Coupables mais pas responsables ?
Avant d’aborder le vif de mon billet qui va se rapporter à la responsabilité des magistrats, exigence en débat depuis le 1er mars, j’ai décidé, pour me détendre, de m’offrir une petite gâterie politique et d’entrer dans la campagne présidentielle par l’effraction de la plaisanterie ou de la dérision.
Ce matin, j’ai lu que l’UMP avait confié à Philippe Douste-Blazy le soin de contrer les arguments de l’UDF et de François Bayrou. Etrange. L’une et l’autre peuvent continuer à militer tranquille ! C’est comme si le loup était chargé de convaincre la bergerie, le transfuge ses anciens compagnons. Si l’opportunisme du ministre est indiscutable, on a depuis longtemps douté de sa compétence et de son courage. L’UMP a une singulière gestion des ressources humaines.
La récréation terminée, il faut affronter de plein fouet intellectuel et démocratique les conséquences de la décision rendue le 1er mars par le Conseil constitutionnel. Celui-ci a censuré des dispositions de la loi dite loi Clément sur la responsabilité des magistrats, d’une part pour sa définition elle-même, d’autre part pour la saisine, par le justiciable, du médiateur de la République.
Cette censure a été présentée par l’ensemble des médias comme une défaite juridique et politique du garde des Sceaux Pascal Clément. Il me semble que le procès est expéditif et injuste qui fait peser la charge sur celui qui a compris l’importance de l’obligation de responsabilité, et non sur ceux qui, pour des motifs au demeurant pertinents, en ont différé la solution. Car on ne pourra pas faire l’économie, demain, d’une nouvelle avancée dans ce domaine délicat, sensible mais que les syndicats de magistrats auraient tort d’appréhender médiocrement à cause d’une méconnaissance et des attentes citoyennes et de l’honneur de juger qui doit avoir sa contrepartie.
André Vallini s’est engouffré dans la brèche créée par cette décision en se déclarant "attristé", mais on devine que sa tristesse n’était que la mélancolie d’une seconde, tant, derrière, le sourire de contentement politique était perceptible. Philippe Houillon, au contraire, se tournait vers l’avenir, affirmant en substance que le prochain garde des Sceaux aura devant lui "un énorme chantier" et que le gouvernement à venir, de droite ou de gauche, ne pourra se dispenser d’une réflexion en profondeur sur les thèmes fondamentaux mis en évidence depuis Outreau. La réforme se fera avec les magistrats. Ils auraient tort de la refuser par corporatisme( Le Figaro du 2 mars). Ces propos sont empreints de bon sens et ont le mérite de nous présenter des perspectives non pas atones mais stimulantes.
Mon seul point de désaccord avec Philippe Houillon tient à sa remarque sur cette "nouvelle victoire du corporatisme" que serait la décision du Conseil. Je ne crois pas. Le corporatisme se manifestait par l’opposition à toute forme de responsabilité peu ou prou reliée à l’activité juridictionnelle. Mais le Conseil constitutionnel ne pouvait pas statuer autrement qu’il l’a fait. Sa démarche me semble d’ailleurs venir au soutien de la cause qui prône une responsabilité élargie. Le Conseil admet que cette dernière peut être étendue à l’activité juridictionnelle - ce qui représente un acquis capital - " en prévoyant qu’une violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties puisse engager une telle responsabilité". La seule réserve émise par le Conseil - et elle ne pouvait qu’être formulée pour rendre cohérente la mise en oeuvre d’une responsabilité "juridictionnelle" - consiste à exiger que "cette violation" ait été "préalablement constatée par une décision de justice devenue définitive" (Le Monde du 3 mars). On le voit, rien n’est perdu puisque l’essentiel est sauf. Je le concède d’autant plus volontiers que la définition retenue pour cette responsabilité élargie qualifie davantage l’incompétence grave et renouvelée d’un professionnel à exclure donc de la magistrature que la faute ponctuelle mais aux effets ravageurs pour la société si bien caractérisée par "la grossière erreur d’appréciation" trop vite abandonnée. J’étais et je demeure partisan de ce dernier concept mais je constate avec infiniment de satisfaction que ce qui paraissait inconcevable - la mise en cause de la responsabilité pour un jugement ou un arrêt aberrant - est devenu possible et sera réalisé demain.
Ne suis-je pas à nouveau trop optimiste, persuadé que la volonté de l’action détruira les pessimismes stériles ? Peut-être.
Avant d’examiner ce dernier point, un mot sur le refus du Conseil de voir un organisme administratif - le médiateur de la République - devenir l’acteur d’une procédure juridictionnelle. On comprend bien le souci du Conseil qui veut prévenir la confusion des genres. Pourquoi avoir élaboré un système si compliqué qui rendait difficile la saisine par le justiciable alors qu’il conviendrait de la faciliter ? Serait-il absurde de permettre un recours direct du justiciable auprès du Conseil supérieur de la magistrature, celui-ci pouvant s’organiser de telle manière qu’il mettrait en oeuvre un filtrage pour ne pas être débordé par les réclamations fantaisistes ? Il n’y a aucune raison d’avoir si peur du citoyen qu’on le contraigne à un parcours épuisant pour faire entendre sa voix et ses doléances. L’intervention, ensuite, du CSM auprès des instances judiciaires clairement dénoncées obligerait celles-ci à se justifier et, qui sait ?, l’administration de la justice en serait améliorée.
La pire des attitudes serait de faire demain, sur ce plan fondamental pour la démocratie, une politique de l’abstention. D’attendre et de voir venir, de faire le gros dos en espérant que l’impatience de la société s’apaisera. Au contraire, contre les condamnations diffuses ou ostensibles sans cesse proférées, à tort ou à raison, contre les magistrats, contre les innombrables brûlots de culpabilité qui leur sont lancés au visage et à l’institution, il serait de bonne stratégie, d’honnêteté intellectuelle et de morale républicaine que d’instaurer, le plus rapidement possible, un processus de responsabilité. Georgina Dufoix se voulait responsable mais pas coupable. Nous ne pouvons pas être déclarés coupables sans être responsables. Cette responsabilité accrue, loin de faire perdre à la magistrature son crédit déjà largement entamé, restaurerait celui-ci. Car le citoyen n’a pas envie de mépriser sa justice, il a besoin de la savoir responsable. Cette certitude que ses graves fautes professionnelles seront sanctionnées suscitera comme un apaisement démocratique et une tranquillité des justiciables. L’honneur de l’institution sera amplifié par sa capacité à juger pour le mieux en acceptant d’être mise au ban, individuellement, pour le pire. Laurent Greisalmer a raison dans Le Monde : Pour juger les juges, ce ne peut pas être nous, ce devra être "eux", donc vous les citoyens.
Le pouvoir politique, demain, pourrait être tenté, devant la grande force négative des magistrats et de leurs syndicats, de céder. Il pourrait vouloir flatter les uns et les autres en n’accomplissant pas son devoir qui est, notamment grâce aux professionnels de la justice, de nouer ou de renouer le lien de confiance et d’estime entre le citoyen et les institutions qui forment l’ossature de la République. Il ne s’agit même plus de promesses et d’engagements. Mais de survie démocratique. Si on veut que la société soit dégoûtée de tout, enfoncée et engoncée dans le mépris et la révolte, continuons à retarder l’accomplissement du nécessaire.
Le tocsin sonne. A nous de choisir. Va-t-il annoncer des aurores ou des catastrophes ?
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