Présidentielle 2019. Pourquoi les différends doivent être mis de côté et la sagesse primer entre les élites pour le bien de l’Algérie ?
Une question en ce moment fort de l’histoire se pose pour l’Algérie. Qui sera le président appelé à prendre les rênes de la nation ? Il y a comme un black-out tellement rien ne filtre des arcanes du pouvoir. Mais est-ce normal ou simplement naturel pourrait-on répondre à la question ? Oui, puisque c’est ainsi et on doit se dire qu’il y a des raisons très sérieuses car, dans un pays jeune qui n’a pour ainsi dire que 56 ans d’existence, tout d’abord il n’y a pas de traditions dans les élections présidentielles comme dans les nations avancées et là joue un peu le poids du temps. Et on n’a pas tort de dire, par exemple, que l’Europe est le « vieux continent ». Et c’est très judicieux de se faire affubler par soi-même de ce qualificatif. En effet, les grandes nations développées ont certes vieilli, mais c’est le prix du progrès, dira-ton. Cependant il n’empêche que les nations d’Europe jouent un rôle de modérateur dans l’équilibre du monde. Un monde devenu un duopole, dominé naguère par les États-Unis et l’URSS, aujourd’hui par la Chine et les USA.
Et qu’en est-il pour l’Algérie, un pays en voie de développement, dans les élections présidentielles à venir. Il existe des réticences comme d’ailleurs dans chaque élection présidentielle en Algérie. On cherche toujours un compromis, on vise l’homme de consensus, mais il est difficile d’y arriver. Pourquoi ? Parce que si c’était le cas, il aurait déjà été connu, et même il se trouverait à faire campagne avant l’heure, ne serait-ce qu’en se montrant souvent dans les médias visuels et écrits. On aurait analysé, on aurait parlé du candidat en bien comme en mal, mais normalement, tout candidat nouveau, les médias ne peuvent dire d’emblée du mal. Pourquoi ? Tout simplement, ils n’ont aucune connaissance de ce qu’il peut faire en tant qu’élu à la magistrature suprême. Un candidat dénigré avant l’heure n’a pas de sens si ce ne serait le dépit. Boumediene a été dénigré mais il a été un grand président. Le peuple l’a pleuré. Chadli, un homme qui n’a pas choisi à être un président mais a été poussé à l’être. Combien même il a démissionné, il a été aussi un homme qui a joué un grand rôle dans l’histoire de l’Algérie. Combien même se sont enrichis des élites, à son époque, le président Chadli a apporté aussi le bien-être au peuple algérien. Si, après sa démission, l’Algérie a été à feu et à sang, cela relève à l’histoire qui a fait retourner le prix du pétrole en 1986.
De plus, l’Algérie est un pays jeune. Combien même il y a eu la décennie noire, il reste que cette période fait partie des stades douloureux de son histoire. Aujourd’hui, la plupart des anciens présidents algériens sont morts. Ahmed Ben Bella, Houari Boumédiène, Chadli Bendjedid, Mohamed Boudiaf sont morts. Qu’ont-ils pris avec eux dans leurs morts ? Rien sinon leurs actions bonnes ou mauvaises qu’ils ont comptabilisées durant leurs présidences. D’autre part, ont-ils cherché à présider au destin de l’Algérie ? Ou pouvaient-ils le faire ? Ils ne l’ont fait que parce que les conjonctures historiques l’ont commandé. Sans les conjonctures et l’évolution de l’histoire, aucun de ces hommes ne serait président.
Prenons un cas très simple. Si, durant le temps où Liamine Zéroual était président, le prix du baril de pétrole était, en 1998, 1999, à 100 dollars sur le marché mondial, est-ce que Abdelaziz Bouteflika aurait été président ? Il est évident que non. C’est la conjoncture historique qui commande l’homme dans son destin. Et l’homme est incapable de connaître son avenir. Simplement, il ne lui est pas donné de le connaître.
Aujourd’hui, l’Algérie commande-t-elle son destin dans le sens que le peuple va choisir son président ? Et nous savons que le président algérien Abdelaziz Bouteflika est malade, il est invalide. Pourtant, malgré sa maladie, en 2014, il est resté président. Il est certain que ce sont probablement les hautes personnalités de la nation qui le lui ont conseillé, compte tenu qu’à l’époque, les pays arabes étaient déstabilisés par le Printemps arabe. Un vent de protestation révolutionnaire soufflait sur eux. Venu de la Tunisie, le vent a continué à soufflé sur la Lybie, l’Égypte, la Syrie, l’Irak, le Yémen, emportant tous les présidents sur son passage. Et l’Algérie était compris dans ce vent de la protestation, elle était dans le viseur des puissances occidentales. Un pays aligné à l’ex-URSS qu’il fallait démanteler à l’instar de la Syrie. Donc ce 4ème mandat pour Abdelaziz Bouteflika était légitimé par l’histoire. Sans la conjoncture historique, le 4ème mandat aurait posé problème aux décideurs.
