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Vous êtes nostalgique des empires ? Votre place est dans l’Union européenne

Ceux qui soutiennent le Brexit sont régulièrement accusés d’être nostalgiques de l’époque impériale. Il n’y a aucune preuve de ce mythe. Au contraire, ce sont les partisans de l’UE qui nourrissent une vieille vision impériale.

Dans une interview accordée à Michal Matlak dans le New York Review of Books Daily du 29 mai, Michel Barnier a lancé une remarque qui a été largement relayée – et a d’ailleurs donné au NYR le titre de son article. Il a expliqué le vote pour le Brexit par « des raisons typiquement britanniques : l’espoir d’un retour à une Grande-Bretagne puissante dans le monde, nostalgique du passé — mais la nostalgie ne sert à rien en politique ». C’est une remarque particulièrement révélatrice, car elle rend compte de l’incompréhension persistante du continent à propos du Brexit et de l’histoire britannique, et elle explique beaucoup de choses sur l’incapacité de Barnier et de ses compagnons à comprendre la politique qui s’articule autour du Brexit.

Les historiens s’interrogent sur la mesure dans laquelle l’Empire britannique a toujours été très populaire auprès d’une grande partie de la population britannique, mais il ne fait aucun doute que pendant la majeure partie du XIXe siècle et au début du XXe, il a été loin d’être soutenu avec enthousiasme par les classes populaires britanniques. La description de l’Empire par les chartistes reflétait ce que beaucoup de la population ouvrière en pensaient : pour eux, alors qu’ils luttaient pour la démocratie et les droits des travailleurs chez eux, l’Empire était « l’œuvre de la citadelle de la corruption », renforçant le pouvoir de la classe dominante nationale. L’immigration en provenance de l’Empire (de nombreuses personnes de gauche, y compris Engels, le pensaient) avait fait baisser les salaires britanniques – cette immigration qui, dans les faits, provenait d’Irlande – et les profits de l’Empire étaient extrêmement inégalement répartis parmi la population britannique. Les possessions impériales qui devinrent plus tard les dominions offraient évidemment aux membres de la classe ouvrière de nombreuses possibilités d’améliorer leur vie, mais le fait qu’ils étaient gouvernés par la Couronne britannique était en grande partie sans importance : les États-Unis, en dehors de l’Empire, demeuraient toujours la destination la plus populaire des émigrants. L’Empire était le fait le plus frappant au sujet de la Grande-Bretagne aux yeux des observateurs étrangers, mais il n’a pas fait l’objet de loyauté et d’enthousiasme au sein de la Grande-Bretagne comme ils le supposaient.

Par conséquent, nous ne trouverons pas beaucoup de nostalgiques de l’Empire parmi les communautés ouvrières qui ont voté pour quitter l’UE. S’il y a là de la nostalgie, je soupçonne que c’est de la nostalgie pour les années entre 1940 et 1951, lorsque le parti travailliste était au pouvoir et a été capable de mettre en place ce qui, rétrospectivement, semble devenir un ensemble remarquablement radical de politiques, dans un contexte de volonté commune très poussée. L’engagement profond envers le NHS et le sentiment (démontré par les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres) qu’il peut être le seul indice fiable d’une identité britannique, est un héritage majeur de ces années et témoigne de leur pouvoir dans l’imagination populaire. Ce n’est pas par hasard que c’est le gouvernement Attlee qui a fait le premier pas décisif dans le démantèlement de l’Empire.

Il n’est pas clair non plus que les politiciens de droite qui soutiennent le Brexit soient nostalgiques de l’Empire. Là encore, s’il y a de la nostalgie, c’est pour une Grande-Bretagne pré-impériale bien plus ancienne, avant que ses relations commerciales ne se soient fossilisées pour devenir un pouvoir direct sur les populations colonisées. Cela semble certainement vrai pour les plus réfléchis d’entre eux, comme Daniel Hannan, dont l’imagination semble en fait la plus captivée par l’Angleterre de l’époque de Shakespeare, bien avant que la Grande-Bretagne soit une puissance « mondiale » (ou même avant que la Grande-Bretagne existe en tant qu’entité politique). Le stress que ces gens mettent sur des pays relativement petits comme Singapour qui s’engagent dans le libre-échange mondial ne ressemble pas beaucoup à une soif de l’Empire.

