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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Le Procope, de l’Encyclopédie au bonnet phrygien

Le Procope, de l’Encyclopédie au bonnet phrygien

Installé dans le quartier Saint-Germain, à deux pas du carrefour de l’Odéon, le Procope fêtera l’an prochain ses... 330 ans d’existence. C’est le plus vieux café-restaurant de France. Une institution toujours aussi attrayante avec ses superbes salons et le souvenir de ses illustres clients...

En émigrant à Paris en 1670 à l’âge de 20 ans, Francesco Procopio dei Coltelli, un jeune sicilien de Palerme de noblesse controversée, espérait faire fortune. Rapidement, la réussite fut au rendez-vous. Tout d’abord à la Foire Saint-Germain où, dans la continuité des Auvergnats de l’époque, les Arméniens Harouthian (dit Pascal) et Maliban, il amassa un joli pécule en débitant des tasses de cet arôme nouveau qui faisait alors fureur dans la capitale : le café. Ensuite, rue de Tournon où il ouvrit à son compte en 1675 un débit de boissons qui se révéla très vite d’une excellente rentabilité. Suffisamment rentable pour que l’homme d’affaires italien puisse, sous le nom francisé de François Procope-Couteaux, acheter en 1685 deux maisons contiguës dans la rue des Fossés Saint-Germain, dont l’une était un établissement de bains réputé à l’enseigne du « Saint-Suaire de Turin » !

Procope transforma ces maisons et les relia entre elles pour en faire l’immeuble actuel, (le n° 13 de la rue de l’l’Ancienne Comédie). Il y installa en 1686 un débit de limonade, de spiritueux, et de ces boissons exotiques qu’étaient encore le café, le thé et le chocolat. Doté de salles cossues et de grands miroirs, Le Procope réussit très vite à attirer les consommateurs de boissons que rebutait l’ambiance triviale des tavernes. Il est vrai que le potentiel de l’établissement avait été évalué avec beaucoup d’intuition par son propriétaire : le café bénéficiait en effet de la présence, au n° 14 de la rive opposée de la rue, de la salle très fréquentée du Jeu de paume de l’Étoile, dont les joueurs et les spectateurs aimaient à se détendre après l’effort dans un lieu agréable : il bénéficiait également, sur son arrière, du voisinage d’un jeu de boules également très prisé, à l’emplacement de l’actuelle cour du Commerce Saint-André. L’affaire s’annonçait florissante...

Trois ans plus tard, le Jeu de paume de l’Étoile fermait ses portes, mais cette nouvelle, loin d’être une catastrophe pour Procope, allait au contraire, conférer à son établissement une notoriété accrue. Et pour cause : chassée du théâtre de Guénégaud en 1687, la Comédie Française devait impérativement trouver une nouvelle salle pour ne pas disparaître. Or, c’est à l’emplacement du Jeu de paume de l’Étoile que les acteurs choisirent de s’installer dans un théâtre construit tout exprès par l’architecte François d’Orbay. La nouvelle salle de spectacle fut inaugurée le 18 avril 1689. On y donna Phèdre, de Monsieur Jean Racine, et Le médecin malgré lui, de Monsieur Molière. Le succès fut triomphal et attira dans les salons du Procope de nombreux spectateurs et acteurs désireux de prolonger l’évènement d’agréable manière. Le café était définitivement lancé.

Le bonnet qui coiffe Pâris

Procope, mort en 1716, eut le temps de voir son établissement se transformer peu à peu en café littéraire, mais il était loin d’imaginer que s’y réuniraient, dès la fin des années 20, les plus grands esprits du Siècle des Lumières : d’Alembert, Beaumarchais, Buffon, Diderot, Grimm, Marmontel, Piron, Rousseau, Voltaire, pour ne citer que les plus célèbres. Tous tenaient là des discussions passionnées sur l’humanisme, la philosophie, la politique et les sciences. Voltaire avait un bureau au Procope, encore visible aujourd’hui bien qu’il eût été cassé plus tard dans un accès de fureur par le révolutionnaire Hébert. Quant à Rousseau, il écrivit là, nous assure-t-on, quelques-uns des articles de l’Encyclopédie. C’est en ce lieu, dit-on également, que ce même Voltaire écrivit, à propos du critique littéraire Fréron auquel il vouait une haine tenace, le célèbre quatrain : « L’autre jour, au fond d’un vallon, / Un serpent mordit Jean Fréron. / Que pensez-vous qu’il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva ! »

En 1770, le départ de la Comédie-Française pour le Palais-Royal fut un coup dur pour le Procope, et cela d’autant plus qu’une partie de la clientèle de renom s’empressa de suivre les acteurs vers leur nouvelle salle, au grand bonheur des propriétaires de La Régence dont le prestige s’en trouva renforcé. Le Procope ne dut sa survie qu’à l’arrivée à sa tête du dénommé Zoppi, le pionnier des glaciers de la capitale. On venait dans l’établissement tout autant pour déguster ses glaces et ses sorbets que pour se désaltérer d’une boisson, et notamment un café, « cette consommation devenue considérable [pour un] peuple ne sachant plus que boire, vu les impôts », comme l’écrivit Mercier dans son Tableau de Paris.

