques visant à réduire la délinquance et la répétition du passage à l’acte criminel.

Ce ne sont donc pas les interdits posés par des dogmes qui répriment nos pulsions transgressives, mais bien les sentiments qui naissent suite aux émotions morales impliquées dans la prise de décision (cf. tableau 2 article Empathie, conscience morale et psychopathie – Le développement moral partie 1/3), car « c’est à travers les sentiments dirigés vers l’intérieur et privés, que les émotions, qui sont, elles, dirigées vers l’extérieur et publiques, commencent à exercer leur impact sur l’esprit : mais pour que les sentiments exercent pleinement et durablement leur impact, la conscience est indispensable, parce que c’est seulement quand advient un sentiment de soi que l’individu qui a des sentiments en prend finalement connaissance. »[20]

 

Conclusion :

En d’autres termes, comme l’explique Antonio DAMASIO tout au long de ses recherches et de ses différents ouvrages, pour que « le sentiment même de soi », la « présence à soi », s’exprime de façon efficiente, il est primordial, non seulement d’être maître de ses émotions, mais également de les ressentir pour en éprouver leur impact afin de toujours prendre les meilleures décisions possibles en toute connaissance de cause.

Si nous comprenons ce que désigne l’expression « en toute connaissance de cause » telle que comprise ici au sens de la « présence à soi » appliquée aux prises de décision et aux tendances à l’action, alors nous pouvons très bien mesurer l’ampleur de l’irresponsabilité dont font preuve tous ceux qui souscrivent à la pensée néolibérale actuelle basée sur le faux paradigme de l’hégémonie de la raison sur les passions. En niant ces dernières, les idéologies dominantes nous entraînent tous vers un désastre imminent, car il faut avoir présent à l’esprit que « lorsque l’émotion est laissée totalement à l’écart du raisonnement, comme cela arrive dans certains troubles neurologiques, la raison se fourvoie encore plus que lorsque l’émotion nous joue des mauvais tours dans le processus de prise de décision »[21].

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faudrait examiner l’évolution des idées sur plusieurs siècles, voir depuis la naissance de notre civilisation, mais pour faire simple et contenter quelques curieux, je me limiterais à fournir les explications qu’a pu donner récemment – à l’échelle de notre civilisation – Carl Gustav JUNG qui écrivit dans son dernier ouvrage paru en 1961 : « L'homme moderne ne comprend pas jusqu'à quel point son rationalisme qui a détruit sa capacité à répondre aux idées et aux symboles numériques l'a mis à la merci de l'inframonde psychique. Il s'est libéré de la superstition – ou ainsi le croit-il –, mais, dans le même temps, il a perdu ses valeurs spirituelles jusqu'à un degré positivement dangereux. Sa tradition spirituelle et morale s'est désintégrée et il paie maintenant le prix de cette rupture en voyant désorientation et dissociation s'étendre au monde entier »[22].

Or, la dissociation de la personnalité, observée chez les psychopathes, est un trait caractéristique de cette pathologie[23]. Dès lors, comment intégrer la maîtrise des émotions pour que naisse une raison supérieure ?

À suivre…

 

Philippe VERGNES


[1] Antonio DAMASIO, Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions, p. 187

[2] D’après la célèbre citation de GANDHI : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».

[3] Cf. Yves PRIGENT, La cruauté ordinaire, où est le mal ?, livre dans lequel l’auteur développe son concept de manipulation destructrice corolaire du harcèlement moral.

[6] Le concept d’intelligence émotionnelle est relativement récent puisqu’il est attribué aux travaux de deux psychologues sociaux, John MAYER et Peter SALOVEY qui le caractérisent dès 1990 pour ensuite le définir ainsi : « L’intelligence émotionnelle est la capacité à percevoir les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre les émotions et à les maîtriser afin de favoriser l'épanouissement personnel », (Mayer & Salovey, 1997). Cette notion fut toutefois popularisée par l’ouvrage de Daniel GOLEMAN intitulé : L’intelligence émotionnelle.

[7] Antonio DAMASIO, Spinoza avait raison, joie et tristesse, le cerveau des émotions, p. 148.

