Philosophie de l’Information (II) La quête de l’universel autour de la Technique et de l’Information
4 Comment situer une philosophie de l’information
Comme on l’a expliqué rapidement, l’Information avec un I majuscule représente un enjeu pour le 21ème siècle, enjeu sociétal, culturel, politique mais aussi défi philosophique. En consultant une notice wikipédia, l’idée d’une philosophie de l’information est peu répandue mais elle est apparue sur les radars des cercles intellectuels au tournant des années 2000. Le philosophe Luciano Floridi est présenté comme un pionnier dans cette spécialité. Cependant, en prenant note des intentions de ce philosophe, on peut légitimement penser que la philosophie de l’information qui est proposée manque d’envergure car elle a comme objets de pensée les computers et les technologies de l’information. Qui certes influent sur nos existences mais n’épuisent pas la richesse d’une réflexion plus élargie sur l’information avec deux questionnements. Le premier à partir de la physique et de l’information du point de vue naturel et métaphysique. Le second dans le sillage des écrits de Ellul avec cette question qu’on peut poser et qui fut formulée pour la technique : l’information est-elle neutre ? Ou bien modifie-t-elle profondément la nature de l’homme qui utilise l’Information mais aussi devient pour une partie le produit de cette même Information ?
En surfant sur le Web, on voit également apparaître un site extrêmement documenté servant de portail dédié aux acteurs ayant peu ou prou un lien avec la philosophie de l’information, avec deux listes réunissant les philosophes et les scientifiques. Ainsi que nombre de notices instructives sur cette discipline qui voici quelques décennies n’était qu’embryonnaire et désignée comme philosophie ergodique par les Anglo-saxons jusque dans les années 1980. Maintenant, la notion de philosophie de l’information est bien ancrée dans le champ des savoirs. Encore faut-il comprendre de quoi il s’agit et quelles sont les grandes questions sur l’Information.
La notice introductive de ce site baptisé « information philosopher » est claire. Elle part d’un principe bien défini, celui visant à employer les outils et objets de l’Information à la résolution de grandes questions philosophiques. Comment les problèmes « classiques » de la philosophie antique et moderne peuvent-ils se poser et être élucidé en adoptant comme axe de réflexion l’Information ? Le plan de travail laisse penser que l’Information est un outil pour résoudre les grandes questions classiques comme le libre arbitre, la conscience, l’interaction corps et esprit. Mais ce plan n’est pas le seul puisque sont évoquées les recherches de type ontologique ou métaphysique sur l’information dans le cosmos. Et dans la matière également. Cette présentation de l’enjeu décisif lié à l’Information ne peut contourner l’examen de la démarche épistémologique et ontologique qui sera ascendante si l’on tente d’éclairer le champ philosophique et existentiel par les éléments du bas, quanta, information, atomes, etc. Ou alors sera descendante si la conscience et le vivant servent à comprendre ce qui se passe au niveau de la matière et des champs (d’influences, d’information).
La philosophie de l’information se place dans plusieurs champs de connaissance parmi lesquels on trouvera le rapport entre l’homme et l’information qu’il manipule mais aussi qui le manipule ; puis l’information dans la nature, telle qu’elle se dessine dans les science de la manière quantique ainsi que le cosmos et enfin, l’information comme notion centrale dans la grande question métaphysique sur l’essence de l’univers, l’Etre et le Temps. La philosophie de l’Information complète la philosophie de la Technique. L’homme est face à deux déterminations essentielles que sont l’activité technique et la conscience qui émerge avec un travail des formes et une saisie de l’information qui s’ordonne. Cette configuration anthropologique est parallèle à la configuration ontologique déclinée sous plusieurs angles, étendue et pensée chez Descartes, matière et esprit, volonté et représentation, action et conscience. Et maintenant, à l’époque de l’achèvement des sciences modernes, ce doublet se dessine à travers les deux physiques, l’une mécanique l’autre informationnelle. Sans oublier la question du vivant que pour ma part, j’ai abordée en évoquant aussi une déclinaison de ce doublet en concevant une substance technique et une substance cognitive. L’une qui agit dans la matière, l’autre qui ordonne les informations reçues, avec la question des perceptions articulées aux finalités.
La philosophie de la Technique doit être universalisée. La science des machines ne peut se substituer à une philosophie de la Technique qui étudie le rapport homme machine mais aussi la technique naturelle, celle qu’on trouve dans les systèmes vivants, les ensembles moléculaires et la matière. La philosophie de l’Information doit emprunter un même chemin. La science de l’information ne peut servir de substitut à une authentique philosophie de l’information qui, entre autres choses, relie les phénomènes de la conscience aux processus quantiques et aux transformations de la matière.
