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Accueil du site > RDV de l’Agora > Philippe Bilger passe aux aveux

Philippe Bilger passe aux aveux

Interview de Philippe Bilger suivie en avant-première d’un extrait inédit de son nouveau livre Etats d’âme et de droit, à paraître le 9 avril aux éditions du Cherche-midi.

Les lecteurs d’Agoravox connaissent bien Philippe Bilger. Avocat général à la cour d’appel de Paris, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages - Un avocat général s’est échappé (Le Seuil, 2003), Pour l’honneur de la justice (Flammarion, 2006) et J’ai le droit de tout dire (Le Rocher, 2007) - et, avec Justice au singulier, il tient l’un des blogs les plus consultés, vivifiants et polémiques du moment.

Il est question de ce blog dans Etats d’âme et de droit dont nous vous livrons ici un extrait en exclusivité. Mais pas seulement. Comme son titre l’indique, ce livre trouve son équilibre dans un dosage subtil entre vie privée et publique.

Confessions, livre d’un moraliste, chronique du temps présent, il peut être ardu de comprendre la voie qu’emprunte Philippe Bilger dans ce livre touffu qui évoque pêle-mêle le président Sarkozy, sa ministre de tutelle dont visiblement il ne regrette pas le départ, les tartuffes médiatiques (BHL) et autres esprits selon lui brillants (Zemmour, notamment), la littérature (Faulkner, Proust, Salinger tout autant que les grands classiques de l’antiquité) qui le passionnent depuis l’enfance. Et, surtout, sa famille.

Il est vain d‘y chercher des révélations sur telle ou telle affaire judiciaire qui défraya la chronique. Pourtant Etats d’âme et de droit contient quelques révélations.

Dans ce livre, Philippe Bilger parle pour la première fois son père condamné pour collaborationnisme à la Libération. Cette figure paternelle est ici évoquée avec tendresse. En creux aussi, un peu comme chez Modiano. Ce père est une ombre qui se promène.

Philippe Bilger, dans cette recherche du temps pas tout à fait perdu, ne cède pas aux sirènes de la facilité. Ça serait mal connaître l’homme, solitaire et rétif à tout engagement (même s’il soutient les réformes du président). Cette confession intime n’illustre pas cette maladie bien contemporaine qui consiste à étaler au grand jour ses tares les plus secrètes. Elle éclaire l’action publique du magistrat. Elle l’explique aussi.

Etats d’âme et de droit est un livre passionnant non pas pour ce qu’il révèle sur la justice où la manière dont elle est rendue dans ce pays. De cela il a été question dans d’autres livres du même auteur. Elle révèle que dans un pays libre un magistrat a le droit de parler de sa pratique sans trahir l’action publique. Il doit même le faire. C’est un exercice salutaire. Pour lui comme pour tous les justiciables. Ça ne le rend que plus humain. Et l’humanité, n’est-ce pas un tout petit ce qui manque aujourd’hui, dans les prétoires ?

Pour Les RDV de l’Agora, Philippe Bilger répond aux questions d’Olivier Bailly


Olivier Bailly : D’abord parlons de votre écriture et de votre ton, très grand siècle. C’est le livre d’un moraliste.

Philippe Bilger : C’est le style que j’ai toujours. Il résulte d’une culture classique, gréco-latine, et d’un style qui peut-être, même par écrit, ne se dissocie pas réellement de la structure orale. J’essaye de ne pas écrire familièrement, mais j’ai une certaine tournure de phrase, une certaine manière d’exprimer ma pensée qui rejoint l’oralité que j’exerce surtout sur le plan judiciaire.

OB : Dans ce livre il est aussi question de Céline, Proust, Faulkner...
PB : Vous faites allusion aux chapitres personnels où je parle du jeune homme et de ses passions littéraires de cette époque. Ces admirations littéraires d’alors n’étaient pas contradictoires avec la passion de la culture antique. Faulkner, en particulier, je le voyais comme un colosse me permettant de continuer cette passion-là. J’aime beaucoup cette phrase de Proust qui estimait qu’il y avait, parmi les meilleurs, seulement deux types d’écrivains : les grands frères, ceux qu’on aime non pas malgré mais à cause de leurs défauts (et il citait Balzac). Et il y a les maîtres comme Dostoievski, des gens qui, tout en étant des écrivains, vous apprennent à vivre. Pour moi Proust a été clairement un écrivain fondamental, un maître absolu et je peux dire qu’à une certaine époque, lorsque je l’ai lu à fond, ma vision de la vie a changé. Il m’a beaucoup aidé à élaborer un regard plus lucide et pertinent sur la vie et sur les autres.