Que peut-on dire des trois mandatures du président ? Avant même le quatrième mandat. La question se pose en ces termes. Qui a permis à l’Algérie d’amasser environ 200 milliards de dollars en réserves de change ? Qui a contrôlé les avoirs extérieurs de l’Algérie ? Certes, c’était l’ancien gouverneur de la Banque centrale d’Algérie, Mohamed Laksaci, qui y a joué un rôle important. Il faut rappeler que, grâce à ces réserves de change, le souffle violent du Printemps arabe est passé pour l’Algérie comme une brise de printemps. Pourquoi ? Parce que c’est une partie de ces 200 milliards de réserves de change qui a permis d’« acheter la paix sociale ». Mais le vrai artisan dans cette puissance de frappe que constituent les réserves de change, n’est-il pas le président Bouteflika lui-même ? Qu’on l’accepte ou qu’on le dénigre, on ne peut le nier, c’est bien lui qui a supervisé cette accumulation de réserves de change qu’il a suivie de près. Probablement, et on peut le penser, les rapports sur la situation macroéconomique du pays lui ont été fait quotidiennement.
Regardons seulement ce qui se passe au Venezuela, un pays moins peuplé que l’Algérie,
environ 31 millions d’habitants, deux fois plus riches et exporte deux fois plus le volume des exportations pétrolières/jour que l’Algérie. Le Venezuela se trouve aujourd’hui dans une grave crise politique et économique. Si le Venezuela avait mis de côté un pactole suffisant de réserves de change, il n’aurait pas vécu cette violente crise politique et sociale. L’Algérie est devenue un modèle dans la préservation des réserves de change, pour les pays en voie de développement.
Donc, sur le plan de l’histoire, lorsque le président Abdelaziz sera parti, il aura laissé un grand legs à l’histoire à l’Algérie. Et ce legs est une vérité. On a beau lui reprocher qu’il n’a rien fait avec les 800 milliards de dollars que l’Algérie a enregistrés en recettes de ses exportations pétrolières, durant ses mandats présidentiels, cette critique ne tient pas la route. Les faits sont là, ils donnent d’ailleurs le sens même du pourquoi de l’Histoire qui l’a choisi pour présider à la nation. Un autre homme qui aurait présidé à l’Algérie aurait été soit mal conseillé soit n’aurait pas suffisamment d’autorité pour accumuler à l’Algérie un niveau suffisant de réserve de change pour les années difficiles. Depuis 2014, nous sommes en 2018, l’Algérie puise dans ses réserves de change pour financer année après année jusqu’à aujourd’hui les déficits courants. Et ces réserves de change peuvent durer encore quelques années.
Sans compter le million de logements, le gouvernement parle de deux millions de logements réalisés. Pour les véhicules, tous types confondus, le parc roulant de l’Algérie a explosé, plusieurs millions d’unités importées. Une autoroute Est-Ouest ultra-moderne a été construite, et un nombre impressionnant de réalisations (hôpitaux, aéroports, universités, écoles, etc.... La Défense nationale n’est pas en reste. On comprend dès lors que Abdelaziz Bouteflika n’est devenu président que parce qu’il était l’homme de la conjoncture historique. On peut opposer que c’est de la métaphysique, et ce mot complexe ne veut rien dire. Pourtant il veut tout dire. Toute l’humanité est métaphysique. Pour ne donner qu’un exemple. Prenons Liamine Zéroual qui a refusé tous les hauts postes de l’État, de commandant des forces terrestres, d’ambassadeur dans un pays européen, il est rentré chez lui. Mais lorsque le feu était dans la « maison Algérie », on a fait appel à lui en juillet 1993, et non à Bouteflika, parce qu’il était un peu le de Gaule algérien, à l’instar du président français lors de la guerre d’Algérie, en 1958. Il y avait menace, à l’époque, sur la métropole française.
Homme de poigne, de dialogue, et surtout foncièrement humain, Liamine Zéroual était l’homme dont l’Algérie avait besoin. Il est évident que les historiens analyseront l’histoire de l’Algérie et trouveront en chacun de ses hommes les raisons historiques qui les ont amenés au plus haut sommet de l’État. De même, Mohamed Boudiaf qui est venu sortir l’Algérie du gouffre du terrorisme a payé de sa vie pour son pays.