[8] Michel TERESTCHENKO développe de nombreux arguments en se référant aux analyses de nombreux auteurs ayant tous étudié les différentes formes de totalitarisme présent au XXe siècle ainsi qu’aux expériences de Stanley MILGRAM sur la soumission à l’autorité, de Philip ZIMBARDO ou encore aux recherches de Christopher BROWNING sur le massacre des juifs perpétré par le 101e bataillon de réserve de la police allemande dont l’histoire est relatée dans son ouvrage de référence : Des hommes ordinaires.

[9] Michel TERESTCHENKO, Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, p. 17 (les mots en gras ont été soulignés par l’auteur).

[10] Ibidem, p. 17.

[11] Ibidem, p. 17.

[12] Ibidem, p. 17 (les mots en gras ont été soulignés par l’auteur).

[13] Selon l’expression qu’Antonio DAMASIO utilise dans son ouvrage Le sentiment même de soi – Corps, émotions, conscience.

[14] Pour un complément d’information sur le Mind and Life Institute et l’ouvrage de Daniel GOLEMAN, lire l’article du 13 janvier 2013 de Matthieu RICARD paru sur son blog : Célébration des 25 ans de l’Institut Mind and Life.

[15] Sa contribution lors de cette conférence est relatée dans un ouvrage intitulé Le pouvoir de l’esprit, entretiens avec les scientifiques (présentation de l’ouvrage par le magazine Science Humaine).

[16] Sa sainteté le quatorzième Dalaï-lama, Le pouvoir de l’esprit – Entretiens avec des scientifiques, p. 13. Dans cette citation, j’ai remplacé les mots « pourrait bien » par « puisse » pour que le propos soit cohérent avec l’élément de phrase qui le précède.

[17] Extrai du film d’Alain RENAIS Mon oncle d’Amérique (1980).

[18] Selon l’usage de ce terme tel qu’employé dans la première partie de cette série d’articles : raison pure = raison supérieure.

[19] Pour tous ceux qui en doutent encore et qui sont malheureusement majoritaires, lire à ce sujet le témoignage d’un conseiller d’insertion et de probation qui explique comment se déroule son travail au quotidien en relation avec des détenus. Extrait : « On ne le dira jamais assez : la prison n’a d’intérêt que pour punir, elle n’en a quasi aucun pour empêcher la réitération d’actes délictueux. Je répète : la prison n’a que peu d’effet dissuasif ou préventif. Y croire, c’est comme croire dans le créationnisme : ça ne repose sur rien d’autre que nos idées et c’est contredit par les faits » (Ce que vous n’avez pas envie de savoir sur les prisons françaises, sur le site Rue89.com, paru le 19 décembre 2013).

[20] Antonio DAMASIO, Le sentiment même de soi – Corps, émotions, conscience, p. 52.

[21] Antonio DAMASIO, L’erreur de DESCARTES – La raison des émotions, p. IV.

[22] Carl Gustav JUNG, L’homme et ses symboles.

[23] Sous réserve des précautions émises au point [16] du précédent article sur le concept de dissociation.

 


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22 réactions à cet article    


  • claude-michel claude-michel 9 janvier 2014 08:50

    « La conscience est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal. »... ?
    La conscience est une chose....et l’intelligence une autre...100% des gens ont une conscience...mais seulement 0,1% ont l’intelligence en plus... !


    • Philippe VERGNES 9 janvier 2014 10:21

      Bonjour claude-michel,

      « La conscience est une chose... et l’intelligence une autre... 100 % des gens ont une conscience... mais seulement 0,1% ont l’intelligence en plus... ! »

      Heuuu... malheureusement : NON ! Et c’est bien là tout le problème. Il serait plus juste de dire que 100 % de gens croient avoir une conscience et sur la base de cette croyance pensent agir avec intelligence. Mais tout ce qui se passe dans notre société, actuellement et depuis la naissance de notre civilisation, démontre le contraire.

      Toutefois rassurez-vous, je n’ai nullement l’intention de vous convaincre du contraire.