OB : Ce livre se réfère davantage à la littérature qu’au droit pénal !
PB : C’est évident ! Dans mes autres livres, et en particulier dans Pour l’honneur de la justice, il est évident que je considère - j’aurais plus le développer plus longuement - que le magistrat, et à plus forte raison le grand magistrat, n’est possible qu’avec une culture générale approfondie et je crois que l’un des drames du judiciaire, aujourd’hui, notamment dans la formation qu’il offre à Bordeaux, en dépit des réformes excellentes qui sont mises en œuvre, c’est le fait que la culture ne constitue pas l’horizon et le terreau à partir desquels on forme la jeune magistrature. C’est la culture, paradoxalement, qui permet au magistrat d’échapper à la vision étroite et étriquée de son métier. Je le crois profondément.

OB : Il faut donc lire la Princesse de Clèves ?
PB : Oui, absolument, et tout ce qui est de nature à faciliter le regard, à créer la distance, à favoriser le retrait, le doute, l’incertitude, la réflexion sur le général après qu’on ait appréhendé le particulier. Ce qu’il y a de dramatique, c’est l’enfermement dans la technique et dans la compétence. Il faut les avoir, mais si l’on est enfermé en elles c’est une catastrophe.

OB : Je parlais de votre écriture et de vos influences parce qu’il me semble que c’est représentatif de la forme comme du fond du livre. Vous usez de phrases longues, parfois compliquées, qui peuvent rebuter.

PB : J’ai une certaine inaptitude à couper une pensée globale avec des petites phrases. C’est comme si j’avais besoin d’inscrire dans le style une sorte de flux de vie et de pensée. Je comprends bien que cela peut être difficile à lire, mais j’ai beaucoup de mal de séparer, de couper, quelque chose qui pour moi constitue à chaque fois une solidarité intellectuelle.

OB : C
omme le titre l’indique ce livre est une confession
PB : Ça paraît très vaniteux, mais renvoyant à mes ouvrages précédents j’avais donné (et je m’étais donné) l’impression d’aller toujours au plus près, au plus vrai. Même dans le domaine judiciaire en tous cas. Et puis je me suis rendu compte que, même là, dans mes livres précédents, parfois j’émettais une vérité très légèrement désagréable, mais qui ne me faisait pas réellement mal. Ici j’ai cherché à être encore plus profond et plus sincère sur le plan judiciaire, en étant dur parfois à mon égard et à l’égard d’autres personnes.

Sur le plan personnel, j’ai cherché, à cause de l’histoire que je raconte, pour la première fois, de tenter d’élucider tout ce qui se passait en moi dans les rapports avec mes frères, ma sœur, surtout avec mon père. C’est une histoire qui a été permise d’abord grâce à mon frère Pierre qui l’avait évoquée et puis ensuite par un article sur les fratries paru dans Le Monde. Ça a été un grand effort pour moi. Ça n’est jamais facile de parler réellement de soi.

OB : Il est donc question de votre père jugé et emprisonné pour faits de collaboration. C’est quasiment la première fois que vous l’évoquez

PB : En tous les cas jamais publiquement. J’évoque une ou deux anecdotes dans les couloirs du Palais de justice où je sentais que, vaguement, des gens, de manière bienveillante ou non, en parlent. Lorsque je rencontre le procureur général Truche et qu’il me propose de m’occuper du dossier Bousquet, là, ça apparaît, mais ça avait une définition judiciaire. Mon frère François à Strasbourg répondait parfois dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, faisait des droits de réponse sur ce qu’on pouvait dire sur mon père, et puis il y a surtout cet article sur les fratries qui m’a donné envie d’aller au fond. Il fallait maintenant que je parle de ça, que je sorte d’une forme de schizophrénie.




OB : On comprend le pourquoi du titre : l’âme, qui est de l’ordre de l’intime, et le droit, qui est de l’ordre du public. C’est aussi là qu’on comprend l’intrication entre vie privée et vie publique. A cause de votre vie privée, vous le dites, vous avez refusé de prendre en charge le dossier Bousquet
...
PB : Je suis reçu par le procureur général Truche, l’un des rares magistrats que j’ai admirés dans ma vie. Lorsqu’il me parle de ça c’est un honneur. J’ai envie de dire oui. C’est une affaire grave, douloureuse, passionnante, mais je me suis dis « je vais le mettre dans la mouise ». Un millième de seconde j’hésite et je le lui dis. Pour peu que j’ai des réquisitions un peu libres, bien sûr, mais particulières, je suis sûr que tôt ou tard j’aurais mis ce formidable magistrat un peu dans les ennuis.

