Qu’est-ce qui leur fait dire que l’agriculture et l’élevage sont devenus une menace ?
En France agriculture et élevage tuent des agriculteurs, pour certains par suicide pour des raisons économiques, et pour d’autres par empoisonnement.
Pour les raisons économiques je ne saurais pas l’expliquer. Certains spécialistes en la matière, politiques ou économistes, certains syndicalistes paysans avancent que c’est à cause de la politique agricole commune européenne, la fameuse PAC, approuvée par un syndicat hégémonique, la FNSEA dont la présidente est une modeste productrice de porcs (5 400), truies (230), porcelets nourris aux céréales de la ferme. Cette politique agricole commune favoriserait très largement l'agriculture et l’élevage industriels et intensifs, leur réservant la plus grosse part des subventions, au détriment des plus petits producteurs.
« Le constat est sans appel : notre système agricole est à bout de souffle. Il a perdu sa fonction première : nourrir l’humanité. Industrialisée depuis les années 1960, l’agriculture affecte gravement la nature et la biodiversité, le climat, notre santé et l’emploi dans nos campagnes. » (WWF France)
« La PAC 2015-2020 n’a répondu ni aux besoins des petites et moyennes fermes, ni aux attentes des consommateurs. La plupart de son budget bénéficie encore à des producteurs inscrits dans un modèle agro-industriel intensif. Les aides, calculées en fonction du nombre d’hectares d’une ferme et d’anciennes références de rendement, pénalisent injustement les fermes de petite taille, les fermes diversifiées et certains types de production. Malgré des tentatives pour mieux répartir le budget entre les fermes, la PAC n’est pas non plus parvenue à assurer un revenu à tous les paysans. » (Pour une autre PAC, plateforme française inter-organisations)
« La FNSEA n’est pas favorable à l’instauration du système redistributif voulu par le ministre de l’Agriculture, dans le cadre de l’application en France de la future PAC. » Ouest-France
« Jeunes Agriculteurs (JA) s'oppose à la FNSEA sur l'orientation que doit prendre la mise en œuvre française de la PAC, actuellement en discussion. Lors de leur conférence de rentrée, jeudi à Paris, les jeunes ont pris le contre-pied de leurs aînés en affirmant leur soutien au scénario le plus redistributif proposé par le ministère de l'Agriculture : "nous sommes favorables à un verdissement forfaitaire et à la revalorisation des aides sur les 52 premiers hectares, à condition de reconnaître les actifs agricoles." » (La France Agricole)
L’agriculture et l’élevage tuent aussi la planète et les consommateurs.
Je ne suis pas non plus expert agronome. Mais comme pour beaucoup d’autres de mes chroniques sur Agoravox, je me fie à mes lectures quand les auteurs sont des personnes dignes de confiance qui citent toutes les sources des arguments et exemples qu’ils présentent.
Cette fois, c’est le livre de Fred Vargas, L’Humanité en péril (Virons de bord toute !), qui m’a fourni les informations sur ce sujet. Fred Vargas, docteur en archéozoologie, ex-chercheuse au CNRS, désormais auteure de romans policiers.
Son livre traite plus exhaustivement du problème de la crise climatique et de l’avenir de la planète et de ses habitants :
« Depuis trente années, ils savaient. Les gouvernants, les industriels, ils savaient. Que leur folle ruée vers l’Argent et la Croissance était meurtrière. Tout est aujourd’hui dévasté : le climat, les sols, les eaux, la faune, les forêts. Nous filons droit vers un réchauffement de +3° C (c’est-à-dire +7° C à +8° C sur les terres) : le péril mortel qui attend nos enfants est devenu réalité. En ont-ils cure ? Nous, oui. À nous de mettre fin à leur effroyable cynisme. À nous de nous battre, par les actes, par les urnes, à nous de sauver nos enfants. » (4èmede couverture)
Si vous avez des enfants, si vous les aimez, si vous vous souciez de leur avenir, alors lisez ce livre. Fred Vargas y décrit aussi les solutions possibles découvertes au long de ses recherches.
