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Une Brève Dialectique de la société humaine

Hegel est le premier à exposer les formes universelles du mouvement de façon globale et consciente. Parmi les philosophes de l'Antiquité, il y avaient aussi des dialecticiens mais ils le faisaient de façon inconsciente.

Hegel déduit de l'étude du mouvement abstrait la méthode absolue, qui non seulement explique toute chose mais qui implique encore le mouvement de la chose.

Cette méthode absolue dont Hegel parle en ces termes : la méthode est la force absolue, unique, suprême, infinie, à laquelle aucun objet ne saurait résister ; c'est la tendance de la raison à se reconnaître elle-même en toute chose.[1]

Tout objet part de lui-même mais au cours de son développement, il se met à créer de nouveaux éléments en son sein opposés aux anciens éléments. La lutte des contraires entre les éléments positifs et négatifs débouche fatalement sur la négation de la négation de l'objet = nouveau objet point de départ d'une nouvelle dialectique. 

L'élément positif de l'objet se developpe d'abord quantitativement puis arrivé à un certain stade de développement se transforme qualitavement en élément négatif. C'est alors que commence la lutte entre les éléments positifs(côté positif ou l'affirmation de l'objet) et les éléments négatifs (côté négatif ou négation de l'objet).

La lutte entre la position et la négation de l'objet continue jusqu'à ce qu'il se produit une explosion de l'objet en un nouveau objet où la position et la négation se détruisent en même temps. Cette révolution cataclysmique de l'objet après une longue évolution de lutte de contraires est sa négation de la négation.

La dialectique matérialiste chez Karl Marx

La dialectique chez Marx n'est pas seulement différente de celle de Hegel mais elle est son contraire direct. Chez Hegel, le processus de la pensée, dont il va jusqu'à faire sous le nom de l'Idée un sujet autonome, est le créateur du réel, lequel n'en constitue que la manifestation extérieure. Alors que chez Marx, à l'inverse, les idées ne sont rien d'autre que la réflexion du monde extérieur sous formes de connaissances directs (à travers les yeux, oreilles, etc.) ou scientifiques. 

Marx en disciple de Hegel ne touche pas au noyau rationnel de la dialectique de Hegel mais critique essentiellement son idéalisme. 

C'est armé de ce noyau rationnel qu'il va entreprendre la critique de la société bourgeoise avec son ami Engels dans La Sainte famille en 1845.

L'objet réel dont part Marx et Engels est la société bourgeoise composée de prolétaires et de bourgeois. Prolétaires et bourgeois sont des opposés. Ils sont tous deux des formations du monde de la propriété privée. La propriété privée en tant que propriété privée, que richesse, est forcée de perpétuer sa propre existence en même temps que celle de son opposé, le prolétariat. La propriété privée qui trouve sa satisfaction en soi-même est le côté positif de l'opposition. 

Inversement, le prolétariat en tant que prolétariat est forcé de s'abolir lui-même en même temps que son opposé, la propriété privée, qui fait de lui le prolétariat. Il est le côté négatif de l'opposition, l'inquiétude qui la hante, la propriété privée dissoute et se dissolvant. 

La classe possédante et la classe prolétaire représente la même auto-aliénation humaine. Mais dans cette auto-aliénation la première se sent à l'aise et s'y satisfait, parce que cette aliénation est sa propre puissance où elle trouve le semblant d'une existence humaine ; la seconde se sent anéantie dans cette aliénation, perçoit en elle son impuissance et la réalité de son existence inhumaine. Pour reprendre la formule de Hegel, elle est dans cette mise plus bas que terre la révolte indignée contre cette mise plus bas que terre, une révolte à quoi la pousse de toute nécessite la contradiction de son humaine nature avec sa condition de vie, négation patente, catégorique, globale de cette nature.

À l'intérieur de l'opposition le propriétaire privée est le parti conservateur, le prolétaire le parti destructeur. Du premier émane l'action qui maintient l'opposition, du second celle qui l'anéantit. 

La propriété privée s'achemine certes d'elle-même par son mouvement économique d'ensemble vers sa propre dissolution, mais elle ne le fait que par une évolution autonome, inconsciente, indépendante de son vouloir, tenant à la nature des choses, seulement en engendrant le prolétariat en tant que prolétariat, conscience misereuse de sa misère morale et physique, conscience de sa déshumanisation et par là déshumanisation se dépassant elle-même. Le prolétariat exécute la sentence que la propriété privée prononce contre elle-même en engendrant le prolétariat, tout comme il exécute la sentence que le salariat prononce contre lui-même en engendrant la richesse de l'autre et sa propre misère. Si le prolétariat emporté la victoire, cela ne fait absolument pas de lui le côté absolu de la société, car il ne l'emporte qu'en s'abolissant lui-même et son contraire. Dès lors, le prolétariat a disparu tout autant que sa condition opposée, la propriété privée. 