OB : Plus tard, ironie du sort, vous vous occupez du dossier de Christian Didier, assassin de René Bousquet, et de celui de Maxime Brunerie

PB : A l’égard de Christian Didier je ne me fais pas les mêmes reproches qu’à l’égard de Maxime Brunerie. Christian Didier était un être pour lequel en dépit de son côté matamore au quotidien, je ne peux pas me défaire d’une sympathie. Sa famille était adorable et ça a été un grand procès pour moi, très important. Ce mélange de technique dans l’accomplissement du crime et de bon sentiment véritable dans ce qu’il l’inspirait. Brunerie, c’est autre chose. J’ai été amené à m’interroger sur mon propre réquisitoire parce que j’avais gommé, non pas de manière perverse, mais il était un peu absurde de ne pas évoquer à propos de Brunerie aussi l’influence délétère de ses lectures, de son compagnonnage et je dirais de sa vision fasciste, pour aller vite. Dans mon réquisitoire j’avais parlé de l’être humain Brunerie et il manquait quelque chose. C’est pour ça que j’ai voulu réfléchir sur moi aussi après là-dessus.

OB : Dans votre jeunesse vous lisez donc les mêmes livres que ceux de Brunerie, Brasillach entre autres. Qu’est-ce qui dans le parcours différencie Philippe Bilger de Maxime Brunerie ?
PB : Brunerie, parce qu’il avait une difficulté d’être, a tenté de trouver refuge, notamment dans ce monde très particulier, politique, intellectuel, d’extrême droite, chez des écrivains sulfureux. En ce qui me concerne ça n’est pas ça. C’est ce que disait très bien Dominique Fernandez à propos de son père, Ramon. C’est sûr que le rapport que j’ai entretenu avec l’image de mon père, le procès qu’il a connu, la condamnation qu’il a eue et la peine de prison qu’il a subie, pendant longtemps cela m’a interdit d’avoir une totale lucidité sur cette période de l’histoire.

Mais moi je ne suis pas immergé dedans. Je me contente de me libérer peu à peu d’une perception qui était trop gouvernée par cette histoire intime et familiale. Je suis capable aujourd’hui, je l’espère du moins, à la fois d’avoir un regard libre et lucide sur tout cela et en même temps de conserver une capacité d’estime pour le parcours paternel, même sur le plan historique.

OB : Cette difficulté d’être à laquelle vous faites allusion à propos de Brunerie, vous l’avez éprouvée vous-même. Votre jeunesse est travaillée par l’idée de suicide, notamment. Vous évoquez votre solitude et votre fragilité. Ce n’est généralement pas l’image que l’on a de l’avocat général.

PB : Aujourd’hui, l’avocat général a soixante-cinq ans ! Lorsque j’évoque tout ça, c’est sur que d’abord, structurellement, j’ai toujours eu un peu de réticence devant le bonheur classique, quotidien, un peu banal. J’ai toujours préféré une forme de gravité à la joie facile. Le deuxième élément, c’est qu’à l’époque où vous me situez, il y a un petit peu de pose chez moi, voire un peu de frime. Il y a ce goût qu’à la jeunesse parfois pour une forme de romantisme suicidaire mais qui reste purement verbale et théorique.

Et puis, tout simplement, il y a plus profondément le sentiment qu’à un certain moment d’une vie on ne trouve pas sa place, on rêve d’un destin, on est écartelé entre l’idéal d’une existence et ce que l’on sent en soi et alors là ça donne une sorte de mélancolie, de tristesse authentique. Je dirais qu’il y a eu tout cela à l’époque. Je continue à fonder ma vie sur un bonheur total, sur un socle qui reste très largement composé de mes perceptions existentielles de l’époque. Je ne suis pas devenu un être qui tout à coup raffole de la facilité du quotidien. En ce sens-là je suis resté fidèle un petit peu à la vision de cette jeunesse.

OB : C’est votre livre le plus personnel ?