Revenons aux méfaits prouvés des agriculture et élevage intensifs. Je cite Fred Vargas, quelques extraits avant de conclure.
(C’est peut-être un peu long, mais… édifiant)
« Je dois vous donner quelques chiffres très instructifs sur les émissions des gaz à effet de serre dans le monde, par secteur, tirés du dernier rapport du GIEC d'octobre 2018 (qui rédige des rapports aux données incontestables à destination des COP) : en tête l'industrie avec une part de 32 % suivie, vous n'allez pas le croire, suivie immédiatement par l'élevage, l'agriculture et la déforestation qu'elle entraîne avec 25 %, puis par le bâtiment avec 18,5 % (construction, entretien, chauffage), le transport avec 14 %, les autres énergies pour 9,6 %, et voilà pour l'essentiel.
[…]
On cite toujours le C02, issu de la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) mais aussi de celle du bois.
Mais il n'est pas le seul, comme on le croyait ! Et nous voilà face au protoxyde d'azote.Il représente 16 % des gaz à effet de serre et, voyez comme on y revient, il provient pour deux tiers ou les trois quarts des activités agricoles et d'élevage industrielles (engrais azoté en excès, fumier, lisier, résidus de récolte) (...) ; ce protoxyde d'azote produit en outre de l'ammoniac, issu à 94 % du même secteur élevage-agriculture, cause d'acidification et émetteur de particules fines.
Son pouvoir réchauffant est 300 fois plus important que celui du C02, ce n'est pas rien, et sa durée de séjour dans l'atmosphère est de 120 ans.
[…]
Les rizières à elles seules émettent autant de protoxyde d'azote que 200 centrales à charbon. Le riz est cause d'un autre grave ennui : il absorbe aisément l'arsenic.
[…]
Le risque d'une pénurie d'eau douce existe donc bel et bien. En cause, le réchauffement climatique, l'agriculture et l'élevage industriels qui prélèvent 70 % de l'eau disponible (!), l'industrie (environ 20 %) et la consommation domestique (10 %).
[…]
Si l'industrie vient bien en tête avec 32 % de ces gaz, elle est immédiatement suivie par l'élevage, l'agriculture et la déforestation qui l'accompagnent avec 25 % d'émissions de gaz réchauffant, loin devant le transport (hors bétail) qui compte pour 14 %. Pour certains chercheurs, l'élevage-agriculture, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, est même la première cause du réchauffement (33 %).
[…]
Poussés à la consommation, nous sommes devenus fous : entre 1950 et 2000, la consommation de viande au niveau mondial a été multipliée par 5 alors que la population a « seulement » doublé.
L'élevage, couplé à l'agriculture pour nourrir le bétail, émet 37 % du méthane répandu dans l'atmosphère, au pouvoir 25 à 28 fois plus réchauffant que le C02.
Aujourd'hui, le cheptel mondial d'animaux d'élevage s'élève à 28 milliards de têtes. Autrement dit, pour un humain, il existe 4 animaux d'élevage.
Selon le WWF, « la production d'un kilo de viande de veau rejette la même quantité de gaz à effet de serre qu'un trajet de 220 km en voiture » ! Un kilo ! Après elle, les viandes les plus polluantes sont l'agneau de lait (180 km), le bœuf (70 km), le porc (30 km) et le poulet (7 km).
[…]
C'est cette demande démesurée en terres agricoles pour l'élevage qui pousse à la déforestation, 91% des terres "récupérées" dans la forêt amazonienne servent aux pâturages ou à la production de soja et de céréales, le plus souvent transgéniques, qui nourriront le bétail. Sans cet élevage intensif, ces terres seraient utilisées pour planter des légumes, des fruits, des céréales pour les populations locales, ou bien pour replanter des arbres. La vie végétale pourrait reprendre le dessus, ce qui permettrait de freiner les effets du réchauffement climatique. L'élevage engendre ainsi une pression insoutenable sur les sols, dont l'état est devenu critique.