5 Les deux philosophies, technique et information
Pour clore cette présentation générale d’un « chemin philosophique » pour le 21ème siècle, je reviens sur le doublet fondamental associant tout en les distinguant le Technique et l’Information. Les progrès de la science et des techniques ont façonné un monde inédit qui pour être compréhensible, impose une refonte sans doute radicale de la philosophie fondamentale qu’on nomme ontologie ou métaphysique. Le monde façonné par l’homme a engendré une seconde nature artificielle, le technocosme, à laquelle s’ajoute un complément déterminant, le médiacosme, lequel comprend toutes les formes de communications disponibles ainsi que les multiples connexions entre systèmes et maintenant entre « objets » connectés. Ainsi, après l’époque des philosophies de la technique nous sommes entré dans l’ère des philosophies de l’information. Ces pensées nouvelles n’annulent pas les précédentes mais viennent les compléter, d’autant plus que l’information circule grâce à la technique et que les techniques incorporent toujours un minimum de cause formelle.
Le technocosme et l’infocosme sont des objets de pensée complexes. Mais si la technique et l’information sont devenues une seconde nature, c’est que dans la Nature il y a de la technique et de l’information (sans oublier la disposition des choses régie par la Gravité). L’homme est devenu concerné par ces deux caractères universels de l’existence mais l’on ne doit pas occulter la connaissance de la Nature qui, bien avant l’avènement du technocosme et de l’infocosme, s’est développée à travers l’évolution comme système technique mais aussi communicant et cognitif (voir Dugué, Le sacre du vivant). La vie est technique et cognition. Et pour finir, le monde physique de la matière et du cosmos se dévoile également sous cet angle double, avec une physique classique mécanique et une physique contemporaine de l’information, notamment la dynamique quantique.
Les deux philosophies, sur la Technique et sur l’Information, concernent ainsi non seulement l’homme mais aussi les choses naturelles. Ce qui ouvre d’une manière inédite la question de la philosophie de la Nature au 21ème siècle, avec une interprétation voire une extrapolation des résultats et descriptions rencontrés en biologie et surtout dans les trois physiques contemporaines, quantique, statistique, cosmologique. La nouvelle philosophie de la Nature aura quelques traits communs avec celle qui précéda la modernité mais elle accordera une place centrale à l’information. Car la technique est elle aussi un caractère universel. Si l’information a « envahi » les théories physiques, elle devrait livrer une nouvelle vision de la nature dépassant la conception canonique héritée du 19ème siècle avec les forces, les champs et les énergies. Cette vision émerge sous l’angle d’un cosmos et d’une matière disposés et ordonnés pour communiquer l’information et surtout la créer et ordonner cette création. La flèche du temps accompagne cette création d’informations mais avant de penser ces choses, il nous faut répondre à une question
6 Qu’est-ce que l’information ?
L’information échappe encore à la pensée philosophique et pourtant elle circule en tous lieux et en permanence, sous des formes différentes et divers supports matériels, naturels, physiques, technologiques. La technique manipule aussi des formes mais elle agit sur des supports dotés d’une extension, des corps, des volumes, modelant de ce fait les assemblages et les dispositions. Il existe une différence fondamentale entre une opération technique et une transmission d’information. L’opération technique s’effectue au niveau de l’interface matérielle avec une inscription dans le temps et une réalisation dans l’étendue. L’information pénètre dans un système, elle est mémorisée, mais cette mémoire est gérée si bien que l’information peut devenir efficiente mais pas forcément et quand c’est le cas, un certain délai est souvent nécessaire. L’information s’entrelace dans un processus cumulatif où elle se combine et s’ordonne avec d’autres informations. Essayons de décliner sommairement les informations dans les différents domaines ontologiques.
I. Physique. Le caractère dynamique de l’information est universel. Ce caractère a été découvert à partir de la physique quantique avec l’effet photoélectrique comme processus informatif élémentaire. Mais le photon n’est pas le seul médiateur de l’information dans la Nature puisque les molécules ont une aptitude à communiquer lorsqu’elles sont en contact avec leur récepteur. Le milieu liquide avec l’eau ionisée constitue un bon milieu communiquant grâce à la circulation du proton H+. Ensuite, nous pouvons monter d’un étage dans la hiérarchie des êtres et considérer les communications au niveau cellulaire avec les mécanismes de liaison décrivant l’interaction entre les molécules communicantes leurs récepteurs membranaires situés à la périphérie des cellules vivantes. On retrouve l’image de la clé et la serrure sauf que le processus est dynamique. Les molécules vibrent comme nous l’enseigne la dynamique quantique.
II. Biologie. L’information prend un tournant spécial lorsqu’elle permet aux animaux de percevoir le milieu et de communiquer, sans oublier végétaux et champignons qui eux aussi, communiquent en utilisant des substances spécifiques. C’est ensuite chez l’homme que l’information prend un aspect très singulier, avec des signaux dont l’interprétation et l’expression est réservée à une seule espèce. La philosophie de l’Information peut ainsi se décliner sous un angle évolutionniste. Les espèces évoluent non seulement avec la sélection naturelle mais aussi avec le jeu des informations et des signaux captés par les espèces et interprétés selon les finalités déterminées par l’instinct. La place de l’Information se situe doublement pour décrire le vivant. L’information qu’on dira « classique » est aisément accessible aux sens. Par contre, le fonctionnement moléculaire du vivant suppose une information jouant avec une complexité colossale qui ne se dévoile que partiellement lorsque les mécanismes du vivants sont analysés séparément.