PB : Oui, dans la mesure où c’est la première fois que j’ai un chapitre très très intime. Dans les livres antérieurs je parlais de la justice, de la liberté d’expression, j’étais amené à prendre des exemples personnels, à y aller relativement vigoureusement sur tel ou tel comportement, mais je crois que je ne suis jamais allé aussi profond. Je le pense. Je n’ai jamais parlé de moi, de mon environnement, à ce point-là parce que précisément j’ai toujours fait une grande distinction entre l’ouvrage judiciaire entre la promotion de soi qui est complètement inutile si elle ne permet pas au corps judiciaire de progresser et au fond ça n’a de sens que si une forme de révélation sur soi permet de mieux comprendre d’abord soi-même et ensuite le phénomène de justice, éventuellement. Ce qui était le cas, de mon point de vue.

OB : La justice il en est évidemment question dans ce livre, tout autant que de politique. Et bien sûr des rapports que les deux entretiennent ensemble

PB : J’ai essayé tout de même, avec beaucoup de difficulté, de cantonner ma réflexion politique au sens large, aussi bien à propos du président que de la garde des Sceaux, dans un domaine qui reste très largement judiciaire. Même si on dira probablement le contraire, je défie quiconque de pouvoir dire aujourd’hui, de manière claire, qu’elle est ma position politique, au sens de position partisane. En revanche, je ne pouvais pas dans ce livre éluder le rapport, le regard, que j’ai eu sur le ministre de la justice qui va partir dans peu de temps, je ne pouvais pas ne pas parler des rapports que le président a entretenu avec la chose judiciaire, bien au-delà des coups de boutoir du candidat. Pour moi c’était très important et ça a été un exercice passionnant de dire des choses tout en demeurant tout de même encore enfermé dans une obligation de réserve dont je donne peut-être une définition élargie mais à laquelle je tiens.

OB : Ce qui vous passionne et ce qui a vous a toujours intéressé c’est le rapport de la justice et du citoyen. Un point d’accord, selon vous, avec le candidat Sarkozy. Qu’est-ce qui vous a ensuite déçu, chez lui ?
PB : Le rapport avec le citoyen en matière judiciaire je dirais que c’était plus qu’une proposition chez Nicolas Sarkozy, c’est le fond d’une politique. En ce sens-là je rejoins absolument, encore aujourd’hui, cette vision des choses : ce n’est pas le corps lui-même qui doit gouverner la manière dont il s’insère dans l’espace public, mais c’est le citoyen qui doit imposer sa loi et ses exigences. Et ça, ça n’a pas changé, c’est au cœur de mon point de vue.

Ce qui manque à la magistrature c’est d’intégrer profondément, comme alpha et oméga de son action, le citoyen qui est au bout, qui attend et qui parfois désespère. Alors, ensuite, le candidat. J’ai approuvé complètement tous les coups de boutoir qu’il a porté contre certaines pratiques judiciaires, contre certaines libérations anticipées. Sans aucune vanité je peux dire que j’étais à l’époque contre les syndicats le seul magistrat un petit peu dissident à approuver totalement tout ça parce que j’ai une sainte horreur pour le corporatisme.

Et puis ensuite on a eu le président. Et le président, bien sûr, est amené à prendre une vision, un recul, vis-à-vis de la magistrature. Il ne peut plus être le candidat avec cette inventivité, cette spontanéité, cette liberté du candidat. C’est une toute autre attitude que l’attitude présidentielle.

OB : Donc j’en reviens à ma question : qu’est-ce qui vous a déçu chez lui ?

PB : Sur le plan judiciaire, objectivement, rien ne m’a déçu...

OB : Il faut bien rappeler que vous êtes d’accord avec toutes les réformes
PB : Absolument. Je suis totalement d’accord avec les réformes mises en œuvre par Rachida Dati et inspirées par Nicolas Sarkozy. Ce qu’il y a de vrai c’est que j’aurais souhaité qu’elles s’inscrivent dans une structure plus clairement hiérarchisée. Les peines plancher c’est important, mais j’aurais rêvé par exemple d’une loi pénitentiaire immédiate.

Sur le plan de la politique pénale je suis absolument d’accord. A un moment je pense que le président lui-même a mis un certain temps à trouver la bonne distance vis-à-vis de la magistrature dont il est le garant et le facteur d’unité. C’est en ce sens-là qu’à un moment donné je n’avais pas aimé l’expression « petit pois » à l’égard de la cour de cassation, mais je pense que lui-même, à la longue, a habité plus tranquillement, plus confortablement son rôle présidentiel dans le lien qu’il entretient avec la magistrature, notamment lorsqu’il a reçu les syndicats.

Bon ça n’était pas quelque chose d’extraordinaire, mais rappelez-vous comme on en a parlé. Donc sur ce plan-là, je pense qu’il a endossé de mieux en mieux l’habit présidentiel. Sur le plan judiciaire on peut discuter un certain nombre de choses, des nominations, des choses comme ça, mais cela va bien au-delà d’un livre comme celui-là.