L’ironie profonde des propos de Barnier c’est que si l’on cherchait au Royaume-Uni le groupe qui aspire le plus à quelque chose comme l’Empire britannique, on le trouverait dans les partisans et non dans les opposants de l’UE. Cela remonte au début du mouvement d’intégration de la Grande-Bretagne dans les Communautés européennes, lorsque les gouvernements Macmillan et Heath insistaient constamment sur la nécessité d’entrer dans les Communautés pour (comme on l’a dit au cabinet de Macmillan) éviter « le risque de perdre une influence politique et de ne plus pouvoir prétendre être une puissance mondiale ». Ou, comme l’a dit Con O’Neill, à l’époque représentant de la Grande-Bretagne auprès de la CEE, et plus tard chef de l’équipe qui a négocié l’entrée de la Grande-Bretagne, dans un mémorandum stupéfiant datant des derniers jours du premier mandat de Macmillan :

Si nous n’adhérons pas, nous pouvons toujours revenir à ce qui a été pendant si longtemps notre place : mais si nous choisissons cette voie, je pense que nous devons nous préparer à un déclin assez rapide. En particulier, je pense que si nous ne parvenons pas à créer des relations satisfaisantes avec l’Europe, nous pourrions, en relativement peu de temps, tomber dans la neutralité… soit devenir une grande Suède.

Même sous Harold Wilson, et au grand dam de Richard Crossman, le principal argument présenté par le ministère des Affaires étrangères en faveur de la poursuite de la demande d’adhésion était (de toutes les choses) de préserver à la fois le rôle de la Grande-Bretagne à l’est de Suez et dans la zone Sterling. Les considérations économiques ont joué un rôle remarquablement faible dans ces discussions au cours des années 1960 et 1970 : le maintien de la présence post-impériale de la Grande-Bretagne a été le thème dominant.

Le genre de personne qui s’intéresse particulièrement au « projet » européen est encore le genre de personne qui, à l’époque de ses grands-pères ou (aujourd’hui) de ses arrière-grands-pères, aurait aimé diriger l’Empire, tout en se disant que c’était vraiment une force des valeurs politiques libérales. Nous avons l’habitude de considérer l’UE comme un produit de la Seconde Guerre mondiale en Europe et comme un moyen (supposé) de maintenir la paix sur le continent, mais nous ne devons pas oublier qu’elle a également vu le jour précisément au cours des années où les empires coloniaux européens ont été démantelés. L’UE s’est offerte comme une sorte d’étape alternative sur laquelle ces anciennes classes dirigeantes impériales pourraient regagner une partie du rôle qu’elles avaient perdu, rendant la vie (comme elles le pensaient) meilleure aux populations qui n’avaient pas directement leur mot à dire dans la manière dont elles étaient gouvernées. C’est la « nostalgie » qui a soutenu et soutient encore l’UE, tandis que la « nostalgie » incarnée par le Brexit est en réalité le désir d’une émancipation finale du fardeau impérial.

Richard Tuck

Source : Briefings for Brexit ; Traduit par XCN pour Soverain


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4 réactions à cet article    


  • Florian LeBaroudeur Florian LeBaroudeur 12 juin 2019 20:05

    Pas besoin d’être nostalgique, les empires ont toujours existé et existeront toujours. Il s’est écoulé seulement 45 jours entre le décès de l’URSS et la naissance de l’UE. Idem pour le passage de témoin entre l’Empire britannique et les Etats-unis d’Amérique. Ce qui change, c’est que les nouveaux empires se croient toujours plus malin que ceux qui les ont précédés. Les romains n’étaient après tout qu’au niveau des enfants de 8 ans d’aujourd’hui 


    • baldis30 13 juin 2019 12:43

      @Florian LeBaroudeur
       bonjour,
       de ce que l’on sait de l’histoire l’Empire romain est venu après celui d’Alexandre qui succéda à celui des perses, héritier de celui des hittites ... et j’en oublie !


    • V_Parlier V_Parlier 12 juin 2019 23:13

      La France s’est tellement laissée soumettre par voie directe à l’empire américain qu’il me semble de plus en plus que même un frexit ne pourrait plus la sauver. Peut-être que finalement ça sauverait... les autres pays d’Europe !!!


      • julius 1ER 13 juin 2019 07:55

        encore une énorme « connerie » plus qu’une fake news !!!

        l’Europe impérialiste, on aimerait,.... un seul chef et plus une tête ne dépasse ce serait tellement plus simple !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

        au delà de la plaisanterie, si l’Europe est si lente à réagir sur nombre de sujets, c’est justement à cause du fait qu’il faut l’unanimité des 27/28 membres, et çà en emmerde plus d’un car c’est un antimodèle ... car oui jusqu’à présent on a eu des empires et des guerres d’empires ... et on a vu où çà menait !!!!

        eh oui la Démocratie à plusieurs nécessite des pas en avant et des pas en arrière mais çà vaut mieux qu’anéantir un continent par des guerres interminables comme au siècle précédent ....

        j’ ajouterai même qu’au vu du nombre d’intérêts convergents qui souhaitent faire disparaître l’Europe en tant que tel, on a bien là une preuve tangible que ce modèle européen en dérange beaucoup (suivez mon regard ) bien plus que les européens eux-même puissent s’en douter !!!!!

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