Fratrie
Qu'y faut-il ?
Un père aimant, une mère aimée, des enfants unis.
Allégorie : un chef aimant, une patrie aimée, des citoyens unis dans la fraternité.
Celui qui n'y a pas grandi en sera marqué à jamais ; fils unique, exclu, mal aimé, sans parler de drames ou de violences, ce fil rompu ou jamais tissé sera pourtant l'absent sur lequel il posera les jalons de ses choix. Il y a aussi son contraire, la famille soudée qui ne se sépare jamais et craint les étrangers au nid. L'équilibre est précaire, difficile et rarement atteint. Il y a le « pour », il y a le « contre », il y a l' « avec », il y a le « sans ». La fraternité niche au cœur de chacun comme un socle ou un regret, un manque ou une utopie, mais elle peut être rejetée, virulente blessure qu'on ne peut cicatriser. La jalousie à l'égard du puîné, l'étouffement du un dans le nombre ou la valorisation du un sans faire nombre, l'égalité peut y régner comme une injustice tandis que l'injustice peut régner comme une iniquité.
Comme on ne peut pas être aimé si on n'a pas été aimé, on ne peut pas appartenir au groupe si on n'a pas appris le retrait pour créer l'harmonie. Se distinguer, se faire valoir ou bien se soustraire. Tous ces comportements que l'on observe, dans les clubs, les associations, les partis, les « bandes » où chaque rôle est tenu. C'est invariable, c'est contraint, comme une fatalité.
Regardons les pays, quand le père,- le président, l'autorité- est défaillant, faible, qui ne génère pas la confiance. Quand le pouvoir est usurpé , par un malade, un incompétent, et où la fratrie trinque, il y a ceux qui se révoltent, et ceux qui acceptent ce pouvoir quand même et veulent s'y protéger. Un chef de meute est loup comme les autres, un chef politique est un humain comme les autres, mais peut émaner d'eux, mais doivent émaner d'eux, un charisme qui rassemble et une puissance qui unit. Ce charisme n'est visible qu'à ceux qui se sentent en famille, à leur place en patrie, en fratrie, honorant les ancêtres, histoire transmise, et y cherchant courage ; ceux qui ont été meurtris en de multiples occasions sans pardon, effacent leur passé sans victoires, une honte subreptice entachant leurs ambitions ; ils se défont de leur accent, oblitèrent les rituels et vont voir ailleurs ou se ruent sur le vide qu'ils vont remplir à leur façon, forment ou s'intègrent à des groupes qu'ils préfèrent provocation, ou violence sans raison. Il est arrivé qu'un orphelin trouve havre, qu'un voyageur s'arrête en un port et y reste, comblant ce que ses traversées cherchaient. Mais il est plus commun de rester perdu, isolé dans sa haine, ou rejeté d'un amour fou qui inquiète, aigrissant son cœur et figeant son enfance et ses désolations dans le grand sac de l'oubli, alors, n'ayant gardé de son ambition que la partie haute sans qu'elle soit élevée, on peut atteindre des sommets. Et l'on reproduira, le père manquant, irascible ou fuyant ou bien l'autorité froide et si loin du cœur.
Nous devrions savoir tout, de ceux qu'on va élire. Mais on peut le savoir si on regarde bien, et s'éviter le pire.
Il y a ceux qui ne supportent pas que l'union ne soit pas établie, qui la professent envers et contre tout en refusant de ne pas voir l'impossible miracle. Et puis ceux qui rêvent d'anéantir la part de fratrie ennemie. Les rôles toujours sont partagés, dans une fratrie !
Il y a dans ceux qui ont pu préserver une part d'enfance, cette chaleur gardée ou perdue de la fratrie, embellie, magnifiée, la sécurité d'un père respecté et aimé et le giron consolant d'une mère. Qu'y peut-on, nous sommes des mammifères ; les chats, qui n'ont pas de père et n'ont comme structure sociale dans le confort d'une nourriture abondante, d'un abri sûr et chaud, que les jeux ou la tolérance à la présence de l'autre, s'ils sont seuls, pétrissent vos genoux ou leur coussin comme ils pétrissaient le sein de leur mère ; même le matou le plus macho, en période de diète, se transforme en chaton. Nous avons au fond de nous construits dessus, la nostalgie de la chaleur des autres, le réconfort des mêmes, la sécurité du lien. Nous en rêvons et nous crevons de ne plus l'avoir. La bande de notre adolescence qui compensa nos manques, avec, en filigrane, le père fouettard qui nous raclait de nos sorties nocturnes pourtant interdites. Le groupe de spéléos, les motards en goguette, et les randonneurs du troisième âge, tous un retour à la chaleur de la fraternité. Le père est en nous désormais, plus besoin de lui pour raccorder nos différences, passer sur nos bévues, combler nos manques, encourager nos velléités tant que nous sommes entre nous pour de joyeux refrains. Mais le sort est moins faste pour nos buts plus lointains. Sans accordeur, on joue faux.