OB : Vous parlez d’une nomination essentielle, celle d’un certain Philippe Bilger au poste de directeur de cabinet de Rachida Dati...
PB : Depuis des années, et notamment depuis la campagne de Nicolas Sarkozy, que ce soit de manière amicale ou pour rire, on me disait « tu seras le Garde des Sceaux ».

Et puis un jour deux journalistes me demandent « il paraît que... ». Mais tout ça ce sont des bruits qui naissent de manière à la fois parfaitement fictive et en même temps pas complètement absurde J’étais tout de même celui qui avait soutenu la campagne, mais pas une seconde pour moi ça n’avait une ombre de véritable consistance dans la mesure où je crois que j’ai, tout en offrant un soutien intellectuel authentique à des politiques auxquelles j’adhère, j’ai ce défaut pour le pouvoir, et peut-être pour tous les pouvoirs, de n’être absolument pas un inconditionnel.

C’est central. Un pouvoir a besoin bien avant l’intelligence, de mon point de vue, ou la capacité de travail, a besoin de la certitude d’une confiance absolue.

OB : Toujours à propos de la Garde des Sceaux vous êtes mordant envers elle, tout en lui reconnaisant cependant certaines qualités
PB : Le chapitre sur Rachida Dati c’est exactement l’histoire de mon regard sur elle. J’ai en permanence adapté, ajusté ma perception judiciaire sur ce qu’elle offrait elle-même. Je mets à part la réussite de sa politique parce que bien sûr il y a eu l’opposition massive des syndicats et de la magistrature, mais à partir du moment où vous cherchez à bouger la réalité judiciaire vous avez forcément une opposition forte.

Je ne dis pas qu’elle a toujours su traiter la magistrature comme il convenait. Sur le plan des modalités j’aurais procédé autrement. Et puis il y avait ce que j’appellerais la pratique personnelle de la ministre qui, à une certaine époque, a été discutable, voire vulgaire, avec cette espèce de mondanité festive qui mêlait la justice à des divertissements qui n’étaient pas honteux, mais enfin qui ne donnaient pas une belle image de la ministre et de ceux dont elle avait la charge, c’est-à-dire nous-mêmes.

Et puis elle a changé. Je trouve que peu à peu elle a occulté tout ça et puis évidemment sa grossesse a mis tout ça au second plan. A la fin de ce parcours je n’étais pas obligé d’aller avec lâcheté achever un ministre dont on pensait qu’elle était à terre puisque j’avais toujours dit la vérité sur elle, et en bien et en mal. Votre question décrit très bien mon point de vue sur ce plan. 

OB : Vous évoquez aussi très abondamment votre blog dans ce livre. C’est la première fois que vous en parlez autant.

PB : C’est la première fois que je consacre un chapitre parce que dans ma vie, depuis novembre 2005, c’est fondamental. C’est une possibilité de réaction, une chance de réactivité sur les sujets qui découlent de ma passion médiatique et en tenant compte du triple objet que j’ai assigné à mon blog qui ne me fait jamais, je l’espère, tomber dans la politique partisane, mais parfois je suis au bord. J’en ai conscience.


OB : C’est une manière de vous rapprocher du citoyen qui, depuis Outreau, se méfie et se défie de plus en plus de la justice

PB : Oui. A l’origine je l’avais baptisé Justice à l’écoute et puis, bien sûr, pour venir sur un blog, manier Internet... On ne peut pas avoir le citoyen totalement de base. C’est un regret. Mais le dialogue que j’entretiens tout de même avec beaucoup de mes lecteurs, beaucoup de mes commentateurs, sur ce blog qui refuse d’aborder le politique en partisan, tout cela est très enrichissant pour moi et rentre en effet dans cette philosophie du dialogue, de l’explication, du surgissement, d’une liberté de magistrat qui vient dire sur beaucoup de thèmes ce qu’il pense en étant me semble-t-il plus authentique que beaucoup de médias traditionnels.

OB : Vous vous en prenez aussi à quelques tartuffes médiatiques comme BHL, mais vous défendez Naulleau et Zemmour...

PB : Absolument. Je ne me mets pas du tout, de manière immodeste, dans cette catégorie, simplement on est dans un monde d’une telle bienséance intellectuelle et politique, et je dirais même morale, que je ne pourrais pas me permettre, même si je ne suis pas toujours d’accord avec eux, de ne pas apporter un soutien aux rares esprits libres d’aujourd’hui. Il y a une espèce de fraternité d’abord, de la liberté de pensée qui dépasse très largement ensuite l’adhésion au fond de tel ou tel.