    • claude-michel claude-michel 9 janvier 2014 10:38

      La conscience est, du point de vue de certaines philosophies et de la psychologie, la faculté mentale qui permet d’appréhender de façon subjective les phénomènes extérieurs (par exemple, sous la forme de sensations) ou intérieurs (tels que ses états émotionnels) et plus généralement sa propre existence. Si je suis triste ou heureux et que je me rends compte que je suis triste ou heureux, par exemple, je prends alors conscience de mes états affectifs.


    • claude-michel claude-michel 9 janvier 2014 10:40

      Par Philippe VERGNES....tout le monde à une conscience...c’est la base pour l’humain de se rendre compte de son existence...(voir en dessous)


    • Hervé Hum Hervé Hum 9 janvier 2014 18:23

      claude-michel, la conscience est en toute chose, même un atome !


    • Francis, agnotologue JL 9 janvier 2014 11:16

      Traduction, trahison.

      La phrase « La conscience est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal. » me parait être une définition restrictive de la conscience.

       Ce que Confucius appelle ’’lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal’’ a, me semble-t-il, été traduit faute de mieux par le mot conscience, mais ce n’est pas seulement cela que nous entendons de nos jours par le mot conscience. Aujourd’hui il existe un mot qui n’existait pas il y a seulement 50 ans et qui permettrait d’écrire :

      « L’empathie est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal. » (Confucius)


      • César Castique César Castique 9 janvier 2014 13:02

        « Aujourd’hui il existe un mot qui n’existait pas il y a seulement 50 ans et qui permettrait d’écrire... »


        Si un aspect de la nature humaine n’a pas été identifié, nommé et décrit par les philosophes de la Grèce antique, c’est qu’il s’agit d’une construction intellectuelle sans réels fondements.



      • Francis, agnotologue JL 9 janvier 2014 13:28

        @ Césarcastique,

        en seriez vous dépourvu au point d’en nier l’existence chez les autres ?


      • César Castique César Castique 9 janvier 2014 18:54

        "en seriez vous dépourvu au point d’en nier l’existence chez les autres ?"

        Tout en étant conscient des limites de mon jeu d’acteur, je ne nie pas la capacité des autres de se jouer un cinéma.

        En fait, on peut toujours tenter d’imaginer ce que seraient nos sentiments dans une situation donnée, mais de là à penser que les autres éprouvent, ou éprouveraient, les mêmes dans les mêmes , il y a une sacrée marge.

        Prenons un cas extrême, vous êtes condamné à mort aux Etats-Unis et, dans quelques jours, vous allez être exécuté, que ressentez-vous ?

        Je prétends que tant que vous n’êtes pas en situation d’être exécuté à bref délai, vous ne pouvez pas le savoir.

        A partir de là, comment pouvez-vous ressentir de l’empathie pour un condamné à mort à qui on annonce qu’il va être exécuté, si ce n’est en vous mettant vous-même en scène et non lui ?

        Or, il a tué quelqu’un dans des circonstances telles que la peine de mort lui est applicable, et pas vous, il est dans le couloir de la mort depuis dix ou douze ans, alors que vous êtes en liberté, il sait qu’il va mourir et vous, vous savez que vous n’allez pas mourir, et vous croyez pouvoir ressentir les mêmes sentiments que ce type qui biffe les jours sur un calendrier ?

        C’est tout simplement illusoire, du cinéma comme je disais…


      • Francis, agnotologue JL 9 janvier 2014 19:14

        @ César Castique,

        je m’en voudrais d’entamer ici avec vous, un débat qui interpelle directement Philippe Vergnes, à qui d’ailleurs était adressé ce premier post auquel vous avez réagi.

        Je lui laisse donc la parole tant je considère qu’un débat entre vous deux sur ce sujet serait passionnant.


      • César Castique César Castique 11 janvier 2014 11:55

        « je m’en voudrais d’entamer ici avec vous, un débat qui interpelle directement Philippe Vergnes, »


        Je ne sais pas si votre intervention s^’inscrivait dans le cadre d’un concours de dégonflage, mais si c’est le cas. vous l’avez emporté de plusieirs longueurs.

