Une imposante sentinelle : le Haut-Kœnigsbourg
S’il n’est pas le plus authentique, le Haut-Kœnigsbourg est incontestablement le plus spectaculaire des châteaux qui dominent le vignoble alsacien sur le versant est des Vosges. Petit détour par cette monumentale forteresse de grès rose, encore largement marquée par l’empreinte de l’empereur allemand Guillaume II...
Nombre de nos compatriotes sont persuadés que le Haut-Kœnigsbourg est un authentique château médiéval. A contrario, d’autres croient savoir qu’il a été entièrement construit au 19e siècle. La vérité est, comme souvent, entre les deux.
Les premières références écrites d’un château à cet emplacement remontent en effet à... 1147. Deux tours sont mentionnées, l’une appartenant à Conrad III de Souabe et l’autre à l’un de ses neveux, Frédéric « Barberousse » de Hohenstaufen. Sans doute est-ce au statut de ce dernier, couronné empereur germanique en 1155, que le château doit son nouveau nom : Königsburg (château du roi). Après être passé de main en main, le château est incendié en 1462 puis acheté en 1479 par la famille Tierstein qui entreprend de le restaurer et d’en renforcer les défenses pour les adapter à une nouvelle venu dans l’art de la guerre : l’artillerie. Faute de descendant, le Königsburg est acquis en 1517 par un autre empereur germanique, Maximilien de Habsbourg, puis passe en d’autres mains peu soucieuses d’entretenir l’édifice. Le coup de grâce lui est donné par les Suédois durant la Guerre de Trente Ans : incendié en 1633 et fortement délabré, le château est laissé à l’abandon.
1862. Si le renouveau du Haut-Kœnigsbourg n’est pas encore à l’ordre du jour, du moins ses ruines sont-elles protégées. Le château est en effet classé cette année-là et bénéficie dorénavant du statut des monuments historiques. En 1865 il devient la propriété de la ville de Sélestat. Pas pour très longtemps : en 1899, les élus de cette ville offrent le château à Guillaume II de Hohenzollern, empereur d’une Allemagne ayant repris possession de l’Alsace en 1871 à la suite de la défaite française actée par le Traité de Francfort. L’objectif déclaré du souverain est d’installer dans le château un musée du Moyen äge. En réalité, au-delà de cet aspect secondaire, Guillaume II entend surtout faire de celui que l’on nomme désormais Hoh-Königsburg le double symbole du passé germanique de l’Alsace et de la domination allemande sur la région. Rien de mieux pour répondre à ce dessein que cette citadelle visible à des lieues à la ronde depuis les villes et villages de la plaine.
Le renouveau
Désireux d’atteindre ces objectifs le plus rapidement possible, l’empereur Guillaume II confie, dès l’année 1900, à l’architecte allemand Bodo Ebhardt la responsabilité de lui soumettre un projet de restauration de l’édifice. Après avoir défriché les abords de la ruine et procédé à de multiples relevés topographiques et archéologiques, ce dernier soumet au Kaiser un projet qui est accepté. Les travaux durent 7 ans, de 1901 à 1908. Régulièrement, l’empereur vient en contrôler l'avancement.
Par chance, l’édifice a conservé l’essentiel de ses structures jusqu’au niveau des mâchicoulis. Bodo Ebhardt peut donc remettre en état la plupart des volumes ayant existé jusqu’au 16e siècle, y compris quelques parties hautes préservées d’un trop grand délabrement. Mais la plupart des autres parties hautes doivent être reconstituées. Faute de documents, elles le sont non sur une connaissance de l’existant antérieur, mais sur une estimation par Bodo Ebhardt, passionné d’architecture médiévale, de ce qu’a pu être le château. Comme souvent lorsqu’un architecte se livre à une reconstitution, son choix est contesté et donne lieu à de nombreuses controverses. Bodo Ebhardt en fait l’expérience comme Eugène Viollet-le-Duc avant lui pour ses restaurations contestées du château de Pierrefonds et de la cité de Carcassonne.