Zoppi s’avéra un fervent partisan des « idées nouvelles » qui se propageait dans la société, échauffant ici les esprits, attisant là les doléances et les revendications. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que le Procope soit devenu l’un des hauts-lieux de la pensée révolutionnaire. Danton, Desmoulins et Marat habitaient tout près de là, et firent des salons du Procope le rendez-vous occasionnel de quelques-uns des plus éminents membres du Club des Cordeliers, et même du Club des Jacobins. Marat pouvait y donner à lire L’Ami du Peuple, tout juste sorti de son imprimerie de la cour du Commerce Saint-André. Outre les personnalités citées, Condorcet, Fabre d’Églantine, Franklin, Hébert, Mirabeau et Robespierre fréquentèrent le Procope en ces temps de passion. Un simple citoyen, dénommé Julian, s’y illustra également en s’exhibant avec « le bonnet phrygien qui coiffe Pâris ». Aussitôt, les intellectuels présents ôtèrent du buste de Voltaire sa couronne de lauriers pour coiffer le grand homme du bonnet rouge des affranchis antiques. Ainsi naquit, dans un salon du Procope, l’un des symboles les plus forts de la Révolution en marche. Et c’est, dit-on, dans un autre salon que fut décidée l’attaque du palais des Tuileries le 10 août 1792 dont chacun sait qu’elle fut décisive pour l’issue de la Révolution.

Le bicorne de Napoléon

Le 19e siècle fut moins glorieux pour le Procope. Redevenu un simple café littéraire, il pouvait néanmoins s’enorgueillir de recevoir dans ses lambris les grands noms de la littérature et du monde des arts. On y vit Balzac, Chopin, Gautier, Musset, Sand, Hugo et bien d’autres sommités. Verlaine également qui tint sur place une gazette éphémère. Le tournant du 20e siècle pris, le Procope, devenu café-restaurant dans les années 20, continua de vivre sans plus connaître de moments exaltants, les intellectuels et les artistes s’étant entichés de Montmartre, puis de Montparnasse. Assoupi, l’établissement ferma ses portes lors de la 2e Guerre mondiale.

La renaissance date de 1954. La nouvelle direction redonna au Procope son lustre d’antan, et les intellectuels reprirent l’habitude de s’y rendre, malgré la concurrence du café de Flore, ou de la Closerie des Lilas. Plusieurs prix sont décernés dans les salons du Procope : le Prix de l’Humour noir depuis 1954 ; le Prix Jean-Zay qui, depuis 2005, récompense un ouvrage porteur des valeurs républicaines ; le Prix Procope des Lumières : créé en 2012, il honore l’auteur d’un essai politique, philosophique ou sociétal. 

Le Procope, c’est enfin une table de qualité où, dans une ambiance feutrée, l’on prend plaisir à déguster le traditionnel coq au vin « ivre de juliénas », le savoureux bœuf des « Révolutionnaires », ou tout autre plat de la carte ou du jour. On peut même y déjeuner le midi pour 20,90 euros (entrée + plat ou plat + dessert) dans un cadre somptueux, en ayant la certitude que des grands noms de l’Histoire de France nous ont précédé à cette même place, où que l’on soit installé dans l’un des nombreux salons de l’établissement. C’est aussi l’occasion de déambuler ici et là, l’œil rivé sur les décors révolutionnaires – les papiers peints datent de 1830 –, le poêle en faïence de 1686, ou les portraits et bustes d’illustres clients. Un véritable musée ! Une seule obligation : ne pas oublier de régler la note du repas. Napoléon lui-même dut se résoudre à y payer ses dettes : il le fit en faisant don au Procope d’un bicorne qui trône aujourd’hui encore dans une vitrine à l’entrée de l’établissement. 

 

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5 réactions à cet article    


  • Le p’tit Charles 25 mars 2015 10:08

    +++

    J’ai eu la chance étudiant d’y être invité pour un dîner....Un des meilleurs restaurant de Paris (pour moi) dans une ambiance sans nulle autre pareille..Avec un Bourgogne venu du ciel.. !

    • Le p’tit Charles 25 mars 2015 11:03

      @Le p’tit Charles

      Oupssssssss
      Des jaloux.... ?

    • Fergus Fergus 25 mars 2015 11:14

      Bonjour, Le p’tit Charles

      J’ai, quant à moi, eu la chance d’aller y déjeuner deux ou trois fois lorsque je travaillais à Paris, non loin de l’Odéon. Et j’y suis retourné avec mon épouse il y a une dizaine de jours. Avec le plaisir intact de revoir ce lieu que j’apprécie. C’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie d’écrire cet article.

      J’ai d’autant plus de mérite à apprécier Le Procope que mon père a longtemps travaillé à... La Régence, du temps où ce restaurant existait encore. Là aussi, ambiance confortable et feutrée sous les lustres en cristal et dans le reflet des grands miroirs. Je garde un souvenir particulier de cet établissement que fréquentaient la plupart des acteurs et actrices de la Comédie Française. Au point que j’ai en ma possession la livre d’or personnel de mon père, empli des annotations et des dessins de personnalités comme Michel Aumont, Geneviève Casile, Jacques Charon, Jean-Claude Drouot, Pierre Dux, Robert Hirsch, Noël-Noël ou Jean Piat, pour ne citer que ceux-là.

      Le bicorne de Napoléon est au Procope. Mais la table où le général Bonaparte jouait aux échecs était visible à La Régence. Deux grandes adresses dont l’une des deux a malheureusement disparu. 


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 25 mars 2015 20:26

      Merci Fergus


       Il n’ a que vous sur ce site pour me rappeler le Paris de ma jeunesse... 

      Pierre JC

      • Fergus Fergus 25 mars 2015 20:43

        Bonsoir, Pierre.

        Le Procope fait partie de ces lieux que l’on apprécie d’avoir connus et que l’on prend toujours plaisir à retrouver. Il ne m’étonne pas que l’épicurien et le féru d’histoire que vous êtes ait fréquenté cet endroit.

        Cordialement.

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