[…]
À présent, nous voilà informés à satiété de la part destructrice considérable, inimaginable même, du couple de l'élevage-agriculture intensif pour la viabilité de la planète et la survie des hommes, que je nous résume pour qu'on y voie bien clair : première ou deuxième cause des émissions de gaz à effet de serre, du méthane, du puissant protoxyde d'azote, du C02 et d'une lourde part des gaz fluorés utilisés dans la chaîne du froid ; (...) érosion des sols, épuisement du phosphore vital, épuisement des ressources en eau potable, première source de pollution des eaux, cause principale des pluies acides, avec leurs répercussions calamiteuses sur la qualité des sols et la santé des forêts, source d'autres pollutions multiples (pesticides, herbicides, antifongiques) et des marées vertes.
Outre ces divers enjeux, déjà si multiples et gigantesques qu'ils nous abasourdissent ou nous épouvantent, la surconsommation de viande met en grand péril nos ressources en eau, cette eau qui commencera à manquer dans 5 à 6 ans. Or la production industrielle d'1 kilo de bœuf absorbe 13 500 litres d'eau, contre 1 200 litres pour 1 kilo de blé ! Et produire 1 litre de lait nécessite en moyenne 990 litres d'eau !
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Les vignes, en France, utilisent quelque 65 000 tonnes de pesticides par an. Fongicides surtout, mais aussi insecticides, herbicides, etc. En 2013, Que Choisir a analysé 92 vins et 100 % contenaient des pesticides. Résultat : le vin recèle en moyenne 300 fois plus de pesticides que l'eau potable. Beaucoup d'échantillons mélangeaient 9 ou 10 molécules différentes, un bordeaux de marque connue en contenait 14 dont une interdite en France. Dans un autre bordeaux on trouvait un pesticide avec une teneur 3 364 fois plus élevée que la norme appliquée à l'eau potable.
Pour prévenir le mildiou, principale maladie de la vigne, les vignerons utilisent du cuivre comme fongicide (c'est le cas aussi dans les cultures maraîchères, pommes de terre, tomates, cucurbitacées...). S'il est déposé en excès, il s'accumule dans la terre, provoquant des effets néfastes sur la vie des sols, les mammifères et la faune aquatique.
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Deux comités d'experts ont analysé plus de 2 000 échantillons de pain entre 2000 et 2013. [...] le taux des produits de boulangerie contenant des résidus de pesticides a plus que doublé au cours des 12 dernières années : il est passé de 28 % en 2001 à 63 % en 2013.
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L'association Générations Futures a fait analyser une trentaine d'échantillons de céréales pour petit-déjeuner, de légumineuses et de pâtes. Plus de la moitié contiennent du glyphosate, le pesticide phare du géant Bayer-Monsanto, classé comme cancérogène par le CIRC, et 7 céréales de petit-déjeuner sur 8 en contiennent aussi.
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L'association Générations Futures a analysé des fruits et légumes qui grouillent de pesticide. Selon son rapport, près de trois quarts des fruits et 41 % des légumes non bio portent des traces de pesticides quantifiables pouvant altérer notre santé et celle des agriculteurs.
Dans le haut du classement des 19 fruits étudiés, le raisin est le plus contaminé avec 89 % des échantillons contenant des résidus de pesticides quantifiables. Il est suivi de près par les clémentines/mandarines (88,4 %) les cerises (87,7 %). Viennent ensuite les pamplemousses, les fraises (83 %) et les nectarines/pêches et oranges avec plus de 80 % des échantillons renfermant des résidus de pesticides. Puis, avec plus de 75 %, les pommes, les abricots, les citrons, et les poires atteignant 74,4 %. Entre 64,8 % et 52,1 %, on trouve les citrons verts, les ananas, les mangues, les papayes, les bananes, les framboises et les groseilles. Etc.
