Josette
et Georges.
Finissez
d’entrer malgré la pluie !
Je
marchais depuis bientôt quatre heures, j’avais traversé trois
villages et nul caboulot ne s’était offert à mon envie de boire
enfin un petit café réconfortant. Je ne vais pas revenir sur cette
désertification intérieure qui prive nos campagnes de petits
espaces commerciaux. Elle m’inquiète grandement sur le devenir d’un
pays qui ignore à ce point son espace traditionnel.
J’en
étais là de mes pensées lorsqu’au détour d’un virage,j’aperçus
une fermette sage et modeste qui donnait signe de vie. Mon bidon
était vide, il est souvent le parfait truchement à la rencontre
impromptue, il fut cette fois le sésame d’un grand moment de
bonheur.
Celle
que bientôt j’appellerai Josette était au seuil de sa porte. Elle
m’offrait l’occasion espérée depuis si longtemps de réclamer cette
eau qu’à plusieurs reprises, hélas, sur ce chemin, de pauvres gens
ont eu l’indignité de me refuser.
Josette
n’est pas de ce marbre froid, la peur, depuis longtemps n’a plus de
place chez elle. Elle m’accueillit avec cette merveilleuse phrase qui
illumina mon périple : « Finissez d’entrer ! »
La
glace était brisée, le marcheur dégoulinant de pluie n’effrayait
pas la vieille dame. Elle s’offusqua même que je quitte mon sac à
dos devant le pas de sa porte.
La
gourde remplie, elle appela Georges qui fit son apparition avec la
démarche mal assurée de ceux qui ont beaucoup vécu. Un sourire, un
mot gentil, la jeunesse du cœur n’a vraiment rien à voir avec les
outrages du temps. Me sentant en lieu d’humanité, je me permis de
dire :
«
Si j’osais, je vous demanderais bien un café ! ». La formule est un
peu cavalière mais elle n’offusqua pas mes hôtes de l’instant. Au
contraire, elle fut suivie d’un « Asseyez-vous donc ! » qui ouvrit
la porte des confidences à venir.
J’évoquai
alors les difficultés rencontrées sur la route pour obtenir pareil
accueil. Georges me répondit avec bonhommie : « Moi, j’ai été
déporté. Le père de Josette a été fusillé. Maintenant, plus
rien ne peut nous faire peur. L’hospitalité est pour nous, un devoir
sacré ! »
Mon
petit calepin rouge fit son apparition sur la toile cirée. Je
demandai l’autorisation de prendre des notes, ce qui me fut accordé
tout aussi facilement que le café. Durant plus de trois heures, mon
stylo noircit le papier humide, Josette pleura souvent, Georges
s’émut aussi, tous les deux chantèrent parfois et je fus convié à
déjeuner pour poursuivre la conversation entamée.
Mon
chemin voulait remonter l’histoire ancienne. Je croisai brutalement
la folie des hommes, la barbarie la plus monstrueuse que le siècle
dernier ait pu enfanter. Georges et Josette en furent les
malheureuses victimes. Pourtant, rien n’a retiré en eux leur
merveilleuse humanité.
Au
terme du récit qui va suivre, quand plein de regrets, il me fallut
les quitter, je ne pus dire, après avoir salué Georges et embrassé
Josette : « Merci mille fois pour votre accueil et votre incroyable
gentillesse. Vous venez de donner justification à mon voyage. Vous
êtes l’honneur de ce pays ! »
Le
feuilletoniste laisse parfois son auditoire en suspens, il s’assure
ainsi une audience attentive et souvent captive pour le prochain
épisode. Je ne résiste pas à cette tentation coupable. Je ne vous
imposerai cependant ni page de publicité ni pirouette formelle. À
bientôt.
À-suivrement
vôtre.