      • Marc Chinal Marc Chinal 9 janvier 2014 11:23

        Halala, une fois de plus beaucoup beaucoup de mots pour pas grande chose...
        Vous parlez des émotions sans donner une seule « carte ».
        Pourtant elle existe...


        • Philippe VERGNES 9 janvier 2014 11:34

          Bonjour Marc CHINAL,

          Vous avez changé de logo ???

          Je le trouvais plus joli l’ancien, mais peut-être n’emportait-il pas suffisamment l’adhésion de vos concitoyens ? Dommage...

          Allez, c’est parce que je vous aime bien et que vous me faîtes rire de bon matin : INCONSCIENT !!! smiley

           smiley smiley smiley


        • Ruut Ruut 9 janvier 2014 12:48

          J’aime bien votre carte, elle me semble correcte.
          Il est vrais que pour sa survie il vaut mieux rire que pleurer, même si c’est lié.


        • Hervé Hum Hervé Hum 9 janvier 2014 14:57

          Bonjour Philippe,

          je trouve cette partie moins instructive que la première, qui m’avait beaucoup plu.

          Une réponse simple à cette question consiste à dire que « l’absence à soi » intervient dans la genèse du mal parce qu’elle manifeste un faible développement de notre sens moral qui a pour principale fonction d’inhiber nos conduites asociales ou amorales.

          Je ne partage pas ce point de vue, car si « l’absence à soi » intervient bien dans la genèse du mal, ce n’est pas sur le plan moral qu’elle agit, mais sur la violence qu’elle engendre, laquelle ne doit pas être prise au sens moral, mais de lutte pour « revenir à soi » .

          En effet, ’l’absence à soi« , consiste à placer autrui avant soi même et donc conditionner son action à cet autre qui occupe, est  »la présence à soi« .

          Donc, »l’absence à soi« entraîne systématiquement une réaction, que l’on pourrait qualifier de ’ »défense immunitaire« contre une agression extérieure.

          La seule manière de ne pas rejeter cet intrus, c’est de transformer ’l’absence à soi » en « abandon de soi ». Dans le cas des sectes, c’est cette dernière qui est suscité. Par contre, si cette « absence à soi » est vécu comme un viol de soi, alors elle s’interprète comme « l’être hors de soi » et n’a qu’une seule réponse, la haine envers celui qu’on accuse d’occuper « la présence à soi ».

          On se retrouve ainsi avec l’absence à soi« pouvant évoluer de deux manière, »l’être hors de soi« et »l’abandon de soi« . Donc, ’l’absence à soi » dérive soit en haine et violence envers soi et autrui ou bien conduit à la perte de son libre arbitre et de son égo.

          Mais je ne crois pas que ce soit déterminant pour distinguer le bien du mal, donc du sens moral. Ce dernier est régit par les lois de réciprocités d’où découle les principes de justices et d’équités et non par les lois de l’empathie proprement dites.

          La morale, la justice, l’étique trouvent toutes trois leur représentation dans la balance, l’équilibre des poids entre deux sujets distinct mais considérés comme égaux. Le fondement moral repose sur l’égalité. C’est pour conserver ce principe absolu d’équilibre que l’on va chercher à différencier les sujets en classes et les hiérarchiser, de telle sorte que n’ayant pas la même valeur, qualité équivalente, il ne peut y avoir réciprocité parfaite mais relative que l’on distinguera par la quantité.

          Ainsi, la femme n’était pas reconnu comme l’égal de l’homme suivant des critères de capacité et de force, permettant ainsi d’appliquer une morale distincte entre l’homme et la femme sans pour autant rompre avec le principe absolu de symétrie.

          L’émotion, n’agit pas directement sur la morale, mais sur la charité et la pitié qui ne supportent pas en eux même la morale, mais l’empathie. Ainsi, les dames patronnesses affirmaient leur empathie envers les pauvres, mais pas leur moralité qui défendait leur position sociale. La déclaration des droits de l’homme stipule bien que tous les êtres humains son égaux en droits, mais ne reconnait pas qu’ils sont égaux en qualité et capacité. Ce sont ces derniers critères qui justifie une morale donnant la richesse aux uns et pas aux autres. Le communisme viendra contester cette morale, arguant que ce sont les travailleurs qui produisent les richesses par leur sueur.