OB : Vous dites également le plus grand bien de Dieudonné
PB : Je parle de Dieudonné, mais je ne crois que j’évoque l’histoire où il a pété les plombs à la suite d’une ascension de plus en plus claire vers l’intolérable. Mais Dieudonné pendant longtemps a secoué, a bouleversé, a agité un monde intellectuel dans des domaines où il est très difficile parfois de dire ce qu’on pense et il a connu un certain nombre de relaxes.

N’oubliez pas que lorsque je parle de Dieudonné je l’inclus dans une série de personnalités qui sont des agitateurs. J’ai écrit un billet à propos de l’histoire du prix à Faurisson où je considère qu’il n’est plus utile à la liberté d’expression parce qu’il s’est laissé lui-même totalement gouverner par la provocation. Mais dans la liste qui figure dans mon livre, il y a un certain nombre d’individus de tous bords - de Patrick Sébastien à Dominique de Villepin en passant par Badiou -, cette liste est très hétéroclite, dans des genres parfois dérisoires, très superficiels.

Je cherche l’authenticité du ton. J’ai été frappé par Sébastien qui, au moment où il y avait un sarkozysme forcené, avait le courage de dire "non". Et puis peut-être qu’aujourd’hui comme l’anti-sarkozysme, comme dit Manuels Valls, est devenu obsessionnel, peut-être qu’il est dans l’autre sens. Je n’en sais rien. Mais je voulais surtout indiquer que c’était dans cette catégorie intermédiaire, entre le citoyen de base qui n’a pas accès aux médias et le grand intellectuel qui manque, qu’il y avait quelques agitateurs.

OB : Le grand intellectuel qui manque pour vous c’est Camus.

PB : Oui. Et s’il n’y avait qu’une conclusion à tirer de ce livre, pour moi en tous cas, c’est la nécessité d’une exigence personnelle et d’une vigilance morale. Ce qui me paraît dramatique dans notre société d’aujourd’hui c’est que la morale n’est plus fondamentalement ce qui inspire le comportement et l’action et qu’on n’a plus en ce sens-là de maître intellectuel et éthique qui vient dire « ça c’est scandaleux ou ça c’est bien », quelle que soit son orientation politique. C’est surtout ça qui me frappe. La politique a tellement investi tous les champs qu’en définitive elle a perverti même ce qui aurait dû demeurer bien au-dessus d’elle.

OB : Ce qui traverse ce livre c’est tout de même une inquiétude sur la manière dont la justice est rendue et par conséquent comment se porte la démocratie

PB : Oui. J’aimerais que vous releviez que je ne suis pas un désespéré, ni un pessimiste. La vision qu’on peut avoir de phénomènes judiciaires ou politiques aujourd’hui peut n’être pas rose, je vous l’accorde, mais là où je refuse le pessimisme de chacun c’est que je crois que tout peut change tout de suite pour peu qu’on se persuade qu’on est les agents fondamentaux et immédiats du changement.



Lire l’extrait de Etats d’âme et de droit

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20 réactions à cet article    


  • fouadraiden fouadraiden 7 avril 2009 10:02

    Très bien tout ça...


    • John Lloyds John Lloyds 7 avril 2009 10:29

      On ne peut plus appeler la justice la justice. C’est plutôt devenue une industrie, avec sa mécanique aveugle, sa lourdeur, ses quotas, ses instrumentalisations politiques, ses files d’attente interminables, et ses innombrables bavures. Le tribunal ressemble plus à un casino qu’à l’institution fiable qu’est en droit d’attendre le citoyen.

      Dans ce contexte, on a vraiment l’impression que le discours de Philippe Bilger tient de l’anguille, flirtant avec une soupe dans laquelle il ne peut pas cracher et une institution à bout de souffle. D’accord avec les réformes, mais pas d’accord quand même ... Le tout avec un zeste de Poeple, Zemmour, Dieudonné ... Pensez-vous sincèrement, Mr Bilger, qu’une danse du ventre rendra confiance dans une institution qui, honnêtement, ne mérite qu’un traitement du niveau des écuries d’Augias ?


      • Muadib 7 avril 2009 10:36

        Je vous conseille le blog de maitre Eolas, cela permet de recadrer certaines choses.


