@Emile Mourey
Je m’étais promis, hier, de vous répondre quelque chose, mais ce serait à peu près ce que je viens d’écrire à propos d’un article de Rosemar lu ce matin et qui traite de la capacité à s’étonner en face des choses, et donc, de l’expérience esthétique. Je recopie ici la réponse que je viens de lui faire :
-------------------------------------------------------
« S’étonner, c’est cultiver aussi son imagination, c’est percevoir des fusions de sensations, des harmonies nouvelles... »
@Rosemar,
Vous avez tout à fait raison, et rien n’est plus difficile que de
retrouver cette capacité d’étonnement qui est celle des enfants. Et je
prends le mot au sens latin de « infans » : celui qui ne dispose pas
encore des ressources du langage.
Sur ce que nous voyons, nous
plaquons des mots qui emballent les choses, les rangent dans des
catégories prédéterminées et les expédient vers je ne sais quelle région
de l’esprit qui ressemble un peu à une poubelle. L’émotion esthétique,
dans ce qu’elle peut avoir de plus indicible, se trouve immédiatement
évacuée et n’échappe pas au même destin que notre rapport aux choses les
plus quotidiennes et triviales. C’est en ce sens probablement que
Baudelaire pouvait dire du génie qu’il était « l’enfance retrouvée à
volonté ». Songeons au « vert paradis des amours enfantines » dans le
poème Moesta et errabunda.
Dans « La nausée », Jean-Paul Sartre, très
sensibilisé à cette question par les acquis récents de la phénoménologie
et le concept husserlien de réduction éidétique, a écrit une très belle
page : Roquentin est au bord de la plage, il voit « la mer », « les
mouettes », toutes choses sur lesquelles un mot vient immédiatement se
plaquer, pour masquer, en quelque manière, la relation existentielle
complexe que nous entretenons avec les choses.
Je lisais hier sur ce
site un très bel article d’Emile Mourey à propos de la représentation du
printemps dans la peinture de Botticelli. Comment rendre compte de
notre relation à la peinture, -qui n’est pas un langage-, par des mots ?
Très souvent, les explications, celles que des conférenciers, au Louvre
par exemple, fournissent à des groupes désireux de comprendre, ratent
complètement leur objectif : ce que nous voyons excède toujours les
capacités du langage par lequel nous essayons d’en rendre compte, et cet
article d’Emile Mourey, qu’il faut lire, évite justement très bien cet
écueil par une espèce d’équilibrisme stylistique aussi difficile à
définir qu’à réaliser.