III. Sciences de la société. L’Information a aussi son importance dans le champ des sciences de la société. Avec le langage qui selon Spengler fut employé il y a cinq millénaires pour servir les grandes entreprises humaines, avec les civilisations. Puis le temps de l’agora est arrivé et nous sommes encore dans cette problématique de l’espace public structuré par l’information sémantique que véhicule le langage et qui a été analysé avec pertinence par Habermas. La science et la technique utilisent le langage pour une société faustienne. La philosophie a en vue une société des gens d’esprit fondée sur un usage interpersonnel du langage. Autres enjeux, la question du performatif qui traduit l’efficace d’une communication et que l’on trouve non seulement dans les actes de langages mais aussi dans les actes d’images.
IV. Ontologie. Les Idées de Platon ont leur place dans la philosophie de l’Information, mémoire, réminiscence, ontologie vraie mais téléologie erronée. Les idées viennent avec le temps qui rencontre l’éternité. L’être c’est le temps qui a rejoint l’éternité. L’Idée comme synthèse d’information, le Concept comme puissance de développement des dispositions. D’autres développements « ontologiques » sont en vue. Voici quelques suggestions. Dialectique entre l’Idée et le Concept, entre la finalité et l’efficience. Idée, monde platonicien, Concept, monde de l’âme. Idée, global, Concept, local, activité de la pensée, conception du monde, disposition. Idées, Concept, Percept.
V. Théologie. L’Information concerne la théologie. Qu’est-ce la Révélation sinon un ensemble d’informations délivrées à l’homme par un ou des « auteurs » qui ne font pas l’unanimité. Mais nul ne peut nier que les Ecritures ont un sens avéré et on été écrites à un moment par des humains qui sont les auteurs ou alors les messagers si l’on admet l’origine « divine » de la Révélation.
7 Universelles pensées.
Nous n’avons qu’entrevu cet immense espace de pensée qui, cheminant entre les techniques et les informations, nous mène vers ce nouveau paradigme avec à la clé une nouvelle alliance entre l’homme, le cosmos et la nature. Il n’est pas impossible que l’on découvre dans la Nature et même la matière ce caractère performatif découvert dans l’étude des communications humaines (image, langage, informations). Mais ce caractère performatif est délicat à saisir, la Nature étant quelque part secrète et de plus, dotée d’une temporalité incommensurable avec celle de l’humain et la durée biographique voire historique.
Le caractère performatif de l’information nous mènera sans doute vers ce que Heidegger avait entrevu avec son analyse sur la technique et son essence qui n’a rien de technique. Quelle est cette essence et peut-on tracer un lien, une connivence secrète avec l’information ? Cette interrogation sera à n’en pas douter centrale dans la philosophie universelle de l’information. Mais il nous faudra commencer à questionner les sciences physiques pour découvrir comment se situe l’Information et quelle est sa nature, où va-t-elle, à quoi sert-elle. Nous savons maintenant que l’information n’a rien de figé ni de statique et nous saurons bientôt que la philosophie universelle de la nature conçoit tout information sur un mode dynamique et toute communication s’effectue avec comme caractère la résonance. C’est d’ailleurs la thèse controversée de Luca Turin, spécialiste de l’olfaction et promoteur de l’hypothèse de l’interaction dynamique entre la molécule odorifère et son récepteur cellulaire. En face, l’hypothèse conventionnelle joue sur la forme, autrement dit le paradigme clé et serrure.
Une vue d’ensemble montre que non seulement la physique mais aussi la philosophie s’orientent vers une pensée dans laquelle l’Information est une notion centrale se déclinant diversement selon l’objet étudié ainsi que la manière de l’étudier. Je ferai plus loin un exposé sur ce fait épistémologique qui concerne les sciences physiques et dont le cours repose sur l’apparition de l’information qui de part son universalité tend à prendre une importance égale à celles occupées par l’énergie et les forces qui sont centrales dans la mécanique classique. Partant de ce constat, nous pouvons enquêter sur un glissement parallèle en philosophie, avec là aussi la question de l’information qui peu à peu, prend une place centrale dans les disciplines humaines. L’information étant prise sous ses angles multiples, communication, performation, transformations de la conscience, structuration d’un espace sémantique et sémiotique collectif. En première analyse, nous pouvons situer une philosophie moderne, avec les analyses de la volonté, l’action, le pouvoir politique, les forces historiques, le marxisme et mettre en face une philosophie post-moderne qui prend ses distances avec les forces sociétales tout en se focalisant sur l’importance des opérations de communication, des formes et information transmises ainsi que, last but not least, les capacités de sémantisation et d’interprétation de ces données par les sujets dotés de conscience et de capacité à se penser, se projeter, se situer tout en pensant le monde, l’environnement.
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