      • Annie 7 avril 2009 10:50

        Suis-je la seule à avoir du mal à lire la fin de l’entretien ? Une correction est-elle possible ?


        • William7 7 avril 2009 13:35

          Ce moraliste pourra t-il un jour reconnaître que nous sommes dans une société de classes et que la "pénalisation -progressive- du social" (selon la thèse très bien développée par divers criminologues, notamment ceux de l’université libre de Bruxelles) en constitue le symptôme le plus abouti ?
          Ce monsieur - pourtant cultivé et intelligent - peut ainsi développer des thèses archaïques dignes du 19ème siècle, par exemple lorsqu’il s’agit d’analyser les causes de la délinquance toujours réduites à des "excuses sociologiques" si elles ne conduisent pas à considérer les motifs strictements psychologiques ou individuels.


          • Gazi BORAT 7 avril 2009 14:08

            WIKIPEDIA dixit :


            • Le narcissisme désigne communément l’amour qu’une personne vit pour elle-même. Une telle sollicitude envers soi-même est le fondement d’une bonne santé. Toutefois, lorsque l’investissement de soi devient fermé et figé, il génère chez l’individu une tendance à interpréter la réalité en fonction de sa propre personne.
               
            Trêve de plaisanteries...

            Le témoignage auto-satisfait d’un magistrat "droit dans ses bottes", d’un moraliste aux idées droites et qui en profite pour nous apprendre que chez lui, il en fut toujours ainsi.

            Selon le portrait qu’il nous brosse de lui-même se dessine un Bourgeois qui aurait tout à fait sa place dans la galerie de portraits que constitua un jour Bunuel dans un de ses meilleur film.
            gAZi bORAt

            • Muadib 7 avril 2009 14:50

              Je ne comprends pas vraiment le procès ( oserais-je dire d’intention ?) que vous faites à l’auteur du livre.

              Vu le titre du bouquin, il est plutot certain qu’il va parler de lui et de ses impressions sur tout et n’importe quoi.

              Mais cela ne doit pas faire oublier certains excellents billets sur son blog qui n’ont pas sa personne comme sujet, ni d’autres livres qui n’ont pas sa personne comme sujet, ni certaines interventions télévisées qui n’ont pas sa personne comme sujet.

              Mais si vous avez des raisons de penser que l’auteur du livre est un narcissique mû uniquement par l’envie de reconnaissance, je suis prêt à les entendre.


            • Gazi BORAT 7 avril 2009 15:07

              @ Muadib

              Ce que l’on découvre, dans ces deux articles publiés aujourd’hui sur le dernier ouvrage de Mr Bilger, c’est le portrait par lui même d’un homme aux ambitions déçues (il semble avoir souhaité être Garde des Sceaux) et dont l’accession au plus haut poste qu’il aurait pu atteindre dans son carrière aurait sans doute compensé la chute d’un autre Bilger, qui se fourvoya en d’autres temps.

              Procès d’intention ?

              Inévitable lorsquel’on évoque Mr Bilger car, de par son style louvoyant, il ne nomme jamais directement les choses ou compense systématiquement une approbation vague par une dénégation floue..

              gAZi bORAt


            • Muadib 7 avril 2009 15:34

              Je me vois mal reprocher à quelqu’un d’avoir l’ambition d’être ministre de la Justice s’il considère qu’il en a les compétences.

              Il est vrai que je suis quelque peu étonné de la place qu’on accorde à ce livre sur Agoravox mais Dieu sait s’il y a eu pire dans le passé en terme d’opération marketing.

              Pour ma part, je me contente de lire certains de ses billets lorsqu’ils sont conseillés par Maitre Eolas, cela permet d’avoir le point de vue de l’avocat et du magistrat.





            • robert 7 avril 2009 18:00

              C’est interessant, j’aime bien Philippe mais ne manque t’il pas une question (forcément sans réponse) sur le procés de Yvan ?


              • Marcel Chapoutier Marcel Chapoutier 9 avril 2009 09:44

                On aimerait entendre parler du rôle que joue Bilger en tant que procureur général, le reste n’a que peu d’intérêt. Le fait qu’il aime Proust ou Tartempion on s’en fout totalement, il n’est pas le seul notable à essayer de jouer à l’écrivain. Qu’est ce qu’ils en disent tout les pauvres gens condamnés lourdement par les bons soins de Bilger et ses pareils ? Je vous invite tous à assister à des procès que ce soit au pénal ou aux assises peut-être que vous ne regarderez plus Bilger de la même façon du moins je l’espère.