Aujourd’hui, tout cela est oublié, et la plupart des visiteurs du Haut-Kœnigsbourg n’ont même pas conscience des polémiques qu’a suscitées cette restauration. Fascinés par cette énorme masse de grès rose dressée au-dessus de la plaine d’Alsace, ils prennent un grand plaisir à découvrir l’intérieur de cette forteresse, sitôt franchie la monumentale porte d’entrée ornée des armoiries de la famille Tierstein. Et ce n’est pas le charmant moulin à vent en bois installé sur le faîte d’une toiture surmontant la basse-cour - en remplacement de l’ancien moulin à bras de jadis - qui pourra les convaincre d’un mauvais choix de Bodo Ebhardt.
Un château comme le Haut-Kœnigsbourg ne se décrit pas, il se visite en passant de salle en salle, de cours en casemates, de courtines en lices ; il se visite en admirant les collections d’armes, les trophées de chasse et le mobilier assemblés là par la volonté de Guillaume II pour illustrer le mode de vie qui prévalait entre le Moyen Age et la Guerre de Trente ans. Une visite dont on garde une formidable impression de puissance liée à la masse imposante de cette forteresse implantée sur une surface de 1,5 hectare. Sans oublier le souvenir du plafond peint par Léo Schnug dans la salle d’armes : une aigle germanique éployée, dotée d’une auréole en or sur laquelle on peut lire en caractères gothiques le célèbre « Gott mit uns » (Dieu avec nous). Le Haut-Kœnigsbourg ne peut renier son passé allemand !
La flûte de Boieldieu
Si de nombreux voyageurs ont pu visiter ce lieu depuis son ouverture au public, c’est par le cinéma qu’il a conquis sa plus grande notoriété. C’est en effet dans ce château qu’ont été tournées, en 1937, sous la direction du cinéaste Jean Renoir, quelques-unes des scènes les plus spectaculaires de La Grande illusion, film considéré à juste titre comme l’un des chefs d’œuvre du patrimoine cinématographique français. Dans un documentaire de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), intitulé Scripte sur la Grande Illusion de Jean Renoir, Françoise Giroud, alias « Gourdji », revient sur les lieux et raconte les coulisses de ce tournage. Un témoignage particulièrement intéressant, que ce soit pour les passionnés de cinéma ou pour ceux qui connaissent et apprécient le Haut-Koenigsbourg. La Grande illusion ajoute d’ailleurs au plaisir de la visite historique du château la recherche des lieux où ont joué les géants du cinéma qu’ont été Pierre Fresnay, Jean Gabin ou Erich von Stroheim, où le capitaine de Boieldieu répondait dans les frimas de l'hiver carcéral aux injonctions du commandant von Rauffenstein par un trille de flûte moqueur.
Retour à l’extérieur du château pour un complément de visite sympathique et didactique : depuis quelques années, le Haut-Kœnigsbourg s’est en effet enrichi, au pied du rempart ouest, d’un jardin médiéval au sein d’un espace clos et protégé des animaux. S’y côtoient, dans des carrés bordés de plessis en bois comme il en existait au Moyen Age, des plantes industrielles comme le lin, la garance ou la saponaire, des « simples » (plantes médicales), telle la bourrache officinale ou l’armoise, des « feuilles » et « racines » potagères, parmi lesquelles le panais, l’épeautre, l’oseille ou le safran, sans oublier les plantes magiques comme la belladone ou la digitale, et les plantes de Marie destinées aux offices religieux. Quelques panneaux explicatifs, superbement illustrés, apportent les informations nécessaires aux personnes peu familiarisées avec la botanique ou les modes de vie du Moyen Age. Une belle réussite que complètent, dans 10 villages proches du Haut-Kœnigsbourg, d’autres jardins médiévaux tout aussi intéressants.
Il est temps de redescendre dans la vallée pour aller, à quelques kilomètres de là, déguster l’un de ces vins alsaciens si fruités et si agréablement longs en bouche. Par exemple un riesling grand cru Kirchberg chez Louis Sipp dans la très attachante cité médiévale de Ribeauvillé, ou un pinot gris grand cru Altenberg chez Gustave Lorentz, au cœur du superbe village de Bergheim.
‘s gilt ! (à votre santé !)
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