Côté légumes, parmi les 33 espèces étudiées, le plus atteint est le céleri branche avec 84,6 % des échantillons testés qui contiennent des résidus de pesticides. Il est suivi de près par les herbes fraîches (74,5 %), l'endive (72,7 %), le céleri-rave (71,7 %) et la laitue (65,8 %). Entre 60,5 % et 51,5 % on trouve les piments, poivrons, pommes de terre, haricots, pois (non écossés) et poireaux. Entre 49,7 % et 41,3 %, les melons, carottes, tomates, concombres, courgettes. Entre 39,4 % et 30,8 % les radis, aubergines, blettes, épinards, champignons. Entre 29,5 % et 19 %, les artichauts navets, choux pommés, brocolis. Etc.
[…]
Ce qu'il est possible de faire : établir - et nous y sommes de toute façon contraints - une affectation des terres très différente de celle qu’on connaît aujourd'hui. Elle ne suivra pas bien entendu les normes de la PAC européenne - (Politique agricole commune) qui favorise très largement l'agriculture industrielle - autrement dit les grandes surfaces de production de monocultures, cultivées à base d'engrais chimiques polluants et à grand renfort d'eau - et les fermes d'élevage gigantesques. Mais cette agriculture industrielle, qui n'est plus soutenable pour la planète, n'aura plus cours encore bien longtemps, laissant la place le plus rapidement possible à une agriculture biologique, économe en eau et en engrais (le digestat), et devant être organisée en petites et moyennes exploitations polyvalentes (céréales, cultures maraîchères, vergers) au niveau micro-régional, afin de pouvoir apporter à chacun une variété de produits sur de courts trajets (sauf pour les hectares de betteraves et de maïs dédiés à la production de biomasse). Ces petites et moyennes parcelles devront être bordées de haies, pour empêcher l'écoulement de l'eau, freiner l'érosion des sols, atténuer les effets du vent et aider la biodiversité. Et cette mutation doit être anticipée, dès les années 2020. »
Édifiant !
Les responsables gouvernementaux, ministres ou élus de la majorité, les syndicalistes approuvant la politique agricole menée, ne peuvent pas prétendre ignorer la gravité de la crise à laquelle ils nous ont amenés. Donc c’est délibérément qu’ils persistent, pour protéger des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. On le voit dans la captation des subventions européennes par les plus gros producteurs quitte à laisser mourir des petits exploitants. Ces petits exploitants qui n’y sont pour rien et qui malgré un travail acharné arrivent à peine à survivre et encore, pas toujours.
D’autres techniques rentables et protectrices de la nature existent. Les agriculteurs du bio et du local raisonné, le démontrent tous les jours. Et même avec très peu d’aide financière ce qui est un comble.
Cette chronique va être qualifiée d’"agribashing."
Des climatosceptiques vont affirmer que les faits dénoncés sont faux.
Pour ceux-là elle est inutile et plus encore nocive.
C’est sans importance.
L’essentiel est qu’elle allume une petite lumière dans l’esprit de ceux qui se posent des questions et qu’ils décident d’aller voir par eux-mêmes.
« Depuis trente années, ils savaient. Les gouvernants, les industriels, ils savaient. Que leur folle ruée vers l’Argent et la Croissance était meurtrière. (…) En ont-ils cure ? (y compris les climatosceptiques) Nous, oui. À nous de mettre fin à leur effroyable cynisme. À nous de nous battre, par les actes, par les urnes, à nous de sauver nos enfants. » (Fred Vargas)
Allez-y voir pour juger par vous-même, car si la menace se confirme alors vos enfants, peut-être, vos petits-enfants certainement, sont en danger de mort et ce sera bientôt irréversible. Et vous, qu’aurez-vous fait pour l’empêcher ?
En complément des articles suivants :
Extinction de l’espèce humaine, peut-on ne pas y croire ?
Hé ! Les climatosceptiques. Non mais allo, quoi !
Changement climatique ; inégalités sociales. Rien à faire ! Rien à faire ?
1% de la population de la planète possède deux fois plus que les 90% autres. Où est le problème ?
D’autres chroniques, des réflexions et une sélection de livres éclairants sur :
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