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Commentaire de Nometon

sur La Turquie dans l'UE ? Pour un débat digne


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Nometon Nometon 19 février 2008 14:05

L’article reprend une argumentation habituelle, malheureusement assez détestable qui tend à associer toute opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne à une dimension identitaire et religieuse.

L’auteur fait ainsi l’impasse sur les raisons qui conduisent un grand nombre de citoyens à préférer des accords commerciaux et douaniers avec la Turquie, plutôt que son entrée dans l’Europe. Or, ces raisons existent.

La Turquie est un grand pays, de plus de 70 millions d’habitants. Selon les règles de l’Union, le poids politique d’un pays dépend en premier lieu de l’importance de sa population. En rejoignant l’UE, le gouvernement turc (votes au conseil) et les représentants de sa population (votes au Parlement) disposeraient de ce fait d’un poids politique supérieur à celui de plusieurs des Etats fondateurs de l’Europe : l’Italie (58 millions d’habitants), la France (63 millions d’habitants). Toutes choses égales par ailleurs, ce poids, à lui seul, est une variable qu’on ne peut ignorer, notamment dans un contexte où de nombreuses décisions communautaires relèvent désormais de la majorité qualifiée. Il est loin d’être évident, pour les citoyens des grands pays européens, de considérer qu’un nouveau membre de l’Union aurait plus de pouvoir au Conseil et au Parlement de l’Europe, que leurs propres représentants. Il s’agit là de politique, presque de bon sens, et non d’une posture identitaire.

Concernant la politique, justement, en l’occurrence la politique internationnale, les gouvernements turcs successifs ont fait le choix, depuis 50 ans, d’orientations atlantistes, ouvertement pro-états-uniennes. Il n’est pas anodin de noter que les Etats-Unis appuient très fortement l’entrée de la Turquie en Europe. Inutile d’être grand clerc pour déceler leur intérêt dans l’affaire : disposer d’un nouvel allié puissant (avec le Royaume-Uni et la Pologne) au coeur de la construction européenne ; repousser la perspective d’une Europe politique, à la faveur d’un grand marché difficilement gouvernable. Plutôt que d’entrer dans une période d’approfondissement, l’Europe persistant dans l’élargissement, mettrait ainsi durablement (et incompréhensiblement) à mal l’ambition de ses fondateurs.

Concernant les questions de droit, résumées par les critères de Copenhague, plusieurs continuent de poser problème :

  • l’indépendance du pouvoir civil face à l’armée ;
  • la reconnaissance de la république de Chypre, la normalisation des relations avec ce pays  ;
  • l’application des normes de protection des minorités, en particulier la minorité kurde  ;
  • la promotion du droit des femmes.

La non-reconnaissance par la Turquie de la République de Chypre, la guerre permanente que mène l’armée à la population kurde, à l’intérieur, voire récemment à l’extérieur du pays, sont très difficilement acceptables pour un Etat qui sait pertinemment que sa candidature est à l’étude.

Enfin, est-il besoin de rappeler que la Turquie, près de cent ans après avoir commis un génocide à échelle industrielle (1,5 millions de victimes) sur la population arménienne, non seulement refuse de reconnaître l’historicité de ce génocide, mais véhicule sans cesse avec le plus profond cynisme, un discours résolument négationniste.

Voilà, en quelques mots, des éléments rationnels, des faits, qui n’ont que peu à voir avec une "inavouable" vérité identitaire et religieuse où l’auteur cherche à enliser ce débat.

Il existe deux options dans l’avenir des relations entre l’Europe et la Turquie : l’élargissement par l’entrée de la Turquie dans l’UE ou la mise en place d’accords internationaux "les plus forts possibles" sans union institutionnelle. Ce choix ne concerne d’ailleurs pas uniquement la Turquie : d’autres pays aux frontières de l’Europe sont suceptibles, à un horizon de vingt ou trente ans, de conduire à une alternative similaire. Les populations européennes ont, à de nombreuses reprises, exprimé laquelle des deux options a leur préférence.

J’ajoute ceci, car sur des sujets difficiles, on a vite fait de jeter l’opprobre. je suis de convictions socialiste, humaniste, laïque et athée. Cette petite précision écartera, je l’espère, les dérapages et autres malentendus.


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