La Révolution française en musique
Qu’ils soient exaltants ou dramatiques, les différents épisodes d’un évènement aussi considérable que la Révolution française ne pouvaient laisser indifférents les auteurs et les compositeurs. Et de fait ils ont donné lieu à l’écriture de plusieurs œuvres, plus ou moins restées dans la mémoire collective. Petit florilège...
Impossible de parler de chant révolutionnaire sans évoquer en tout premier lieu La Marseillaise. Tout commence le 24 avril 1792. Claude Joseph Rouget de Lisle, officier du génie, est alors en garnison à Strasbourg et frère de loge maçonnique du baron Philippe-Frédéric de Dietrich, maire de la ville. Tout naturellement, le soldat est reçu par l’édile en compagnie de quelques amis très échauffés par la déclaration de guerre à l’Autriche faite par Louis XVI quatre jours plus tôt. Soudain, De Dietrich se tourne vers Rouget de Lisle et lui tient ce langage : « Monsieur de Lisle, vous qui parlez le langage des Dieux, vous qui maniez la harpe d'Orphée, faites-nous quelque beau chant pour ce peuple soldat qui surgit de toutes parts à l'appel de la patrie en danger et vous aurez bien mérité de la nation. »
Relevant le défi, Rouget de Lisle rentre chez lui et, après avoir pris rendez-vous pour le lendemain, entreprend aussitôt d’écrire ce chant en s’inspirant tout à la fois d'une affiche de la Société des Amis de la Constitution intitulée « Aux armes, citoyens ! » et d'une ode de Nicolas Boileau dans laquelle on peut lire ceci : « les corps pourris, dans nos plaines, n'ont fait qu'engraisser nos sillons ». Dans la soirée du 25 avril, donnée en l’honneur des officiers en garnison, le salon de De Dietrich est comble. Rouget de Lisle soumet son œuvre. Elle est chantée par le maire lui-même, accompagné au piano par une femme et au violon par l’auteur-compositeur. C’est un triomphe. Ainsi naît le Chant de guerre pour l'armée du Rhin, également dénommé Chant pour les volontaires de l’armée du Rhin et même Hymne de guerre dédié au maréchal de Luckner.
Des appellations éphémères pour un chant qui ne le sera pas. Imprimé et diffusé partout en France, il est repris le 22 juin par un étudiant de Montpellier et futur général, François Mireur, lors d’un banquet donné à Marseille en son honneur, en présence de 500 volontaires prêts à partir se battre contre les ennemis de la Patrie. Nouveau triomphe. Adopté par les recrues, c’est aux accents de ce chant que les soldats marseillais entrent dans Paris le 30 juillet 1792. Enthousiasmés à leur tour, les Parisiens rebaptisent ce chant de guerre : il devient La Marseillaise. Le 14 juillet 1795, il est déclaré « chant national ». Le 14 juillet 1789, il devient l’hymne national français.
La chute de Robespierre dans la nuit du 8 au 9 thermidor de l’An II (26 et 27 juillet 1794) donne lieu à l’écriture de deux œuvres passées, elles aussi à la postérité : le Chant du 9 thermidor (1794), composé par Jean-François Lesueur sur des paroles de Théodore Désorgues, et l’Hymne dithyrambique sur la conjuration de Robespierre, écrit par Rouget de Lisle et orchestré plus tard par Hector Berlioz. Deux œuvres qui valent assurément plus pour leur musique que pour leurs paroles grandiloquentes et convenues comme le montre cet extrait de l’Hymne : « Voyez-vous ce spectre livide / Qui déchire son propre flanc ; / Encore tout souillé de sang, / De sang il est encore avide. / Voyez avec un rire affreux / Comme il désigne ses victimes, / Voyez comme il excite aux crimes / Ses satellites furieux... »
Avec l’Hymne à l’Espérance en 1797, le Chant des vengeances, un « intermède mêlé de pantomimes », en 1798, et un Chant du combat en 1799, Rouget de Lisle récidive dans la composition patriotique et grandiloquente. Des œuvres très largement oubliées de nos jours.
Tyrans, descendez au cercueil !
Autre grand artisan de la musique révolutionnaire de l’époque : le compositeur Étienne-Nicolas Méhul, franc-maçon comme Rouget de Lisle. On lui doit notamment quelques œuvres directement liée à la Révolution française et à ses prolongements.
La plus connue est évidemment le Chant du Départ, mis en musique en juin 1794 par Méhul sur des paroles de Marie-Joseph Chénier , et non de son frère André Chénier comme on l’écrit trop souvent. Que cette œuvre soit due à une demande de Bernard Sarrette, alors directeur de l’Institut national de musique, pour commémorer la prise de la Bastille cinq ans plus tôt, ou pour célébrer la victoire de Fleurus le 26 juin 1794, peu importe. Le fait est qu’elle est jouée pour la première fois lors de la fête donnée le 4 juillet pour célébrer la prise de la ville d’Ostende. Le Chant du Départ est ensuite utilisé à différentes reprises lors de cérémonies officielles comme le transfert des cendres de Marat au Panthéon le 21 septembre 1794 avant de devenir l’un des symboles du chant révolutionnaire. Malgré quelques accents guerriers du genre « Tremblez, ennemis de la France, / Rois ivres de sang et d'orgueil ! / Le peuple souverain s'avance : / Tyrans, descendez au cercueil », le Chant du Départ met en scène de manière trop lyrique ses sept personnages symboliques de la société républicaine (un par strophe) pour être réellement un chant de combat propre à fédérer les énergies. Il n’en reste pas moins une très belle œuvre, jouée pour la 1ère fois par l'orchestre et les chœurs du Conservatoire de musique lors des festivités du 14 juillet 1794.
