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Commentaire de Henri Masson

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Henri Masson 25 octobre 2007 16:56

Le 18 août 1998, nouveau courrier à Thomas Ferenczi, médiateur du Monde. Là, la mesure est comble :

— 

Monsieur,

A l’occasion du congrès mondial d’espéranto qui s’est tenu à Montpellier, plusieurs quotidiens ont permis à leurs lecteurs de découvrir le déroulement de tels événements ainsi que quelques facettes de cette langue internationale. Midi-Libre en a assuré une couverture honnête et originale, avec des entretiens traduits de l’espéranto. La Croix (aussi bien que L’Humanité ou Le Figaro) a donné un compte-rendu irréprochable soulignant le caractère exceptionnel d’un tel « Mondial » où tant de nationalités étaient représentées sans problèmes de communication linguistique, et le fait qu’en France, où cette année marquait le centième anniversaire de la fondation de la première association d’espéranto, un tel congrès ne s’était tenu pour la dernière fois qu’en 1957, il y a quarante-et-un ans. La comparaison de ces articles avec celui qui est paru dans Le Monde du 8 août donne un éclairage sur une dérive informationnelle de votre quotidien qui ne concerne pas que l’espéranto.

Entre autres, le bulletin des Citoyens du Monde (15, rue Victor-Duruy, 75015 Paris), avait déjà évoqué, dans son numéro 1998/2, un « massacre à la tronçonneuse au journal  »Le Monde« à propos d’un texte fourni à un journaliste : les 3/4 ont été supprimés, au point que le quart restant perdait son sens, donc son intérêt, et déformait finalement la démarche de ce mouvement aux yeux des lecteurs. Du fait que le journaliste avait donné son accord pour un texte de 5000 signes, il est fort possible que le massacre ait été perpétré à un autre niveau. Pour le correspondant du Monde à Nîmes, Richard Benguigui, qui a »couvert« le congrès de Montpellier, le ton ne laisse guère penser qu’il ait pu en être ainsi. Dans le genre »Je suis venu, je n’ai rien vu et voici mon compte-rendu", c’est un chef d’oeuvre. Dans la banalité et la désinformation, il est difficile de faire mieux.

Là où Benguigui a vu des « adeptes de cette langue apatride » (sic) se rencontrer « pour le simple plaisir de bavarder », Jacques Molénat, de La Croix, a noté les raisons économiques, sociales, politiques et culturelles qui justifient la promotion d’une langue libre de tout lien avec quelque puissance que ce soit. Là où le correspondant du Monde affirme que les occasions de pratiquer la langue sont « plutôt rares », il démontre la superficialité de son travail face aux journalistes d’autres quotidiens qui, eux, ont souligné qu’ « Internet pourrait bien donner une nouvelle jeunesse à l’espéranto » (La Croix). Il existe en effet des sites Web qui donnent les indications utiles pour participer non seulement aux congrès et rencontres mais à des tournées de conférences présentées par des espérantistes de divers pays, ou pour voyager au contact des gens à moindres frais. Il y a aussi les forums (soc.culture. esperanto). Dans toute l’histoire de l’espéranto, jamais il n’a été possible de l’entendre avec un confort d’écoute tel que le permettent aujourd’hui les émissions radio diffusées sur Internet (RealAudio) et retransmises par satellites. Là où Benguigui a conclu que « le mouvement, porté avant guerre par les cheminots, est en perte de vitesse et, malgré les efforts déployés, le public des congrès est chaque année un peu plus vieillissant », Midi-Libre a titré le même jour :« Espéranto : les vrais succès d’une utopie réalisée ».

Par ailleurs, si les cheminots constituent l’association spécialisée d’espéranto la plus importante, et si elle effectue toujours un travail exemplaire (traduction et édition des termes de l’Union Internationale des Chemins de Fer / UIC), il est excessif de dire que l’espéranto a été porté par eux. Enseignants et scientifiques, par exemple, ont joué aussi un rôle très important, sans compter les travailleurs (au sens large) de l’Association Anationale Mondiale (SAT), qui est indépendante de l’Universala Esperanto-Asocio.

Ensuite, Benguigui fait silence sur le congrès des enfants qui, en même temps, non loin de là, à Sommières, en réunissait une centaine. Il oublie que les jeunes (ou les couples avec de jeunes enfants) n’ont pas toujours les moyens et le temps de participer à tous les congrès. Celui de la jeunesse espérantiste mondiale s’était tenu la semaine précédente à Rijeka, en Croatie (363 participants de 32 pays) ; celui de SAT, auquel des jeunes ont pris part à Odessa, en Ukraine, a pris fin une semaine avant, comme le séminaire durant lequel, à Pékin, quatre associations de jeunes espérantistes de Chine, du Japon, de Corée et de Hong Kong ont décidé d’unir leurs efforts dans un mouvement de la jeunesse espérantiste asiatique.

Enfin, avec 1468 participants en 1957 à Marseille, 3081 à Montpellier en 1998, sans compter les centaines de personnes qui, comme moi, n’ont visité ce congrès qu’une seule journée, voire deux ou trois, voilà une « perte de vitesse » pour le moins curieuse !...

Là où le correspondant du Monde n’a rien vu ou remarqué, d’autres ont découvert, par exemple, que ce congrès était placé sous le patronage de Marie-George Buffet, Ministre de la Jeunesse et des Sports, qu’Albert Jacquart et Théodore Monod appartenaient au Comité d’Honneur ; que le nouveau président de l’Association Universelle d’Espéranto est l’ancien procureur général et ministre australien de la justice Kep Enderby ; que le prochain congrès mondial se tiendra à Berlin et celui de l’an 2000 à Tel Aviv ; que 250 Nippons et une cinquantaine de Chinois - fait sans précédent - ont participé à celui-ci ; que les Africains y étaient plus nombreux que d’habitude ; que Guy Béart, à qui son père avait enseigné l’espéranto, a donné un concert ; que la première couverture d’un événement par la Radio polonaise en Real-Audio a été celle de ce congrès par sa rédaction d’espéranto ; que deux médecins de Montpellier ont créé une association « Réinsertion et Espéranto » afin d’aider les chômeurs et Rmistes ; qu’il y avait un imposant service librairie (photo dans Midi-Libre) témoignant d’une littérature importante en espéranto, etc. En bref : tout ce qui était sans intérêt et qui brouillait les pistes se trouvait dans Le Monde.

Autre différence : la plupart des médias ont donné une adresse permettant aux personnes curieuses ou intéressées de s’informer, de comparer, de juger. Rien de tel dans Le Monde, comme s’il était gênant de voir une langue, que ce quotidien considère depuis des décennies avec dédain, se regénérer sans cesse, étendre son champ d’applications, gagner de nouveaux pays. Il n’est pas question de demander au Monde de prendre parti pour l’espéranto, mais seulement d’être honnête envers ceux qui lui font confiance. S’il est un domaine, parmi d’autres, où Le Monde s’est coupé du monde, c’est bien celui des options possibles pour résoudre les problèmes de communication linguistique dans l’Union européenne et dans les institutions mondiales, pour toutes les populations.

Ce que je constate, c’est que d’autres quotidiens nationaux, parisiens ou provinciaux n’ont rien à envier au Monde, qui prétend être le quotidien de référence, sur la qualité et la fiabilité de l’information.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les distingués.

Henri Masson
Secrétaire Général de SAT-Amikaro Coauteur de L’homme qui a défié Babel (Éd. Ramsay)


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