          En fait, cela montre que la morale est déterminé par le principe du « tiers inclus » « tiers exclu ». Le bien et le mal sont donc des notions relatives à ce principe.

          En effet, ce qui conditionne la morale, le bien et le mal, c’est l’appartenance ou non au groupe. Nuire à une personne de son groupe est un mal de 1er degré, à une personne extérieure un mal de 2ème degré et à un animal un mal de 3ème degré voir ce n’est pas un mal. Pour considérer de mal de 1er degré nuire à une personne extérieure, exige d’intégrer son propre groupe à l’intérieur d’un groupe supérieur où la personne extérieur à son propre groupe se trouve incluse. Ce qu’on nomme l’universalité de la condition humaine.

           La polémique actuelle avec Dieudonné en est un exemple parfait, puisqu’il s’agit de savoir si on peut distinguer le génocide juif de tous les autres moralement ? face à l’universalité de la condition humaine, la réponse est non, aussi, le traitement particulier de la shoah entraîne un déséquilibre moral dont la conséquence est le retour de l’antisémitisme.

          La perversité est que cet antisémitisme est utilisé par certains juifs pour justifier leur propre agressivité auprès de leur communauté. Ce qu’on appelle jouer au pompier pyromane !


          • Philippe VERGNES 10 janvier 2014 10:41

            Bonjour Hervé,

            Merci pour ce commentaire dument argumenté.

            Tu soulèves plusieurs points vraiment intéressant qui nécessiteraient de longs débats.

            Grosso modo, nos points de vue reflètent à leur manière les rencontres de l’institut esprit et vie : d’un côté le point de vue scientifique tel qu’actuellement développé, de l’autre celui du bouddhisme tel que représenté par le Dalaï-Lama.

            Connaissant tes positions pour avoir lu pas mal de tes articles et de tes commentaires, je me doutais bien que tu n’approuverais pas l’affirmation de la phrase de mon article que tu reprends dans ton commentaire.

            Bhein figures toi que je ne suis pas en désaccord avec ce que tu dis... et ce, même si je défends également le point de vue que j’ai exposé. Ayant lu pas mal d’ouvrages bouddhistes (mais pas encore Krishnamurti) et la quasi totalité des livres écrits suite aux réunions « Esprit et Vie », j’arrive à jongler entre ces deux positions (scientifique et bouddhiste).

            Pour tenter d’éclaircir ce point je cite un extrait du Livre Tibétain de la Vie et de la Mort de Sogyal Rinpoché (p. 88) :

            « Ce que l’on a coutume d’appeler « esprit » est généralement très estimé et fait l’objet de nombreuses discussions, cependant, il demeure incompris, ou compris de manière erronée ou partielle. Parce qu’il n’est pas compris correctement, en tant que tel, voici que naissent, en nombre incalculable, idées et affirmations philosophiques. De plus, puisque les individus ordinaires ne le comprennent pas, ils ne reconnaissent pas leur propre nature ; ils continuent donc à errer au gré des renaissances dans les six états d’existence, à l’intérieur des trois mondes, et connaissent ainsi la souffrance. En conséquence, ne pas comprendre son propre esprit est une très grave erreur. »

            L’auteur tire cette citation d’un autre ouvrage dont il donne les références puis conclut :

            « Comment pouvons-nous désormais renverser la situation ? C’est très simple. Notre esprit peut s’orienter de deux façons : soit vers l’intérieur, soit vers l’extérieur. »

            D’où il ressort que je ne trouve pas ta prise de position erronée, tout comme la mienne ne l’ai pas non plus. La différence réside dans le chemin emprunté : extérieur ou intérieur. Dans mes articles, j’explore le chemin extérieur pris par la science, mais cela ne signifie absolument pas que je nie qu’il puisse exister une autre voie (c’est-à-dire que sur ce point là je ne prends pas fait et cause pour la science moderne).