Auparavant, le même duo Méhul-Chénier avait produit, en décembre 1793, un Hymne à la raison pour trois voix d’hommes, chœur et orchestre. D’autres œuvres bien oubliées sont également dues à Méhul, tels l’Hymne de Bara et Viala (juillet 1794), le Chant des victoires (août 1794) et le Chant du Retour (1797).Vient enfin une œuvre plus ambitieuse - elle aussi avec voix d’homme, chœur et orchestre -, le Chant national, composé pour le 14 juillet 1800.
À noter encore, parmi quelques œuvres de circonstances, l’Ode sur les deux jeunes héros Bara et Viala, composée par Guiseppe Maria Cambini, l’homme qui, par jalousie, empêcha Mozart de faire jouer sa symphonie concertante au Concert Spirituel. Cette ode est chantée partout en France lors de la fête donnée en l’honneur de ces icônes du courage républicain le 28 juillet 1794. Partout, sauf à Paris où la fête est annulée : la veille, 9 thermidor, la tête de Robespierre est tombée dans un panier d’osier sur l’échafaud.
En relation ténue avec la Révolution, on doit également à Cambini l’une de ces symphonies concertantes dont il s’était fait une spécialité depuis son arrivée à Paris en 1770. Dénommée La patriote, cette symphonie, composée pour deux violons et orchestre en 1796, est une œuvre plutôt conventionnelle dont le seul véritable intérêt réside dans l’utilisation alors inusitée du trombone. Contrairement à la Grande symphonie de Wranitzky évoquée plus loin, seul le titre est un hommage à la France révolutionnaire.
Autre œuvre de circonstance : l’Invocation (Hymne patriotique), un chœur à quatre voix mixtes avec accompagnement d’orchestre composé par François-Joseph Gossec sur des paroles de Marie-Joseph Chénier directement inspirées par le transfert des cendres de Voltaire au Panthéon le 11 juillet 1791. Cet hymne est exécuté pour la 1ère fois par les artistes de l'Opéra de Paris, pendant l’arrêt du cortège devant leur théâtre, le jour de la translation de ces cendres.
Deux ans plus tard, Gossec compose également, sur les paroles d’un certain Véron, un Hymne à la statue de la Liberté. Exécuté pour la première fois lors de de la Fête de la Réunion le 10 août 1793, cette œuvre pour chœur et orchestre prend ensuite le nom d’Hymne à la liberté. L’année suivante, nouvelle contribution de Gossec avec l’Hymne à l’Être suprême composé sur des paroles pompeuses de Théodore Désorgues. C’est au Jardin National (devenu Jardin des Tuileries) que cette œuvre pour chœur et orchestre d’harmonie est créée le 8 juin 1794.
Avec son Hymne à la Victoire de 1796 puis sa Marche funèbre en hommage au général Hoche, c’est encore deux œuvres de circonstance avec voix, chœurs et orchestre que compose Luigi Cherubini , la première de ces deux œuvres sur des paroles du poète Claude-Marie-Louis-Emmanuel Carbon de Flins Des Oliviers (ouf !) et la deuxième sur un nouveau texte de Marie-Joseph Chénier.
Dansons la carmagnole
Dans ce panorama de la Révolution française en musique, il est une œuvre majeure, bien que trop largement méconnue du public : la Grande symphonie caractéristique pour la Paix avec la République française. C omposée par le Bohémien Paul Wranitzky – encore un franc-maçon, membre de la même loge que Mozart -, cette symphonie descriptive à programme doit être jouée à Vienne le 20 décembre 1797 ; elle est interdite par un décret de l’Empereur autrichien qui connaît le goût du compositeur pour les idées de la Révolution française. L’œuvre prend toutefois vie sous la forme d’un quintette avant de retrouver son ampleur symphonique initiale dans deux versions, l’une réservée à un orchestre à cordes, l’autre à un grand orchestre avec bois, cuivres et timbales. C’est bien évidemment cette version plus puissante et plus épique qui rend le mieux justice aux différentes phases de la Révolution mises en musique par Wranitzky dans les quatre mouvements de l’œuvre :
1) Le premier, intitulé La Révolution, s’ouvre (andante maestoso) sur une profonde tonalité tragique, symbolique de la colère qui monte et qui éclate en 1789 sur le pays, puis très vite la musique devient joyeuse (allegro molto) ; soutenue à deux reprises par une superbe « marche angloise », symbolique du pays qui se rassemble et s’unit, elle se met au service de l’exaltation née du soulèvement du peuple contre la tyrannie des puissants.