Aussi, après ce rapide tour d’horizon sur les déboires de l’Algérie et des hommes « choisis » par l’histoire pour présider à la nation, on ne doit pas oublier qu’avant les hommes, il y a la nation et, derrière le président de la nation, il y a le peuple, et c’est cela qu’il faut retenir. Dès lors, le porte-drapeau de la nation ne se commande pas, l’homme certes choisit, mais au-dessus il y a l’Histoire. Et l’Histoire joue un rôle dans le choix des hommes.
Or, aujourd’hui qu’est-ce qui se passe sur le plan politique, en Algérie ? A quatre mois et six jours de la prochaine élection, rien ne transparaît des intentions du pouvoir et même l’opposition est dans l’expectative. Il y a certes le cinquième mandat que l’on avance, mais ce silence est de lui-même parlant. En effet, si le cinquième mandat est en route, on ne comprend pas les événements qui émaillent la scène politique nationale avec Ould-Abbès, l’ex-chef du parti FLN, qui prônait un cinquième mandat mordicus, passe ensuite la main à un autre. Aussi peut-on dire que la situation est en train de se décanter. On ne peut penser que l’Algérie, une grande nation parmi les pays en voie de développement, navigue à vue. Combien même, elle naviguerait à vue, l’histoire est là pour rectifier le tir, pour la mettre dans la voie historique qui lui est « échue » dans le concert des nations.
D’autre part, s’il y a des ambitions des uns et des autres, elles sont aussi tout à fait légitimes. La lutte pour le pouvoir est nécessaire, et, en regard de l’histoire, le meilleur gagne. Et le meilleur est le mieux en rapport et toujours avec la conjoncture historique et l’état du système politique dans son évolution historique.
Et le peuple que cherche-t-il ? Sinon la stabilité et la sécurité. Il est conscient de toutes les tractations, des manœuvres qui se font sur son dos. Sauf qu’il ne peut pas agir, le stade historique dans lequel il se trouve ne le lui permet pas. De plus, on a vu avec les avancées démocratiques en Algérie, après le 5 octobre 1988, ce qu’elles ont donné dans les années 1990. Une décennie noire. On a vu aussi ailleurs les avancées démocratiques du Printemps arabe. En Syrie, 4 millions de Syriens parqués dans des camps de toiles, vivant de l’aide internationale, dans les pays limitrophes, et une guerre atroce opposant Syriens contre Syriens à l’intérieur de la Syrie. Au Yémen, en Tunisie, en Égypte.
Donc tout peuple cherche en l’homme qui préside à son devenir une protection. Donc, avant tout une sécurité, du travail, une subsistance pour vivre et une liberté dans le respect des lois de son pays.
Aujourd’hui, ce qui nous apparaît le plus logique, le problème n’est pas un cinquième mandat, mais que l’Algérie se trouve à un tournant de son histoire. Un tournant qui, compte tenu des enjeux avec un pétrole qui a chuté fortement sur les marchés depuis 2014 et ne s’est redressé que depuis un an, et de nouveau a rechuté fortement, et ce en regard du tournant de l’économie mondiale depuis que Donald Trump a opposé une politique protectionniste à ses partenaires commerciaux. Si Trump a trouvé un terrain d’entente avec les pays d’Europe, le Canada et le Mexique, la situation est différente avec la Chine. Anticipant les avancées de la Chine qui est appelée, selon les pronostics occidentaux, à surpasser en 2025 les États-Unis, et donc à devenir la première puissance économique du monde, Donald Trump cherche à retarder cette montée en puissance en imposant des droits élevés de douane aux exportations de la Chine vers les États-Unis.
Cette situation de guerre économique entre les deux premières puissances économiques mondiales va forcément continuer d’affecter le prix du pétrole. Et durablement. N’oublions pas que le dollar est la monnaie de facturation pour les transactions pétrolières des pays de l’OPEP. Et même si la Chine paiera plus cher ses importations en pétrole, toute hausse du pétrole malgré tout lui sera favorable puisque des recettes conséquentes en dollars pour les pays pétroliers et les injections de liquidités en dollars par la Banque centrale américaine ne pourront que tirer la croissance mondiale et, par conséquent, doper les exportations de biens et services de la Chine.
Précisément pour contrer cette situation, Trump a exhorté l’Arabie saoudite à maintenir la production pétrolière actuelle, et donc à ne pas opérer une réduction pétrolière pour maintenir le prix du pétrole bas. L’Arabie saoudite n’a pas suivi les conseils du président américain. En accord avec la Russie et les autres membres du cartel pétrolier, une décision a été trouvée, le 8 décembre 2018, pour abaisser la production pétrolière d’1,2 million de baril par jour, pour les six premiers mois. Cette réduction du pétrole qui prend effet à compter du 1er janvier 2019 redonne espoir pour l’Algérie en 2019.