            Une autre précision importante que j’ai volontairement éludé lors de mon précédent article (peut-être à tort !?) : à la fin de sa vie L. KOHLBERG a suggéré qu’il existait un 7e stade de développement moral postconventionnel qu’il a qualifié de « mystique ». Ce terme en lui seul est suffisamment explicite indique que du point de vue de l’évolution, le développement moral peut également conduire à la découverte de ce que les bouddhistes appellent la nature de l’esprit ou la conscience pure.

            Sur la question des émotions liées à la morale, en fait et toujours du point de vue majoritaire adopté par notre civilisation occidentale, c’est-à-dire celui de l’évolution, il existe bel et bien des émotions morales (cf. le tableau des émotions morales de Jonathan HAIDT présenté dans mon précédent article). Ce sont bien les « circuits imprimés » du cerveau qui gère ce type d’émotions qui sont absents ou endommagés chez les psychopathes. Pour correctement se représenter cela, il faut avoir une carte mentale de l’organisation en modules indépendants mais agissant en interrelation (d’où l’image du cerceau que j’avais choisi pour illustrer l’un de mes articles). Chaque émotion active des dizaines, voire des centaines, de modules (ou sous-systèmes) différents. C’est ce qui fait toute la complexité du fonctionnement cérébral. Si un seul de ces modules est endommagé, c’est l’émotion ou les émotions concernées qui sont dysfonctionnelles. De ce fait, il n’y a plus la capacité d’apprendre des expériences vécues produisant le type d’émotion sous tendu par la base neuronale déficiente.

            Bref, cela demanderai encore de longues explications qui feront peut-être l’objet d’un autre article prochainement. smiley

            En tout état de cause, bonne journée à toi.


          • Hervé Hum Hervé Hum 10 janvier 2014 14:06

            ùBonjour Philippe,

            merci pour ta réponse.

            Effectivement, tout cela nécessite de longs développement, mais c’est pas mon truc, moi j’aimes surtout découvrir les concepts, les idées mais pas les approfondir. Ce fut une volonté dès le départ pour développer ma capacité de synthèse qui exige de garder une certaine distance avec les sujets.

            Le revers de la médaille est que je ne peux pas trop m’éloigner de mes propres analyses.

            Ainsi pour ce qui est de la relation entre l’émotion et la morale il est clair que la première précède la seconde dans la construction du cerveau. Pour autant, la morale se base sur le principe de réciprocité où donc il s’agit de savoir ce qui est de même niveau et ce qui ne l’est pas. Donc ce qui est inclu à son groupe ou exclu. Car fondamentalement on peut faire abstraction de toute émotion pour ce qui n’appartient pas à son groupe.

            Enfin, pour revenir à ma dce, celle ci montre bien que la structuration de notre cerveau commence entièrement par les émotions éprouvés autant par nos sens que par l’affection que l’on reçoit et pour lesquelles on ne distingue pas ce qui est en soi de ce qui est d’autrui.
            En d’autres termes, la notion d’intériorité et d’extériorité n’existe pas pour un bébé car il ne sait pas faire la différence. Ce n’est qu’en grandissant qu’il apprendra à distinguer lui des autres. Et c’est de sa capacité à accepter d’abord cette distinction, cet isolement, qui déterminera sa relation ultérieure avec autrui. Donc, son attachement ou non à la morale qui avec le principe de réciprocité et d’appartenance ou non u un groupe est un principe universel.

            L’émotion atteint directement la morale lorsqu’un enfant doit renoncer à assouvir, à réaliser un rêve d’enfant. Un désir non réalisé se transforme en frustration si on n’a pas pris soin de lui ôter son énergie propre (car sinon, cette énergie continu à exister et croitre dans la dimension dans laquelle elle est né et comme cette dimension est antérieure à celle ou celles qui les suit, elle continu d’agir et exige toujours plus d’effort pour la contenir). L’enfant devenu adulte devra alors choisir entre se conformer au principe de réciprocité de la morale à l’intérieur de son groupe, mais accepter de ne pas pouvoir assouvir son désir, ou bien rejeter la morale pour assouvir son désir par tous les moyens possibles. Or, la vie étant limité, la pression dû à cette limite devient toujours plus grande (cette donnée essentielle manque cruellement dans ici, car elle explique le caractère pulsionnel de l’émotion).

