Le ministère des industries culturelles
Un point sur l’action du « ministère de la Culture » et des retours d’ascenseur en cours.
La concentration des médias
Dans nos sociétés démocratiques, le contrôle des médias est la clé du pouvoir. Depuis six mois, en application d’un mandat impératif qui lui a été donné par Nicolas Sarkozy, la ministre de la Culture, Christine Albanel, s’active plus ou moins discrètement pour le renforcer.
En 2005, son prédécesseur, M. Donnedieu de Vabres avait confié à Alain Lancelot une mission de réflexion sur la concentration des médias. Sa conclusion a été que non seulement ils n’étaient pas trop concentrés, mais qu’il serait opportun de supprimer les seuils de détention existant.
Un peu avant les élections présidentielles, les syndicats de journalistes ont interpellé les candidats sur plusieurs thèmes, dont celui de la concentration dans les médias. La réponse de Nicolas Sarkozy a été la suivante :
L’industrie des médias a besoin d’avoir des groupes solides qui la structurent et la renforcent. (...) La situation actuelle me paraît satisfaisante dans ses grandes lignes. Elle n’exclut pas pour autant des adaptations. Un rapport a été remis à ce sujet par Alain Lancelot en 2005. Il a ouvert de premières pistes.
En octobre, Mme Albanel a annoncé son intention de supprimer les seuils de détention pour les chaînes de télévision, et leur permettre d’augmenter leur volume de publicité.
La Tribune du 8 octobre 2007, article d’Isabelle Repiton
(...) La seconde réflexion à mener concerne la publicité sur les écrans télévisés. Les investissements publicitaires en télévision en France sont proportionnellement inférieurs à ce qui existe dans d’autres pays. L’assouplissement des règles pourrait être proposé à l’occasion de la transposition en France l’an prochain de la future Directive européenne sur les services audiovisuels. (...) Enfin, Christine Albanel compte lancer une réflexion sur les seuils anti-concentration, qui interdisent par exemple à un groupe de détenir plus de 49 % du capital d’une chaîne de télévision. Il s’agit de "favoriser la création de groupes audiovisuels plus puissants face à la concurrence de groupes étrangers et d’opérateurs télécoms" a expliqué la ministre.
L’action de TF1 a augmenté le lendemain de 15 % en une journée.
A peu près dans le même temps, un sénateur UMP, M. de Broissia a proposé un « plan de sauvetage de la presse » supprimant les seuils de détention pour les journaux.
Le Monde du 10 octobre 2007, article de Pascale Santi
Louis De Broissia, sénateur de Côte-d’Or (UMP), a présenté un rapport, mercredi 10 octobre. (...) Afin de favoriser la constitution de groupes plurimédias, la commission souhaite également assouplir les règles anti-concentration et lever l’incertitude sur les droits d’auteur en permettant aux éditeurs d’exploiter le travail de leurs journalistes sur l’ensemble des supports.
Nous devons donc comprendre que les
règles anti-concentration empêchent nos groupes de médias
de se développer et de devenir « multi-médias ».
Cela ne semble pourtant pas empêcher le groupe Lagardère
d’être présent sur tous les segments et d’être par
exemple un des premiers éditeurs mondiaux. L’avant-dernier
ministre, M. Aillagon, avait d’ailleurs voulu lui faire revendre
l’ensemble de l’édition de Vivendi, ce qui lui aurait donné
deux tiers du marché français, et n’a été arrêté
que de justesse par l’UE. Et la constitution du grand groupe multimédia mondial qu’a été un bref instant Vivendi n’a pas été au bénéfice des contribuables français.
Il nous faut plus de concentration ? Cela ne semble pas l’avis de la totalité des syndicats de journalistes professionnels qui appellent à s’insurger contre cette concentration et contre les ingérences politiques. La rédaction des Echos va sans doute attaquer Pearson en référé à propos des conditions de vente à LVMH, et la Fédération européenne des journalistes fait le même constat dans toute l’Europe :
Le 5 novembre sera un jour de protestation au sein des médias européens. Des dizaines de milliers de journalistes préparent une journée de protestation dans les capitales européennes pour mettre l’accent sur la terrible crise des médias : pressions politiques, déclin qualitatif et mauvaises conditions de travail sont des phénomènes présents partout en Europe.
Marc Gruber, directeur de la FEJ « a comparé la France de Nicolas Sarkozy à l’Italie de Silvio Berlusconi, et souligné les dérives actuelles des médias hexagonaux soumis à des pressions économico-politiques ».
