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Commentaire de Henrique Diaz

sur Un Professeur de Français sous l'état d'urgence


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Henrique Diaz Henrique Diaz 1er mai 2016 18:05

@tf1Groupie
La « charte » de la laïcité que Peillon avait pondue n’a pas valeur de loi, ce n’est même pas un décret. De fait parler de « neutralité » du service public est un non sens : aucun service public et notamment celui d’éducation nationale n’est neutre par nature. En république, tout ne se vaut pas, il y a des biens à valoriser plutôt que d’autres : il n’y a pas neutralité de la république entre esprit critique d’un côté et obscurantisme de l’autre, savoir et ignorance, recherche du bien commun et égoïsme, despotisme et république. D’autre part, il y a eu des glissements qui conduisent au non sens : d’abord, la laïcité, c’est l’indépendance à l’égard de la religion et de tout discours dogmatique, car la république, c’est la possibilité de tout discuter, y compris de la religion et de tout ce qui touche au bien commun. Condamner la république et ses serviteurs de terrain au mutisme est un pur contresens. Ensuite, si l’Etat doit être laïque en ne reconnaissant aucune religion, cela s’applique aux puissances législatives et exécutives de l’Etat, non aux citoyens en tant que tels.

Maintenant quand un prof fait cours, il doit surtout traiter le programme qui lui est imparti. S’il fait de son cours une tribune pour sa religion ou tout autre enseignement que celui pour lequel il est engagé, on peut surtout lui reprocher, non de faire usage de sa liberté d’expression en tant que telle, mais de ne pas traiter son programme. Mais si en rapport avec ce programme, il en vient comme ce fût le cas pour le collégien et le lycéen que je fus il y a quelques années maintenant, à critiquer en anglais le caractère inhumain du régime d’apartheid, à dénoncer le caractère pseudo-démocratique de la cinquième république (en histoire) tandis qu’un professeur de philosophie dénonçait plus tard avec Tocqueville l’incitation à vivre en assistés que représente l’Etat Providence, pendant qu’un professeur de biologie raillait le caractère fantasmagorique du récit biblique touchant à l’origine du vivant etc. quel est le problème ? Ai-je été formaté par ces discours comme si j’étais une simple caisse enregistreuse des dires de mes enseignants ? Au contraire, c’est parce que j’ai un peu entendu tout et son contraire dans mon éducation, à l’école et dans la société, que j’ai réussi à me forger un jugement propre.

Si les professeurs, dans toute leur diversité, devaient cesser d’être des citoyens dans leurs cours, ils cesseraient d’éduquer à la citoyenneté, laissant un boulevard à la propagande d’Etat quand ce n’est pas au décervelage programmé des chaînes de télé, comme l’avait révélé Le Lay. Si l’école avait pris le terme de neutralité dans le sens d’un mutisme sur toute question touchant aux principes et aux valeurs, comme une certaine interprétation de la charte de Peillon pourrait y inciter, l’école deviendrait tellement neutre qu’elle n’apprendrait plus rien. Parce qu’il n’y a pas de transmission de connaissances sans transmission de valeurs. Alors si en plus, on commence à reprocher aux professeurs d’exprimer des opinions en dehors même de leurs cours, on foule les principes mêmes de la laïcité et de la république.

Bien sûr, tout cela suppose que lorsqu’il cesse dans un cours d’enseigner stricto sensu sa discipline, le professeur n’engage que lui et ne parle pas en savant de sa discipline. Mais dans ce cours de quatrième où je me souviens que mon professeur d’histoire nous avait dit que le mot démocratie pour notre régime politique n’était qu’une fausse étiquette, je n’ai pas vu qu’un seul élève ait eut l’air de croire qu’il s’agissait là d’un contenu objectif de cours d’histoire comme les autres. J’avais d’ailleurs eu ce même prof en 6ème, et même à l’époque quand il nous avait dit que les émissions à la télé, c’était souvent très bête, personne n’avait cru que cela faisait partie du cours d’histoire géo proprement dit. Quant à moi, j’ai continué de croire pendant des années qu’on était quand même plutôt en démocratie qu’autre chose, même si ce n’était pas complètement mais il est vrai que je lui suis redevable comme à celui qui dénonçait l’Etat providence, de m’avoir poussé dans mes retranchements pour devoir réfléchir sérieusement aux questions évoquées, plutôt que de se contenter du prêt à penser dont rêve tout régime despotique.

En revanche, si je ne rejoins pas Philouie dans sa croyance au complot maçonnique, un ministre n’est quant à lui pas un citoyen comme les autres, mais un serviteur spécial du souverain en ce qu’il dispose de pouvoirs supplémentaires et donc de devoirs supplémentaires. En l’occurrence, si recevoir au ministère des représentants religieux ou politiques ne pose aucun problème, un ministre qui se rend en tant qu’invité dans un lieu religieux ou politique se met en situation de soumission par rapport à ce lieu et donc soumet le souverain qu’il sert aux maîtres de ce lieu. Cela pose un sérieux problème, surtout si c’est en en portant les signes distinctifs religieux ou en adoptant ses manières de parler propres à cet espace politique.


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