            Comme je pense te l’avoir déjà dit, de mon point de vue, ce qui se transfère d’une dimension de conscience à l’autre ce sont les émotions, non la morale. Par contre, des conditions du transferts de nos émotions d’une dimension à l’autre dépendra notre rapport à la morale. Mais la morale elle reste inchangé en elle même, puisque régit par le principe de réciprocité. Ce qui change, ce n’est pas le principe moral, mais le rapport qu’on à avec elle. Dans ce rapport, je peux même nier que la morale ait une valeur réelle, sans pour autant nier son principe, dès lors que je réduit la vie à la simple satisfaction de ses désirs. C’est le débat de savoir si la fin justifie les moyens. La morale dit non sur le principe de réciprocité.

            Donc, les outils sont de trois ordres pour juger du comportement d’une personne, L’émotion quand à sa satisfaction ou frustration. Le tiers inclus ou exclu qui permet de savoir dans quel espace émotionnel évolue la personne, et enfin, l’acceptation ou non du principe de réciprocité pour savoir si le principe de la morale est acquis ou non.


          • Philippe VERGNES 11 janvier 2014 11:27
            Bonjour Hervé,

            Je me permets de rebondir sur quelques unes de tes remarques qui pour certaines me fond sourire smiley et pour d’autres m’inspirent. Je m’explique :

            « Effectivement, tout cela nécessite de longs développement, mais c’est pas mon truc, moi j’aime surtout découvrir les concepts, les idées mais pas les approfondir. »

            Bhein heureusement que c’est pas ton truc parce que j’ose à peine imaginer ce que cela donnerait si tu décidais de les approfondir. smiley

            Si tous les intervenants présents sur Agoravox analysaient les articles qu’ils commentent aussi « superficiellement » que toi, nul doute qu’il y aurait beaucoup moins de tension dans les échanges. Lorsque je constate le nombre de prises de tête et d’engueulades provenant d’erreur d’interprétation que l’on peut lire, ça donne le frisson : foncièrement, les gens ne sont pas en désaccord, mais s’obstinent à ne pas comprendre leurs interlocuteurs qui s’expriment avec des mots différents tout en voulant dire la même chose.

            C’est tuant !!!

            A croire que nous sommes d’avantage portés à la guerre plutôt qu’à la paix. Après, je comprends très bien ton choix...

            Sur le développement de tes propres analyses, je n’ai absolument rien à redire si ce n’est de préciser quels sont les mots que j’utilise pour au final, décrire la même chose que toi :

            « Donc, les outils sont de trois ordres pour juger du comportement d’une personne, L’émotion quand à sa satisfaction ou frustration. Le tiers inclus ou exclu qui permet de savoir dans quel espace émotionnel évolue la personne, et enfin, l’acceptation ou non du principe de réciprocité pour savoir si le principe de la morale est acquis ou non. »

            Rien à redire sur l’émotion. Je traduis ce que tu appelles « le tiers inclus ou exclu » par le sentiment d’empathie (qui sera le thème du dernier article de cette série). Certains auteurs décrivent cette fonction cérébrale sous les termes d’intelligence intrapersonnelle ET interpersonnelle. Au sujet de la réciprocité, l’expression parle d’elle-même, mais je porte d’avantage l’accent sur la notion de respect mutuel en expliquant ensuite que pour qu’il y est respect mutuel, il faut une réciprocité.

            Bref, ce ne sont pour moi que diverses manières de dire la même chose de façon plus ou moins complète, mais bien souvent, le fait d’exprimer une idée ou un concept de différente façon permet de l’enrichir plutôt que de l’appauvrir. C’est du moins ainsi que je vois les choses.

            Aussi, merci pour le temps que tu passes à commenter mes articles, même lorsque c’est pour en pointer les lacunes ou exprimer ton désaccord.

