Paris : les murs peints du quartier Nationale
À l’exception de quelques immeubles anciens qui ont survécu aux transformations urbaines, le « quartier Nationale » est principalement constitué d’immeubles construits entre les années 60 et les années 80. Il résulte des programmes successifs un ensemble assez hétéroclite et sans charme. Depuis quelques années, ce quartier, devenu un « musée à ciel ouvert du Street Art » a pourtant changé d’image grâce à l’apparition de spectaculaires fresques murales...
Sur le plan administratif, le « quartier Nationale », ainsi dénommé par les habitants du 13e arrondissement de Paris, n’existe pas dans les registres de la mairie de Paris. Situé de part et d’autre du boulevard Vincent Auriol, il est intégré au nord dans le très officiel « quartier de la Salpêtrière » et au sud dans le non moins officiel « quartier de la Gare ».
En 1860, le préfet Haussmann décide de faire abattre le mur des Fermiers-Généraux, devenu obsolète, et d’absorber dans la ville de Paris tout ou partie de 24 communes limitrophes. Parmi elles, la commune d’Ivry, amputée du hameau d’Austerlitz. C’est dans ce secteur, entre la place d’Italie et la Seine, qu’est ouvert le boulevard Vincent Auriol sur l’emplacement du mur des Fermiers-Généraux. Dès 1909 la ligne 6 du métro occupe le terre-plein central du boulevard dans une section aérienne desservie, dans la partie qui nous intéresse, par les stations Nationale et Chevaleret.
Il y a bien, depuis l’année 1980 et grâce au talent de Fabio Rieti, une superbe fresque en trompe-l’œil sur un mur de la rue de Clisson : elle représente un artiste juché sur une échelle et peignant, à partir d’une gravure de Jean-Sébastien Bach, un portait géant du compositeur allemand. Mais cette œuvre est longtemps restée unique en son genre dans l’arrondissement. Jusqu’au moment où la mairie a décidé, pour égayer un habitat austère, de promouvoir le Street Art en faisant appel à des artistes spécialisés dans cette discipline et capables de décorer de grandes surfaces.
C’est ainsi qu’en 2010 un contrat a été passé par la mairie avec Mehdi Ben Cheikh, fondateur de la galerie Itinerrance basée dans le 13e arrondissement (rue René Goscinny) depuis l’année 2004. Gestionnaire d’un collectif d’artistes de grand talent, Itinerrance a aussitôt mis en œuvre, dans le cadre du projet Street Art 13, la réalisation de fresques murales qui font désormais la fierté des habitants de l’arrondissement. Si l’on peut découvrir de superbes créations dans tout le 13e – on compte désormais 28 fresques –, c’est toutefois à proximité des stations de métro Nationale et Chevaleret que l’on peut en admirer le plus grand nombre.
Parmi ces œuvres figurent notamment des fresques du Chilien Inti Castro, artiste dont le pseudo Inti (soleil en quechua) est directement inspiré de l’histoire préhispanique. La plus emblématique, la Madre Secular, orne le pignon du 81 boulevard Vincent Auriol. Créée en juin 2016, cette superbe fresque est la 2e « Mère laïque » peinte par Inti après celle qui orne un mur du Marché aux puces de Marseille, haut-lieu du Street Art de la cité phocéenne.
Hors du quartier Nationale, deux autres fresques d’Inti peuvent être contemplées dans le 13e. L’une, horizontale, près de la porte de Choisy sur le mur de l’école Lahire dans la rue éponyme (juin 2011). L’autre, très spectaculaire, sur le pignon du 129 avenue d’Italie. Baptisée Utopie, cette fresque a été créée en novembre 2012 et invite les badauds à la réflexion en affirmant « l’Utopie est notre avenir » !
D’autres Chiliens ont été mis à contribution pour embellir le paysage urbain du 13e arrondissement : les artistes Maher et Aner. Sous la signature Alapinta (du nom d’une région chilienne), ils ont signé une grande fresque sur un mur du 59 rue Jeanne d’Arc. Dénommée Pacha Mama, cette œuvre colorée a été réalisée en décembre 2011 ; elle est directement inspirée de la tradition sud-américaine et représente la « Tierra Madre » (Terre mère) des Amérindiens.
Signée par l’Américain Obey – de son vrai nom Shepard Fairey –, la très belle fresque patriotique qui orne le pignon du 186 rue Nationale a quant à elle été créée en juin 2016, quelques mois après les attentats sanglants qui ont endeuillé Paris l’année précédente : il s’agit d’une Marianne aux allures de timbre-poste géant désormais bien connue de tous les usagers de la ligne 6.
Tout près de là, au 93 rue Jeanne d’Arc, figure une autre œuvre d’Obey créée en juin 2012 : un superbe portait de femme exécuté dans le style graphique popularisé en 2008 par l’artiste grâce à son célèbre portait d’Obama réalisé pour le poster de campagne « Hope ». Un style en forme de métissage inspiré à Shepard Fairey par les vieilles affiches de la propagande soviétique et l’œuvre d’Andy Warhol.
De l’autre côté du boulevard Vincent Auriol, c’est un autre portrait géant de femme qui orne depuis novembre 2014 un mur du 3 rue Esquirol, là encore tout près de la station de métro Nationale. Réalisée par une artiste barcelonaise, BTOY – de son vrai nom Andrea Michaelsson –, cette fresque a été choisie par les habitants du quartier lors d'une exposition de ses oeuvres dans la capitale. Elle représente la danseuse et modèle Evelyn Nesbit, restée célèbre pour avoir, en 1906, été l’enjeu d’une retentissante affaire criminelle impliquant son mari et son ex-amant.
Autre œuvre incontournable, La danseuse a été réalisée en juin 2016 et en format XXL sur le pignon du 110 rue Jeanne d’Arc par FAILE, nom collectif du duo d’artistes new-yorkais composé de l’Américain Patrick McNeil et du Canadien Patrick Miller. "Et j'ai retenu mon souffle", dit aux promeneurs et aux usagers de la ligne 6 cette danseuse aux allures de personnage de BD vintage qui survole les toits de la cité.
À ces artistes Américains, Canadien, Catalan, Chiliens s’ajoutent, à ce jour, deux Allemands un Belge, un Brésilien, un Espagnol, deux Polonais, deux Portugais et un Ukrainien. Avec 5 représentants – C215, RERO, SETH, STeW et ZED pour les connaisseurs –, les Français ne sont heureusement pas absents de la grande galerie à ciel ouvert qu’est Street Art 13. Pour découvrir les œuvres de tous ces artistes de talent, rien de plus facile : il suffit d’arpenter les rues de l’arrondissement. Bonne promenade aux amateurs d’art urbain !
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