Il demeure cependant, pour l’Algérie, que la situation économique restera toujours difficile, et ce en regard de la dépendance très étroite de son économie avec les hydrocarbures. Combien même le cours du baril de pétrole remontera, il n’atteindra pas les cours élevés des années passées. Quant aux réserves de change, ils ne cesseront de fondre dans les années à venir. Ce qui créera à terme une situation politique, économique et sociale difficile. Et il ne faut pas penser que l’endettement sauvera l’Algérie. Les conditions de garantie d’octroi seront sévères, et le volume d’endettement restreint.
Et c’est la raison pour laquelle, dans ce tournant, et justement dans ce mandat présidentiel qui va de 2019 à 2024, il faut de la « sagesse » dans les élections présidentielles. Il faut garder en tête la débâcle économique des années 1980, suivie de la décennie noire et des rééchelonnements de la dette extérieure et du plan d’ajustement structurel imposé par le FMI, en 1994.
La question qui se pose : « Est-ce que l’Algérie n’a que Abdelaziz Bouteflika, gravement malade, pour présider à la nation ? » Pourquoi les élites de la nation ne s’accordent pas et mettent un terme à ce black-out qui n’a pas de sens pour l’avenir de l’Algérie ? Pourquoi ne mettent-ils pas leurs différends de côté, et, mue par la sagesse, chaque partie choisit son candidat et prépare sereinement les élections présidentielles de 2019 ? Pourquoi des politiques appellent à un report des élections, espérant pour ces parties, prétendant au pouvoir, d’augmenter leurs chances à leur candidat ? Le report, eu égard à la conjoncture économique, ne règlera rien, juste un décalage qui n’apportera pas de solution si chaque partie campe sur ses positions.
De toutes les façons, un président sera choisi par le peuple et par l’histoire. Et il ne pourra pas être autrement. Ce qui s’est passé pour les présidents qui ont précédé se passera inévitablement aujourd’hui. Les élections se feront, et un nouveau président sera élu. Et le président en exercice, malade, passera inévitablement le flambeau au nouveau élu. Quelques mois après, les élections présidentielles passées appartiendront à l’histoire.
Le temps ne s’arrête pas. L’Algérie sera toujours confrontée à ses problèmes qu’ils soient d’ordre politique, économique ou social. Sur le plan intérieur et extérieur, la situation n’est pas au beau fixe. La seule chose que l’on ne peut oublier c’est que la situation va devenir encore plus complexe. Les années de faste de l’époque du président sortant ne reviendront pas, sinon à quelques exceptions près. Le monde change, et l’Algérie doit changer avec les changements extérieurs, ou du moins s’adapter aux nouvelles donnes géopolitiques et géoéconomiques mondiales.
Et c’est la raison pour laquelle les tiraillements au sein des élites doivent à défaut de cesser diminuer pour le bien de l’Algérie et de son peuple. Les élections présidentielles doivent vite se tenir, pour redonner espoir au peuple surtout dans un monde qui bouge, qui n’est pas nécessairement porteur. Nous sommes loin du temps de la construction de la nation postcoloniale, et loin de l’euphorie des pétrodollars. Les années à venir seront des années rudes.
De nouvelles crises économiques au niveau mondial apparaîtront probablement en 2019 ou 2020, et les risques que l’Algérie soit touchée sont grands. Les années 1980 risquent de se répéter ? Et l’Algérie a payé au prix fort les conséquences qui ont résulté. Le faste des années 2000 jusqu’en 2014 est révolu, il ne doit pas nous faire oublier que l’économie algérienne est très fragile. Qu’elle dépend du cours du pétrole. Et c’est la raison pour laquelle, il faut encore le souligner, nos élites ne doivent pas mettre leur intérêt personnel au-dessus des intérêts de la nation. Ils ne doivent pas s’endormir sur leurs lauriers et dire que le cours du pétrole va reprendre, que le travail qu’a fait l’OPEP, en ce mois de décembre 2018, serait suffisant pour redonner espoir.
Bien, au contraire, il faut que ces présidentielles ne soient pas une impasse, qu’elles ouvrent voie à un nouveau souffle au peuple algérien tant sur le plan politique qu’économique. Et c’est la raison pour laquelle nos élites doivent comprendre que l’Algérie n’est plus comme elle était en 2014 et qui a permis au président Abdelaziz Bouteflika de rempiler pour un quatrième mandat. Aujourd’hui, la situation mondiale a fortement évolué, de nouveaux enjeux sont apparus, la crise pétrolière s’est accentuée, les réserves de change ont fortement diminué et continueront de diminuer. Il y a très peu d’espoir qu’elles augmentent dans les cinq ans à venir. Par conséquent seule une prise de conscience et la « sagesse » primer entre les élites de la nation peut aider l’Algérie à s’en sortir.
Medjdoub Hamed
Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective
www.sens-du-monde.com
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