2) Le deuxième, Le destin et la mort de Louis XVI (adagio affetuoso), est un hommage apaisé au monarque et à son épouse jusqu’au moment où, sur une superbe et dramatique marche funèbre en tonalité mineure, le roi et la reine, emprisonnés, attendent leur supplice avant de monter l’un après l’autre à l’échafaud. Le calme, symbolique de la sidération née du régicide, revient ensuite, sur les accents du thème initial du mouvement.
3) Le troisième, Le tumulte d’une bataille (allegro) met en scène, d’abord sur une reprise de la marche angloise puis sur une martiale « marche des Alliés », la montée au combat des armées de la République pour faire face aux forces monarchiques conduites par l’Empire autrichien. Suit une description de bataille dans laquelle on retrouve, en filigrane musical, les victoires de Valmy et de Fleurus.
4) Le quatrième et dernier mouvement comporte deux parties, comme le premier. Ce sont d’abord (andante religioso) les Perspectives de paix dont les espoirs sont matérialisés par un thème feutré inspiré par les négociations en cours, puis (allegro vivace) l’exubérante Jubilation pour le retour de la paix, née du Traité de Campo-Formio.
Nulle autre œuvre classique d’ampleur, de surcroît descriptive, n’a été composée sur le thème de la Révolution française. Cela donne à la symphonie de Wranitzky une importance d’autant plus grande que cette partition, composée par un élève de Haydn et inspirateur de Mozart pour son opéra La flûte enchantée, est superbement inspirée et instrumentée de manière brillante pour le plus grand plaisir des amateurs de musique classique et... d’histoire..
Outre les œuvres évoquées ci-dessus, quelques chansons ont marqué la Révolution française. Aujourd’hui encore, deux d’entre elles continuent d’en être des symboles dans la mémoire populaire : Ça ira et La carmagnole.
Après l’avoir chantée une première fois en mai 1790, c’est lors de la Fête de la Fédération organisée sur le Champ de Mars le 14 juillet de la même année que le chanteur de rues Ladré fait connaître au plus grand nombre le célèbre Ça ira, écrit sur une contredanse intitulée « Le carillon national » et composée en 1786 par le violoniste Bécourt. Le succès de Ça ira (ici interprétée par Édith Piaf pour le film de Sacha Guitry « Si Versailles m’était conté ») ne se dément pas et la chanson est souvent reprise au fil des ans, parfois dans des versions de circonstance. Qui d’entre nous n’en a pas, un jour ou l’autre, fredonné le refrain final : « Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira, / Les aristocrates à la lanterne* ! / Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira, / Les aristocrates on les pendra ! » ?
Autre chanson très populaire auprès des révolutionnaires, La carmagnole naît en 1790 lors de la chute de la monarchie sur une musique très probablement originaire du Piémont, et plus précisément de la région de Carmagnola. Amenée en France par les Italiens, la mélodie est rapidement associée à la veste courte qu’ils portent et qui est adoptée par la population parisienne sous le nom de carmagnole. Les paroles sont, semble-t-il, dues à un certain Birard ou Biraud, domicilié rue Pastourelle, au cœur du Marais, où il exerce le métier de culottier. Les Sans-culotte avaient besoin d’un hymne, et c’est paradoxalement à un culottier qu’ils doivent de chanter « Dansons la carmagnole, / Vive le son, vive le son, / Dansons la carmagnole, / Vive le son du canon ! »
D’autres titres, souvent écrits et composés par des anonymes (ou chantés sur des airs plus anciens) ont connu le succès durant les années révolutionnaires qui ont suivi le 14 juillet 1789. Parmi eux : La prise de la Bastille (1789) et son « étonnante nouvelle [qui] frappe aujourd’hui l’univers ! » ; Le grand projet (1791) où l’on apprend de la bouche de Danton que « rien ne vaut mieux, ma foi, qu’une République bien démocratique » ; Le bonnet de la Liberté (1791) qui cause « tant de grimaces » « aux aristocratiques faces » ; La guillotine (1793), cette « machine [qui] humainement tuera » ; La complainte de Louis XVI aux Français (1793) et son final empli de dignité « Ô mon peuple ! recevez mes adieux, / Soyez heureux, je meurs sans peine ; / Puisse mon sang, en coulant sous vos yeux, / Dans vos cœurs éteindre la haine. » ; La complainte des émigrés (1794), regrettant que « personne n’ira donc plus, de son castel, pisser dans la Garonne ! » ; Le réveil du peuple (1795) ou l’effrayant cri de vengeance : « Ah ! qu’ils périssent, ces infâmes / Et ces égorgeurs dévorants / Qui portent au fond de leurs âmes / Le crime et l’amour des tyrans ! » ; sans oublier La queue à Robespierre (1795).
Que nous réservera en matière musicale la prochaine révolution ?
* La « lanterne » évoquée-là était suspendue à une potence en métal et éclairait alors la place de Grève.
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