Mais qui les a tués ?
Le 28 septembre 1986, deux garçonnets de 8 ans sont retrouvés, le crâne fracassé à coups de pierres, sur une voie ferrée à Montigny-lès-Metz.
Pour ces crimes, Patrick Dils a été condamné à deux reprises avant d’être acquitté par la Cour d’assises du Rhône le 24 avril 2002.
Francis Heaulme a été mis en examen, au mois de juin 2006, pour ces homicides volontaires et selon l’Agence France Presse reprenant L’Est Républicain, le procureur de Metz vient de requérir un non-lieu en sa faveur, faute de charges suffisantes. On peut légitimement présumer que le doyen Thierry Monfort ne va pas s’opposer à ces réquisitions puisqu’il avait déclaré au mois d’avril qu’il allait "bien être obligé de faire un non-lieu", ajoutant avoir "tout tenté" pour parvenir à la manifestation de la vérité et constatant que "c’est triste à dire, mais je n’ai plus de piste. Je crois bien que c’est cuit".
Ces péripéties procédurales, parfaitement valides en elles-mêmes et diligentées par d’excellents collègues, ne mettent pas en cause directement le fonctionnement de la justice même si, en définitive, force est d’admettre que l’incompréhension du citoyen à l’égard de cette affaire criminelle hors du commun peut apparaître justifiée.
On sait que le double meurtre, au regard de toute l’information recueillie, n’a "impliqué" que Patrick Dils et Francis Heaulme. Aucun tiers apparemment n’est venu troubler, sur ce plan, l’administration de la preuve. Ils sont deux, et rien que deux. L’alternative, c’est la présence passive de l’un et la culpabilité de l’autre, ou l’inverse. Sans faire preuve d’une facile lucidité rétrospective, comment ne pas supputer que l’acquittement de Dils est dû à la présence de Heaulme sur les lieux - peu importe son apparence à cet instant - et que les réquisitions de non-lieu au bénéfice de ce dernier sont fondées sur le doute qui s’attache à sa culpabilité ? Les deux, réciproquement, grâce à l’autre, grâce au doute, auront obtenu une exonération judiciaire que, dans la rigueur des principes, on n’a pas à discuter.
Mais, alors, qui a tué ces deux garçonnets de 8 ans ?
L’Etat de droit, dans de telles manifestations, nous contraint bien à considérer que tout acquittement n’est pas la consécration d’une innocence, que toute ordonnance de non-lieu n’est pas la démonstration d’une virginité, mais que, l’un et l’autre, dans certaines conditions, ne permettent que d’inférer une absence de culpabilité et la certitude - ce mot utilisé à dessein - d’une incertitude substantielle. Puisqu’il y a forcément, dans les deux, un coupable et que chacun s’appuie sur la possible criminalité de l’autre pour se sortir de son propre étau.
Au risque de choquer, il me semble que la perfection formelle d’une telle construction judiciaire n’est pas loin de représenter une absurdité pour le bon sens et le commun des citoyens. Deux couples de parents ont perdu leur enfant dans des conditions atroces et sont condamnés à se satisfaire du doute qui a éloigné l’un et l’autre membre de cet intenable duo d’une suspicion fondamentale. Il est facile, dans le confort d’une chambre, à l’abri de tout, de se persuader qu’il vaut mieux un coupable en liberté qu’un innocent en prison. Mais deux personnes en liberté - je sais qu’Heaulme est incarcéré par ailleurs - quand l’une est nécessairement coupable ?
En tout cas, à cause de cette affaire exceptionnelle par sa gravité et ses imprévisibles conséquences, je me sens plus que jamais enclin à refuser le diktat médiatique qui vient avec sulpicianisme jeter le voile de l’innocence sur n’importe quel accusé ayant échappé aux fourches caudines de la justice. Parce que celle-ci a respecté ses valeurs dont la défense a naturellement bénéficié, rien ne nous oblige, sur le plan de la conviction intime, à octroyer aux anciens accusés une considération aussi entière que celle qu’ils se portent après des décisions d’absolution.
L’innocence est un trésor trop rare pour que le judiciaire le sème ainsi à tous vents. Le doute et ses suites légitimes créent, déjà, à eux seuls, suffisamment de dégâts.
La question lancinante demeure celle-ci, qu’on le veuille ou non : mais alors qui les a tués ?
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