Si on s'en tient à la famille, le modèle traditionnel et rarement idéal, n'existe quasi plus ; on a jeté le fond avec la structure et c'était pas forcé, l'autorité comme un pôle structurant et encourageant, l'amour comme un onguent peuvent se trouver autrement, seulement, quand on est dans le rejet on reste dans l'enfance et l'on n'assume plus le rôle d'adulte indispensable.
Je n'ai ni référence ni lecture à ce propos mais mon intuition me dit que tous ces hommes morts en 14/18 ont laissé des garçons orphelins qui furent pères au moment de la deuxième guerre et juste après ; et c'est bien cette génération, du babyboom qui enclencha la destruction de la famille. Le père absent a perduré, et les femmes fortes, plus ou moins. La fratrie se décompose se recompose avec plus ou moins de succès. Reste à savoir les effets dans les autres contrées, Allemagne et Russie principalement , quoique ce furent la Serbie et la Hongrie qui virent périr le plus d'hommes en proportion du nombre d'habitants. À ma connaissance aucune étude n'a été faite dans ce sens, cela ne veut évidemment dire qu'il n'y en a pas, du moins n'ont-elles pas passé la rampe de la vulgarisation.
On aurait pu imaginer, n'est-ce pas, une femme libre et autonome sans écrasement du mâle. Mais le meurtre du père est un passage obligé et le souci d'après n'a pas été envisagé. On commence par détruire puis on s'avise que reconstruire n'est pas aisé. La structure familiale est le garant de la perpétuation d'un ordre social, d'une adaptation à la société ; casser la structure autorise les innovations, et nous avons connu une période de libéralisation festive, mais cela crée aussi le désarroi, l'errance. Et sur ce désarroi se créent à nouveau l'absence ou bien son corollaire, le pouvoir usurpé.
Il y a longtemps que cette histoire de fraternité me turlupine, et je ne compte pas en faire le tour, peut-être est-ce mon imagination qui m'abuse mais il me semble bien qu'aujourd'hui plus qu'hier elle a perdu la splendeur de ses liens indéfectibles.
La Russie nous est présentée comme l'ennemi principal et une bonne partie d'entre nous l'approuve ; il y a la propagande, c'est sûr, mais plus profond, ce rapport à la fratrie. En effet ce pays nous apparaît comme uni derrière son chef, comme une famille ; la Patrie mère, giron enrobant et sécurisant, et le père actuel la glorifiant, la protégeant. Un Russe interviewé dans un documentaire mainstream disait : en Occident, l'État est au service de l'individu, en Russie, c'est l'individu qui est au service de l'État ( vous comprenez pourquoi je spécifie l'origine, ARTE, en l'occurrence).
Ceci semble insupportable à une grande partie des occidentaux. Il leur faut trouver mille vilenies diffamatoires autorisées par une russophobie décomplexée et agressive, pour tenter en vain d'abattre ce chef charismatique, ce petit père des peuples qui, lui, semble apprécié. C'est un père sans sensiblerie, un dirigeant sans démagogie. Il ne travaille pas seul, se fie à son équipe, mais assume seul, face au peuple, face au monde, sa politique. Mais, en Occident, il y a aussi ce peuple orphelin aux prises d'ogres intercontinentaux qui le divisent, l'abattent, l'écrasent. Il y a des gens ordinaires, nous autres, vendus, trahis, dépecés dans une mère patrie dépréciée, ravalée au rang de courtisane, et qui le voient, le conscientisent.
Mais la Russie apparaît à bon nombre d'entre nous, justement comme la réalisation au travers des siècles et à travers les épreuves, de cette fraternité, symbolique, de cette union serrée derrière un chef charismatique, et cela est notre manque ; il est clair que d'habitude les chefs charismatiques sont des chefs guerriers qui flatte la grandeur du pays par des guerres coloniales, des conquêtes, et ce n'est pas un hasard si c'est ce que nombre d'occidentaux sensibles à la propagande, reproche à Poutine. Or ce n'est pas le cas ; Poutine est un protecteur qui ne se laissera pas marcher sur les pieds. Cela n'a rien à voir ; les États-Unis conquérants n'ont plus depuis longtemps de chef de ce genre, s'ils en ont jamais eu. Il est notable qu'au fur et à mesure que nous avons accès à des vidéos, des articles, des témoignages de la vie des Russes aujourd'hui, nous nous rendons compte qu'ils sont plus libres que nous, dans l'intimité de l'organisation de leur vie familiale, peu soumis aux diktats de la publicité mercantile, au totalitarisme de la surenchère consumériste, ils nous apparaissent comme nous avons pu être quelques décennies en arrière, avant le TINA de la mondialisation. Et nous sommes nombreux à le considérer comme un privilège.
Un pouvoir fort... et l'anarchisme ?
On m'a souvent chambrée, ici, pour ma sympathie pour les Russes et leur chef Poutine, moi qui suis anarchiste. Petit aparté : pour avoir une idée de toutes formes d'anarchismes au cours de l'Histoire et dans le monde, je vous conseille le livre de Baillargeon « L'ordre moins le pouvoir » et aussi ma conception de l'anarchisme dans l'article que j'ai fait à ce sujet.
L'anarchisme est plus qu'un idéal, une utopie. La raison en est simple : l'homme, à l'instar de tous les mammifères vit en clans, puis s'avisant de se civiliser, vit en troupeau. Tous les clans ont des chefs, tous les troupeaux aussi. Parce qu'il se trouve que nous ne sommes pas tous faits du même bois et qu'une grande majorité a besoin et envie de pouvoir vivre sa vie, tranquille. Tous les pouvoirs que l'humanité a connus étaient des pouvoirs usurpés, celui des barbares qui pillent et finissent par s'organiser en aristocratie exploiteuse, avant de sombrer dans la dégénérescence et laisser sa place aux marchands, les bourgeois, qui sont en train de faire de même. Mais cela n'empêche pas de voir, ou de savoir, qu'un groupe s'organise autour d'une autorité, celle que j'appelle puissance plutôt que pouvoir ; chez les animaux, le loup alpha ou l'étalon, la jument de tête, qui possèdent le charisme et la mission de guide et de protection. Il y a eu de tous temps des prédateurs, ou des convoiteurs ; les abeilles le savent bien. Il nous est pourtant loisible d'imaginer, ou de rêver d'un monde humain où chacun, se connaissant, donc libre, partagerait la vie commune,en famille, en mini sociétés ou en larges sociétés comme les États, en participant s'il le souhaite ou en acceptant le train jusqu'au moment où un événement l'inciterait à participer lui-aussi. Les guides changent et cela fait partie du cours normal des choses. L'anarchiste tel que je le vois est un loup solitaire et quiconque a observé des troupeaux d'herbivores y voit des anarchistes : ceux qui ne sont pas en tête mais qui se font respecter et qui ne se trouvent pas non plus en queue de hiérarchie. Cela ne les empêche pas de vouloir garder contact avec les autres, participer aux décisions et mener leur liberté sans entraves ni volonté de domination. On peut effectivement vivre en anachorète, tout seul dans ses collines, mais cela sort du schéma social.
Nous vivons tous dans le monde tel qu'on nous l'impose et aujourd'hui, être anarchiste c'est rêver que chacun prenne sa vie en main, plutôt qu'obéir. Mais cela n'induit pas du tout se mettre hors du monde, ne pas percevoir les enjeux, ne pas être du camp des opprimés et le seul internationalisme que je conçois maintenant est bien d'être solidaire de ceux que la propagande diabolise. Et l'on s'aperçoit qu'au fil du temps, ceux-ci ne sont pas les mêmes. Si bien que la fraternité se meut et il est rare désormais de la voir nationaliste. La fraternité de classe n'a pas complètement disparu mais elle s'est transformée en fraternité de conscience ; il est clair qu'à un moment, nous pouvions être plus frères du peuple irakien que du peuple américain, bien que cela soit plus de l'ordre symbolique que réel. Et dans notre propre nation, il se peut que l'on ne soit plus frère de notre classe d'origine. Mais bien sûr on généralise, dans notre vie privée, les affinités, les attirances, les complicités se jouent de notre appartenance idéologique.
J'ai, dans ma vie privée, été sœur de sacrés connards d'un autre point de vue, mais liée indéfectiblement par le concret de nos activités, de nos galères, de nos efforts et proches dans des domaines parfaitement a-politiques. Quand on est adultes, sans que ce soit vraiment un choix a priori mais un concours de circonstances, on trouve des frères de rencontres, d'expériences, de vie. Et ce lien-là, seul, est indestructible. L'artifice d'un pays, d'un État, d'une Nation, peut juste nous enjoindre à quelque devoir.
Il semble que nous nous en éloignions. Pour ma part, je sais de qui je suis sœur, à ce que j'en sais mais pas à ce qu'on m'impose.
Si en Occident on a, de ce fait, des propensions aux guerres civiles qui opposeraient les nantis et alliés, par propagande ou intérêt, il semble que les Russes, malgré leur diversité, en soient protégés. Et aujourd'hui, cette seule protection contre une guerre civile peut nous apparaître comme le summum de la fraternité.
Le sujet n'est pas clos, à peine entrouvert, les mathématiques nous seraient fort utiles pour résoudre cette équation à x inconnues ! Car ils sont rares ceux qui n'ont pas besoin de protection, possédant la puissance naturelle, et qui protègent, donc s'oublient, ils sont rares ceux qui n'ont pas besoin de maîtres pour grandir, à admirer pour se tirer en avant, pas besoin de chaleur humaine, de réconfort mais de reconnaissance, de respect et de dignité. La fratrie et la confiance qu'elle instaure, devrait être le lieu de toutes ces réalisations !
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