La culture sera-t-elle absente de 2007 ?
A l’approche des élections de 2007, les candidats se réclament tous d’une volonté de débat d’idées, histoire d’exorciser la non-élection de 2002 consécutive à une absence de projets. La culture aurait pu être un thème central de campagne, mais ce ne sera pas le cas. Les temps ont changé.
On le constate, on le déplore sans doute, mais la culture ne semble plus une valeur porteuse dans les discours politiques. Comme l’a explicité Nicolas Roméas (Le Monde, 01/09/06), la France fut porteuse d’universalité à travers ses écrivains et autres figures intellectuelles, mais maintenant, cette période semble révolue. Pourtant, nos deux présidents les plus en vue de la cinquième République, de Gaulle et Mitterrand, ont été hommes de lettres et se sont impliqués dans la promotion de la culture, chacun avec une figure emblématique incarnée au ministère de la Culture, respectivement Malraux et Jack Lang. Si ces questions culturelles semblent tombées en déshérence, ce n’est donc que récemment. Peut-on néanmoins évoquer un déclin affirmé ? Plutôt une sorte de banalisation. La marque du temps, alliée à la globalisation médiatique, a fini par engendrer des habitudes et un nivellement des valeurs, si bien que la culture n’est pas visible. Ces tendances sont liées aux évolutions des modes d’existence. Sans doute une lassitude, les créateurs et les spectateurs ont perdu l’enthousiasme et la passion sans lesquels la culture ne peut que se dessécher.
La posture de déclinologue convient-elle à une interprétation du fait culturel ? Il est fort probable que des seuils aient été atteints, et que la vie culturelle, en vitesse de croisière depuis trois décennies, marque une perte de vitesse, déjà signalée il y a dix ans. Ont été décrits divers phénomènes de déclin, autant dans le contenu que dans les études statistiques. Perte d’originalité dans le roman, a pu dire Jean-Marie Domenach. Absence d’émergence de personnalités puissantes et innovantes. Les livres de sociologie se vendent moins. Pourtant, les éditeurs publient autant, sinon plus de romans, surtout lors de la rentrée littéraire. La scène musicale n’a jamais été aussi diversifiée. Artistes confidentiels et stars de plus en plus en vue coexistent. Le théâtre survit, malgré une absence de renouvellement, d’après certains. Les musées sont remplis régulièrement. Une étude de Sophie Barluet analyse la santé fragile des revues. Voici quelques lignes explicitant sa conclusion :
« Les revues sont effectivement "en marge" aujourd’hui, elles connaissent une "perte de visibilité", beaucoup ne survivent que grâce aux aides publiques. Plus de 11 000 revues ont fait une demande d’aide au CNL depuis 1997 ». Sophie Barluet ne pense pas que toutes soient condamnées à disparaître. Bien au contraire. « Beaucoup d’entre elles ont un avenir, aussi bien en support papier que sur le Net, à condition de revenir à ce qui fut leur esprit d’origine : une réelle indépendance intellectuelle (ce qu’elles n’ont plus toujours, du fait du copinage), une identité en réseau, une distance face à l’événement. Un tel "revirement" suppose des préalables. À côté des revues généralistes, intellectuelles et littéraires, de plus en plus de revues scientifiques ont vu le jour (plus de 2000), notamment en histoire ou en sociologie, la grande singularité française. Là encore, il faut faire le tri entre les grandes revues, comme Cités, et celles qui sont le moyen d’expression d’un simple laboratoire universitaire. » (Le Figaro littéraire, 09/06/06).
Un recoupement entre cette conclusion de Sophie Barluet et les conjonctures évoquées auparavant traduisent un état de la vie culturelle dont on peut tracer les grandes lignes. En deux lignes, la culture a perdu peu à peu son sens, ses contenus ; elle est devenue une routine, un divertissement, une production insérée dans un système économique générant des profits, comme tout produit, et faisant vivre un certain nombre de personnes, autant dans le privé que grâce aux dépenses publiques. La vie culturelle est une activité comme une autre. Le sport, les voyages, le jeu, la télévision, l’Internet... et la culture. Cet état de fait n’a rien de surprenant ; il est le résultat de tendances déjà fortement affirmées il y a trente ans. Dans son billet, Roméas souligne le moment hugolien où la France rayonnait de ses valeurs à travers les écrivains, les hommes de théâtre... période suivie par celle des Alain, Jaurès, Blum, Teilhard, Malraux, et semble-t-il achevée avec Foucault, Derrida... La culture se décline en marché, postures officielles, événements, produits, loisirs. Un simple volet de nos sociétés, au lieu d’être porteuse de sens. Et comme on le soupçonne, les opportunistes et les marchands ont la meilleure place, alors que la visibilité des acteurs culturels suppose l’utilisation de la communication et des réseaux. Une fois qu’on est estampillé du sérail, on vous ouvre un accès aux champs définis non pas selon votre talent, mais selon la place occupée au sein du réseau. Lors d’une émission sur radio classique, une personnalité du monde culturel a évoqué la politique des maisons de disques lançant des cantatrices au talent usurpé, laissant de côté les voix les plus douées. Toute cette agitation, cette dynamique de ruche sociale, nuit à la visibilité du meilleur de la culture et ne fournit pas aux plus géniaux le levier pour progresser patiemment et se faire connaître. L’époque manque d’autorités culturelles, et ce sont des gestionnaires sans vergogne qui imposent ce qui doit compter. Le grand public fait confiance, et ne fera pas d’effort pour aller vers l’innovation.
Derrière cette désaffection culturelle pointe le vide abyssal des projets politiques, ceux des principaux protagonistes. Heureusement, les caméras sont là pour montrer que ces candidats existent, avec des people à leurs côtés et une salle surchauffée par les militants. Un vide faussement comblé par l’appel au sentiment national, marronnier tiré des limbes de l’histoire afin de donner une substance au vide, mais nul n’est dupe, car le fin mot de l’époque est qu’elle sonne faux si on la mesure à l’aune des discours des prétendants au trône !
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