Dans le prolétariat pleinement développé est accomplie pratiquement l'abstraction de toute humanité, et jusqu'au semblant d'humanité ; dans les conditions d'existence du prolétariat se trouve condensées toutes les conditions d'existence de la société actuelle à son sommet d'inhumanité ; dans le prolétariat l'homme s'est perdu lui-même, mais en même temps il n'a pas simplement acquis la conscience théorique de cette perte, davantage encore : par une détresse qu'il ne peut éviter ni farder, une détresse absolument inéluctable - visage pratique de la nécessité - , il est directement contraint à la révolte contre l'inhumanité - c'est par toutes ces raisons que le prolétariat a la possibilité et l'obligation de se libérer lui-même. Mais il ne peut se libérer lui-même sans abolir ses propres conditions d'existence. Et il ne peut abolir ses propres conditions d'existence sans abolir toutes les inhumaines conditions d'existence de la société actuelle dont sa propre situation est le résumé. Ce n'est pas en vain qu'il passe par la rude mais endurcissante école du travail. La question n'est pas de savoir quel but se représente pour le moment tel ou tel prolétaire ni même le prolétariat en son entier. La question est de savoir ce qu'il est et ce qu'il sera historiquement forcé de faire conformément à cet être. Son but et son action historique lui sont d'avance tracés, de façon sensible et irrécusable, par sa propre condition d'existence comme par l'organisation entière de l'actuelle société bourgeoise. 

Les limites de la dialectique chez Marx 

Pour comprendre les limites de la dialectique chez Marx, il faut considérer deux choses : 

1° La définition des côtés positif conservateur et négatif destructeur de la société bourgeoise et par conséquent aussi de la propriété privée. 

2° Nous avons vu que chez Hegel, la position et la négation sont en lutte jusqu'à la négation de la négation. Mais ni Hegel ni Marx ne précise quand se produit la négation de la négation. 

À l'époque de Marx, peut être les conditions de vie de la classe salariée devaient être fort misérables et précaires pour qu'il ne puisse pas distinguer le côté positif et le côté négatif de la propriété privée moderne. Mais Alexis de Tocqueville l'a fait[2]. Chez Tocqueville, il y a une distinction nette entre le capitalisme-salariat et les chômeurs qu'il appelle "indigent" , "pauvre" et les classe parmi ceux qui vivent de la charité publique ( Et oui le RSA du chômeur existait en Angleterre depuis au moins la première moitié du XIXe siècle ).

Aujourd'hui qui veut être au RSA ? Aucun homme raisonnable. Qui veut être au chômage subi, même partiel ? Aucun homme sensé. Voilà le côté négatif de la société bourgeoise."Il est le côté négatif de l'opposition, l'inquiétude qui hante la société bourgeoise, la propriété privée dissoute et se dissolvant."

Aujourd'hui quel est le parti politique qui ne rêve pas du plein emploi ? D'ailleurs n'appelle t-on pas les millions de chômeurs permanents des "demandeurs d'emplois" , des "privés d'emplois" ? L'emploi salarié est aujourd'hui la base de la réussite sociale au point que les Bill Gates et Bernard Harnault, etc. n'apparaissent que comme des exceptions qui confirment la règle de la société salariale généralisée. Elle est la propriété privée qui trouve la satisfaction en soi-même. Le capitalisme-salariat est donc le côté positif de l'opposition. 

Nous avons donc trouvé les deux côtés positif et négatif de la propriété privée moderne d'un côté le capitalisme-salariat conservateur cherchant à se perpétuer éternellement et de l'autre le côté négatif destructeur le chômage expression matérielle du capitalisme-salariat dissout(chômeur pur de catégorie "A") ou se dissolvant (précarité = la large majorité des emplois créés aujourd'hui que certains médias appellent "l'embelie" de l'emploi)

La Lutte entre ces deux contraires est la lutte des superclasses . À l'intérieur de la superclasse capitaliste-salariale se déroule une lutte de classes entre capitalistes et salariés, entre syndicats et patrons sans remettre en cause le capitalisme-salariat. 

Ni dans la dialectique de Hegel ni dans celle de Marx, on ne sait quand a lieu la négation de la négation. Ici seule l'expérience historique peut résoudre ce problème.