Les principaux bénéficiaires de tout cela devraient être les groupes en place, Bouygues, Lagardère, Vivendi, Hersant, Ouest-France, etc., dont les propriétaires sont tous sympathisants UMP et beaucoup « amis » de Nicolas Sarkozy.
Le marché de l’art
Défiscaliser le marché de l’art est un exercice obligé à ce poste, et Mme Albanel tente de n’y pas manquer. Elle a publié en septembre un plan de renouveau pour le marché de l’art français dont le contenu porte presque uniquement sur des aspects fiscaux.
La ministre a dressé un bilan de la situation actuelle et souligné que si la France demeure un grand marché de l’art, elle se situe désormais très loin derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Elle a rappelé que le chiffre d’affaires de Drouot en 1950 équivalait à la somme de celui de Christie’s et Sotheby’s, alors que ces deux maisons contrôlent désormais, à elles seules, plus de 70 % des ventes mondiales.
Ce sont exactement les mêmes arguments qui avaient été utilisés par M Aillagon en 2003 pour créer les fondations défiscalisées, truc qui s’est avéré bien pratique pour quelques personnes comme le patron de Vivendi. Ce qui est amusant est que la société Christie’s appartient au groupe Pinault, chez qui M. Aillagon a exercé après son poste de ministre, comme directeur de son musée d’art moderne finalement installé en... Italie. Bernard Arnault avait lui failli racheter Sotheby’s, et s’est consolé avec quelques enseignes un peu moins connues, comme Philips et Tajan.
Le groupe Pinault possède également le groupe Fnac, ce qui nous conduit au sujet habituel du commerce des immatériels.
Les suites de la DADVSI
Mme Albanel a confié une mission sur l’avenir de la vente d’immatériels à M Olivennes, président du groupe Fnac, sous-groupe du groupe PPR de M. Pinault. Elle est contente des premiers résultats.
Concrètement, les positions exposées lors des auditions convergent vers trois points de consensus : la mise en oeuvre, inspirée d’exemples étrangers, notamment américain et britannique, d’un système d’avertissement en cas de téléchargement illégal et de sanction proportionnée à la gravité des actes en cas de récidive ; la recherche d’assouplissements, au bénéfice des consommateurs, des modalités de téléchargement légal des fichiers, s’agissant notamment de l’interopérabilité et de la rapidité de mise à disposition des oeuvres ; la nécessité de poursuivre plus avant les travaux sur la question du filtrage des contenus illicites.
Du flicage et des promesses creuses : la routine UMP. Tous les participants ne sont d’ailleurs pas d’accord sur ce « consensus ».
Mais la palme tient sans doute dans ce communiqué qui figure bel et bien sur le site du ministère (fort bien relevé par pcinpact).
Depuis quelques jours, une évolution du service de partage de fichiers dl.free.fr permet de transporter des fichiers beaucoup plus volumineux, réduisant la durée de téléchargement d’un film à quelques minutes. La ministre a fait remarquer que, même si tel n’est pas l’objet du service conçu par Free, il permet aux internautes de télécharger anonymement et massivement des contenus pirates sur dl.free.fr. (...) La ministre considère que l’engagement tangible de Free dans la lutte contre le piratage est un prérequis essentiel à l’examen de leur dossier d’attribution d’une 4e licence de téléphonie 3G.
Mme Albanel a refusé à Free, groupe Iliad, une licence de téléphonie pour des raisons financières. Et elle explique maintenant explicitement que cela est conditionné par l’arrêt d’un autre service de prestations internet. Ceci est aberrant pour des tas de raisons :
-
si ce service est illégal, il faut le faire fermer et pas le négocier (et il y a peu de chance qu’il le soit, puisqu’il n’est pas d’après la ministre « manifestement destiné à... ») ;
-
Vivendi offre le même service (« 9giga » de NeufCegetel) ;
-
on ne marchande pas une autorisation d’exercer.
Je ne sais même pas si de tels propos sont légaux. Mais ils traduisent en tout cas bien le comportement général de l’UMP : ce n’est pas un parti libéral, mais interventionniste, et qui intervient au profit de groupes « amis » et pas des autres.
Conclusion
Après MM. Aillagon et Donnedieu de Vabres, on aurait pu penser que le fond avait été atteint sur le lobbying et l’autisme des industries « culturelles ». On peut décidément toujours être surpris.
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON