La nazification de l’Allemagne
En Allemagne le parti nazi (NSDAP) s'impose dès la prise du pouvoir par Hitler dans toute la société avec une étonnante fulgurance par des moyens légaux et illégaux et surtout par un recours à la violence. En quelques mois la société allemande s'est métamorphosée.
Les nazis promulguent des lois leur donnant les pleins pouvoirs pour diriger le pays. Joseph Goebbels est nommé, le 11 mars 1933, ministre de la Propagande et se voit chargé de contrôler et de mettre en place une propagande habile et intensive dans la presse, la radio et le cinéma. Le 10 mai 1933, des étudiants et bibliothécaires " nettoient " les bibliothèques universitaires des ouvrages écrits par des auteurs jugés " indésirables " - libéraux, pacifistes, socialistes et juifs. Dans de gigantesques bûchers, des milliers de livres sont brûlés notamment ceux de Voltaire, Marx, Heinrich, Freud, Einstein, Brecht… L'ensemble des activités culturelles du pays est placé dès septembre 1933 sous l'autorité de la " Chambre culturelle du Reich ".
L'élimination des communistes et une des priorités d'Hitler. L'incendie du Reichstag qui survint dans la nuit du 27 au 28 février 1933 est immédiatement exploité pour accuser les communistes. La thèse du complot communiste a été rejetée lors d'un procès qui s'est déroulé à Leipzig en septembre 1933. Mais, entre-temps, toutes les dispositions ont été prises pour que la répression s'abatte contre les communistes et tout le mouvement ouvrier. Dès le lendemain de l'incendie, Hitler soumet un décret à Hindenbourg " pour la protection du peuple et de l'Etat ". Ce décret est aussitôt approuvé par Hindenbourg en application de l'article 48 de la constitution qui est similaire à l'article 16 de notre constitution de la Vème république. Il mentionne dans son préambule que ses dispositions sont ordonnées pour contrer les violences communistes qui mettent l'État en danger. En son article premier, le décret prévoit que les restrictions à la liberté personnelle, au droit de la libre expression des opinions, y compris la liberté de la presse, les restrictions aux droits de réunion et d'association, les violations du secret des communications [...], les mandats de perquisition, les ordonnances de confiscation [...] sont autorisées au-delà des limites légales. Un autre décret le 1er mars assimile l'incitation à la grève à de la haute trahison. Le 6 mars le KPD est interdit et tous les députés communistes sont emprisonnés. Au printemps 1933 plusieurs dizaines de milliers de communistes et sociaux-démocrates sont envoyés dans des camps de concentration.
La presse communiste ainsi que quelques journaux socialistes sont interdits et la milice du parti nazi, la SA, obtient le statut de police auxiliaire et se charge de traquer militants et responsables de l'opposition de gauche. Le KPD a été infiltré par les services de renseignements du parti nazi. Pierre Broué écrit (" Trotsky p. 729) :
"Des hommes connus jusqu'alors comme des dirigeants du Front rouge, des comités de chômeurs et autres organisations de masse, proches des organismes de direction, inflexibles dans la persécution des oppositionnels, apparaissent du jour au lendemain en uniformes de S.A. ou dans un bureau de police, dirigeant personnellement perquisitions et arrestations, interrogatoires même de militants arrêtés grâce à eux et par leurs soins. De telles découvertes, on s'en doute, accélèrent l'effondrement de l'appareil, le découragement et l'isolement des militants qui tentent de maintenir des éléments d'organisation.
Tout s'est déroulé très vite à partir de l'incendie du Reichstag, pièce maîtresse de la provocation au moyen de laquelle Hitler cherche à se débarrasser du Parti communiste dans un premier temps. Ce dernier est interdit le 1er mars, 4 000 de ses membres, des cadres essentiellement, sont arrêtés le jour même et le lendemain. A partir du 3 mars, se déroule, sur une plus vaste échelle, une véritable chasse aux communistes qui ne provoque que peu de réactions. Pourtant, à Oranienburg, un détachement de défense ouvrière organisé par un oppositionnel du P.C., Helmuth Schneeweiss, accueille à coups de feu le commando S.A. qui tente de pénétrer dans le quartier ouvrier. Le même jour, Thälmann, chef du K.P.D. est arrêté dans l'appartement où il se cachait à Berlin."
Dans ses priorités, Hitler vise aussi le milieu universitaire. Il veut que celui-ci soit contrôlé par les nazis. Ceux-ci s'appuient pour cela sur l'union nationale-socialiste des étudiants NSDStB créée dès 1926 et qui avait donc noyauté le milieu étudiant bien avant 1933. Les nazis ont opéré une véritable " purge " du corps des enseignants. Rien qu'entre 1933 et 1934 environ 1 680 enseignants universitaires ont été licenciés ou forcés de démissionner soit 14,4%. La Gleichschaltung (mise au pas) avait pour but de mettre la formation universitaire au service exclusif des objectifs du national-socialisme en obtenant, d'une part, qu'elle se concentre sur la propagation de la Weltanschauung (conception du monde) raciste et impérialiste nazie en éliminant toute voix discordante et, d'autre part en fournissant à la société totalitaire des cadres civils et militaires loyaux et dévoués.
A partir de 1933, seuls les nazis agréés pouvaient soutenir une thèse et faire l'objet de nominations universitaires. La " nazification " fut totale lorsqu'en 1936 tous les étudiants furent placés sous l'autorité du chef de la NSDStB (association des étudiants nazis). Au départ c'est l'association des étudiants nazis qui est le principal outil de la nazification. Ces étudiants fanatiques se chargent de faire la chasse aux enseignants juifs, communistes, socialistes… Une association d'enseignants nazis (NSDDB) s'est alors mise en place. Dès 1935 celle-ci était en mesure d'épauler l'association des étudiants dans cette " nazification " du milieu universitaire. Un enseignant sur quatre était alors membre de cette organisation nazie très sélective puisqu'en plus d'être membre du parti nazi il fallait être parrainé par deux nationaux-socialistes éprouvés. Cette association jouait un rôle dans les nominations, promotions et mutations des enseignants en épaulant et contrôlant l'administration universitaire. Le zèle partisan des enseignants nazis a eu dès lors plus d'importance que leurs qualités scientifiques et pédagogiques pour ceux qui voulaient obtenir des promotions. Pour les postes supérieurs (doyen, recteur, directeur…), il ne suffisait plus d'être membre du NSDAP. Une sélection plus sévère devait garantir qu'ils seraient prêts à participer activement à cette mise-au-pas de l'université. Parmi ceux qui ont été ainsi sélectionnés, rappelons que se trouvait Walter Hallstein qui sera le président de la CEE.
Le 14 juillet 1933, toutes les formations politiques sont interdites au profit du parti nazi, décrété parti unique. Ce parti avait été un instrument de la prise du pouvoir par Hitler. Il devient dès lors l'instrument de la nazification de la société. Le schéma selon lequel il y aurait eu deux minorités aux extrémités de la société : d'un côté une minorité de résistants et de l'autre une minorité de nazis doit être revu. Avec ce schéma, la grande masse des allemands auraient été des " monsieur-tout-le-monde " qui ne se mêlaient pas de questions de politique. Non ! Nous sommes très loin de ce schéma. Le parti nazi a compté environ 11 millions d'adhérents. J'ai calculé que cela faisait approximativement 1 homme adulte sur 2 et 1 femme sur 10 (voir le détail du calcul dans mon article : "Walter Hallstein était un nazi").
Précisons que diverses organisations directement liées au parti nazi ont joué un rôle de premier plan dans tout ce processus. Les plus connues sont sans doute les SA (sections d'assaut) et les SS (SchutzStaffel - groupe de protection). Mais il y en avait d'autres. Voici la liste de celles qui étaient intégrées au parti nazi :
- SA : Les sections d'assaut.
- SS : Schutzstaffel. "Escadron de protection".
- NSKK : Corps de transport National-Socialiste (transport de troupes, de matériel, de munitions, déportation des juifs). Organisation para-militaire.
- HJ : Les jeunesses hitlériennes.
- NSDStB : Les étudiants hithériens.
- NS : Les femmes nazies.
- NSDDB : Association Nationale-Socialiste des enseignants.
Elles constituaient la colonne vertébrale du NSDAP. Elles ont joué un rôle majeur dans la montée en puissance de ce parti puis dans la diffusion et la suprématie de l'idéologie nazie dans tous les secteurs de la société. Elles étaient en fait, à elles seules, l'expression du nazisme autant voire plus que le parti lui-même.
Les syndicats sont remplacés par un nouvel organisme corporatiste, le " Front du travail ", contrôlé par les nazis. Les discours officiels sont désormais prononcés au cours de grandes cérémonies soigneusement orchestrées, rythmées par des musiques et des défilés.
Les mouvements de jeunesse, aux premiers rangs desquels figurent les Jeunesses Hitlériennes, enrôlent et mobilisent les jeunes Allemands. Au sein de son propre camp, Hitler ne garde que les éléments les plus dévoués et les plus disciplinés. Des militants de la SA sont éliminés lors de la " Nuit des longs couteaux, du 29 au 30 juin 1934 ", au profit des SS (Schutzstaffel - groupe de protection) dont le chef, Heinrich Himmler, est investi des pleins pouvoirs de police.
À partir de 1934, les fonctionnaires sont contraints de prêter un serment de loyauté à Hitler.
Une loi adoptée le 14 octobre 1933 permet la détention des individus pour une durée indéterminée, tant que les autorités de police l'estiment nécessaire et sans qu'aucun jugement ne soit prévu. En application de cette loi des camps de concentration sont ouverts dès 1933 : Dachau, Oranienburg et Emsland. Dès leur entrée dans les camps, les Juifs font l'objet d'un traitement particulièrement brutal, beaucoup y sont assassinés ou meurent d'épuisement.
Dans ce contexte, les communistes, les socialistes, les juifs, les intellectuels écrivains et artistes comprennent vite qu'ils sont menacés et beaucoup essaient de fuir le pays ce qui n'est pas toujours facile. Ce n'est pas d'aujourd'hui, qu'existe dans les États européens, une certaine obsession du " risque migratoire ". Les gouvernements barrent l'accès à leur territoire des exilés qui fuient en masse le nazisme. Les analogies sont troublantes entre l'attitude des États à l'égard des Juifs et des communistes dans les années 1930 et ce que nous connaissons aujourd'hui. Hitler pouvait faire de l'humour sur " ces juifs dont personne ne veut " car tous les Etats étaient réticents pour accueillir les réfugiés allemands.
Les réfugiés juifs, communistes et sociaux-démocrates qui arrivent cependant à l'étranger sont parqués dans des camps que ce soit en France ou en Russie. Dans ces deux cas, ils seront livrés aux nazis. Staline livrera ceux qui se sont réfugiés en URSS en application d'une clause secrète du pacte Hitler-Staline du 23 août 1939 et le gouvernement français les livrera en application de la convention de l'armistice du 22 juin 1940. Le PCF ne protestera ni dans un cas ni dans l'autre. En effet, jusqu'à l'opération Barbarossa du 22 juin 1941, la direction du PCF couvre la politique d'Hitler.
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