                • Emile Mourey Emile Mourey 10 avril 2009 20:19

                  Macbeth.... Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France. Pour que cela soit un Institut privé de la justice qui fasse pression par pétition pour défendre un fonctionnaire de police à qui l’on ferait le seul reproche d’avoir publiquement dénoncé un acte de barbarie.

                  Qu’en pense M. Philippe Bilger ?


                  • Canine Canine 12 avril 2009 04:40

                    Un homme atypique dans sa profession, aux idées parfois étonnantes, à qui on reconnaitra au moins le courage de l’indépendance.


                    • chmoll chmoll 12 avril 2009 09:16

                      une question philippe, comment s’fait-il que pour la france d’en bas, des affaires graves, pour n’en prendre que 2,l’tunnel du mont blanc et l’hormone de croissance

                      doit attendre des années pour avoir un « procés » alors que si vous ètes dans l’bottin des mondains ça vas très vite,dites pas non c une réalité
                      comment s’fait-il qu’il y a des milliers de dossiers de demande en réparation contre la faucheuse ?

                      comment s’fait-il qu’une personne peut ètre placé en mandat de dépot,jugée condamnée,sur de simples convictions

                      pour finir, comment s’fait-il que 1% de la populace été placé en mandat de dépot en moins d’un an ?

                      à partir de là (perso) je ne vais pas lire un bouquin sur la faucheuse,je ne verrais que des pages blanches

                      pourkoi la faucheuse philippe, pasque des personnes on été assassinées ,violés en liberant des personnes qui étaient réputées trés dangereuse

                      des outreaux individuelles ou collectives y en a plusieurs par semaines ,selon des avocats

                      des milliers de vies detruites en demandent de réparation

                      pasque philippe en s’moment la faucheuse qui en principe protège les personnes, ben elles fait peur
                      si j’ajoute que pour la délinquance a col blanc(preque tous) pour eux la faucheuse devient une amie

                      c pourkoi je ne lirais jamais ton bouquin ni un autre qui parle de se domaine, qu’ils veulent ecrire se qu’il voudraient bien nous faire croire


                      • ARTEMIS ARTEMIS 12 avril 2009 11:25

                        Bonjour à tous bonjour Monsieur Bilger

                        je suis entièrement d’accord avec vous chantecler

                        les billets postés sur le site de Monsieur Bilger sont toujours « étonnants » de sensibilité même lorsqu’il aborde des sujets très techniques

                        un billet m’a particulièrement surprise celui dédié à Michelle Obama

                        Monsieur Bilger agit à visage découvert et pour cela je lui donne toute mon admiration


                        • fred evers 12 avril 2009 16:44

                          Philippe Bilger un petit protégé de Marianne2 désormais appuyé par Agoravox.

                          ( Le monde du monde du Web ressemble de plus en plus à celui des médias traditionnels. Les transfuges retrouvent leurs vieilles habitudes ....)

                          Quant à la sensibilité feinte de Bilger, il suffit de connaître son passé de réactionnaire bon teint pour s’en gausser !

                           :)


                        • ARTEMIS ARTEMIS 12 avril 2009 11:28

                          un petit bémol toutefois
                          Monsieur Bilger devrait répondre plus souvent à ses lecteurs
                          comme il devrait participer à cette discussion
                          cela serait plus convivial


                          • Emile Mourey Emile Mourey 12 avril 2009 12:49

                            En effet, Mais pour un fonctionnaire en activité, c’est difficile.


                          • ARTEMIS ARTEMIS 12 avril 2009 14:06

                            certains le font et c’est appréciable même avec une activité débordante
                            cela rend plus « crédible » et moins intéressée leur démarche


                          • Roche 21 avril 2009 12:06

                            pourquoi ce procès alors que personne n’a lu son livre, je ne crois pas qu’il suffise d’etre magistrat pour enlever a l’homme son intégrité intellectuelle et morale, ou même sa sensibilité ! et détrompez vous, même sur son site il répond a des questions qu’on lui pose en PV, et c’est mon cas, mainteant qu’il soit de droite, c’est son droit, qu’il soit ambitiuex idem, merde alors, il faut oblifatoirement est un nul pour se fondre dans le paysage si j’ai bien compris, mais ce monsieur cite Proust quand même, c’est pas rien quand même ! Céline j’approuve moins le personnage qui n’a rien a voir avec sa « plume » mais bon, quand a Balzac, un peu rébarbatif a lire comme Zola, mais c’est l’époque qui imposait des pavés ! aleez ciao !

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