            Personnellement, ce qui m’intéresse, c’est d’observer comment des personnes comme les psychopathes qui éprouvent certaines émotions, mais pas toutes, parviennent à « singer » la présence d’un morale et s’en revendiquer, tout en agissant sans aucune morale comme nous en avons discuté autour du problème de la morale utilitariste. Et plus fascinant encore et de voir à quel point nous sommes trompés et manipulés par ce genre d’attitudes.

            A ce titre, l’affaire Dieudonné m’a inspiré un court billet (une fois n’est pas coutume, LOL) dont j’ignore s’il sera accepté par la modération, mais dont je serais curieux de lire les réactions.

            En attendant, bon week-end et à la prochaine.


          • rhea 1481971 10 janvier 2014 07:17

            Henri Laborit a écrit le carburant de l’homme est l’action gratifiante, la réalité de notre civilisation ne permet pas à chacun de vivre d’actions gratifiantes, seule une minorité en jouit. Les autres sont pour une majorité des névrosés, Freund l’avait compris, il était élitiste, il déclarait : il faut éviter de sortir le peuple de ses névroses. L’organisation pyramidale de notre civilisation implique qu’il soit nécessaire que les couches du bas de la pyramide n’est pas fait les sauts conceptuels qui ont été effectué par le haut de la pyramide.


            • Philippe VERGNES 10 janvier 2014 08:53

              Bonjour Rhea1481971,

              Merci pour votre apport et ces précisions que je plussoie.

              Bonne journée.


            • Francis, agnotologue JL 10 janvier 2014 09:49

              @ rhea qui écrit :’’la réalité de notre civilisation ne permet pas à chacun de vivre d’actions gratifiantes’’

              Parce que vous croyez, rhea, que les actions gratifiantes sont l’apanage des riches ?

              Entre DSK et Madame Nafissatou Diallo, lequel des deux a commis en définitive, l’action la plus gratifiante, à votre avis ?

              Un pauvre hère qui partage son pain avec son compagnon à quatre pattes commet-il une action moins gratifiante que ce monsieur Dassault n’en a commis et qui lui vaudrait d’être jugé comme le serait n’importe quel voyou criminel présumé, et qui doit encore son immunité parlementaire à des scélérats de sa classe, puisque c’est comme ça qu’il convient de les nommer ? Croyez vous que ces scélérats ont commis là une action gratifiante ? Un ouvrier consciencieux commet-il oui ou non, une action moins gratifiante par son travail que celui qui, DRH investi par des possédants gorgés de pognon licencie toute l’usine pour engraisser encore davantage les rapaces ?

              Mais peut-être que pour vous, les actions gratifiantes sont celles qui procurent non pas des satisfactions d’amour propre mais des gratifications sonnantes et trébuchantes ?

              Je note une fois de plus que Philippe Vergnes perd curieusement tout esprit critique dès qu’un commentateur lui est favorable. Ici on peut lui présenter n’importe quelle bêtise, n’importe quelle ineptie, pourvu qu’on ne critique pas ce qu’il a écrit. Mieux, il les plussoie !!!

              Quant à vos lectures, vous devriez nous dire qui est ce monsieur freund ! Un ami de mister Bean ?


            • kutocurtu 1er octobre 2014 13:31

              Enorme.

              le mec lis : « la realite de notre civilisation ne permet pas a chacun de vivre d action gratifiante »

              dur a contester puisque c est mon cas, je ne peux pas vivre d action gratifiante, CQFD (si vous savez lire)

              le mec interprete : « les actions gratifiantes sont l apanage des riches »
              Ici facile a comprendre que ca n a rien a voir avec la verite precitee. D’ailleurs c’est faux et je le prouve : mon beauf vis d’actions gratifiantes, il est guide de haute montagne. il n’est pas riche , quelle que soit votre definition de riche je precise. CQFD

              le mec fais un raisonnement (pas lu, pas besoin, juste survole) en partant d’une interpretation erronee pour finir par denigrer l’article.

              Et moi bon prince je « feed the troll »

              j envoie, j envoie pas ?
              aller j envoie, nourrir les trolls ca rempli mon vide interieur

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