Pour les lecteurs qui
n’auraient pas connu de l’intérieur, comme nous (je suis à la
retraite aussi depuis trois ans) les moeurs de ce curieux sérail que
l’Education nationale constitue et qui souhaiteraient comprendre
comment on a pu en arriver là, il faudrait probablement renvoyer
aussi à la loi d’orientation du 10 juillet 89 qui ouvrait, à la
veille du bicentenaire d’une révolution française dont les
socialistes ne laissaient pas de faire leurs choux gras, le chantier
de démolition de l’ascenseur social. C’est à partir de cette loi
écrite en langage de Tartufe qu’a pu ensuite s’épanouir dans toute
sa splendeur une nouvelle tyrannie de la bêtise.
Le jeune auteur de cet article, qui se
demande si c’est bien l’affaiblissement des principes d’éducation
qui est à l’origine de la faillite de l’école ignore peut-être
qu’à l’origine, l’école se préoccupait surtout d’instruire. Le
ministère de l’Instruction publique n’est devenu ministère de
l’Education nationale qu’en 1932. Anatole de Monzie, qui en détenait le
portefeuille, était en effet très fortement séduit par le fascisme
italien. Dans les années noires, sous Carcopino on est revenu, je ne
sais pourquoi, à l’Instruction publique, mais cela n’a pas duré
très longtemps. A la libération, on aurait bien dû sentir ce qu’il
y avait de fascisant dans la dénomination de ce ministère, mais
l’habitude s’était installée.
Il va sans dire que l’éducation est
toujours un effet secondaire de l’instruction, mais la réciproque
n’est pas du tout vraie : l’éducation peut très bien former des
jeunesses nazies ou communistes, des gardes rouges ou des islamistes,
en lavant les cerveaux au lieu de les remplir. L’objectif presque
avoué des réformes dont on a été témoin ces dernières années,
c’est de fournir au patronat une main d’oeuvre très subalterne et
assez peu capable, malgré ses diplômes, de revendiquer. Avant la
guerre, avec le seul baccalauréat, on obtenait très vite des
fonctions d’encadrement, mais si tout le monde est bachelier, il n’y
a plus assez de place pour la promotion sociale. Il vaut donc mieux
que l’école devienne, pour reprendre un titre devenu célèbre, « La
fabrique des crétins ».
Sans doute, il y aura
toujours des gens intelligents et instruits, capables de concourir
pour entrer dans les grandes écoles, mais ce sera en dehors du
système d’instruction publique. Ceux qui ont des parents aisés
pourront peut-être espérer tirer leur épingle du jeu. Pour les
autres, il restera le statut d’esclave-citoyen. C’est-à-dire qu’ils
pourront voter et choisir la sauce à laquelle ils seront mangés.
C’est quand même, par rapport à l’époque d’Aristote, un considérable progrès de la démocratie, non ?