En effet on découvre dans l'Histoire qu' à chaque fois, la négation doit toujours être quantitativement supérieur à la position pour qu'il ait négation de la négation. 

La superclasse féodale issue de la dissolution de la superclasse esclavagiste n'a pu réaliser la révolution féodale que lorsqu'elle était devenu majoritaire dans la population active. De même à la fin du moyen âge, la superclasse bourgeoise n'a pu renverser l'Etat féodal qu'après la transformation de la majorité de la population en petits ou grands bourgeois.

Pareil pour le communisme qui ne s'est réaliser nulle part (voir mon article sur Agoravox : Un siècle de trou noir sur la nature de l'URSS) parce que partout les chômeurs ont jusqu'ici été historiquement minoritaires. 

Mais la logique économique interne du capitalisme-salariat transformera inévitablement les chômeurs en majorité de la population au cours de ce siècle à travers notamment la baisse du taux de croissance sur le long terme. Ce n'est qu'à partir de ce moment que le communisme sera humainement possible. 

Donc la société humaine se meut d'après une logique suprême impitoyable. Cette loi est elle-même la somme de toutes les libertés individuelles. Elle est le résultat d'une lutte acharnée entre les différents partis politiques que compose ou composera la société dont le stade ultime est la violence forme sociale de l'explosion comme un supernova qui libère, dans son cataclysme final, les éléments lourds d'un nouveau système stellaire. 

 

Notes

[1] : Karl Marx, Écrits philosophiques, Champs classiques, p 193.

[2] : Alexis de Tocqueville, Mémoires sur le paupérisme 1835.

Documents joints à cet article

Une Brève Dialectique de la société humaine

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3 réactions à cet article    


  • Sozenz 28 décembre 2019 13:55

    Hegel est le premier à exposer les formes universelles du mouvement de façon globale et consciente.

    avant hegel tous les autres etaient un peu cretins et avançaient sans trop savoir pourquoi ils foutaient leurs pieds sur un certain terrain . la vache ; heureusement que hegel était là ...

    quand on voit l histoire de l humanité on pourrait se dire que ça ne monte pas vite au cerveau .

    sinon , pour vous ça se passe comment ?


    • Claude Courty Claudec 28 décembre 2019 19:34

      Marx et Hegel, comme bien d’autres avant et après eux, ont simplement négligé les fondamentaux de la condition humaine et le fait que notre structure sociale est pyramidale, comme celle de toute organisation fondée sur l’altérité et l’interdépendance de ses membres, et que richesse et pauvreté existent l’une par l’autre, irrémédiablement.

      Invitation à lire : “Un autre Marx”

      https://pyramidologiesociale.blogspot.com/2018/05/un-autre-marx.html

      et “Questions d’actualité, au marxistes et crypto marxistes”

      https://pyramidologiesociale.blogspot.com/2019/12/questions-aux-marxistes-et-crypto.html 


      • Clark Kent Séraphin Lampion 30 décembre 2019 08:41

        Chez les philosophes de l’antiquité, la dialectique était une pratique de dialogue entre interlocuteurs de bonne foi mais soutenant des points de vue différents et recherchant un consensus, contrairement à la rhétorique qui est un monologue et cherche à convaincre plutôt qu’à approfondir des connaissances. Les érudits du Moyen Âge y avait recours comme technique de raisonnement, par la mise en parallèle d’une thèse et de son antithèse, et qui tente de dépasser la contradiction qui en résulte par une synthèse, le « plan dialectique » formalisé par Fichte, et que tous les élèves faisant leurs « humanités » apprenaient à utiliser.

        Pour Hegel, la dialectique devient non plus une méthode de raisonnement, mais le mouvement de l’esprit dans sa relation à l’être, une sorte de « loi de la nature », moteur interne qui gère les phénomènes par négation et réconciliation, et régit le monde des idées, un « idéalisme ». Cette conception dérivée du sens premier de ce qu’était la dialectique pour les anciens a été reprise par Marx, émule de Hegel, mais concerne le mouvement de la matière : il fait des contradictions socio-économiques le moteur de l’histoire.

        Feuerbach, Marx, l’École de Francfort, Sartre et André Breton ont à leur tour donné leur version de la dialectique, et cet article tente de mettre son grain de sel dans cette vieille tradition.

        Il n’y a rien d’inconscient là-dedans et Hegel n’a rien inventé. Il a utilisé un outil très ancien dans des champs intellectuels indisponible dans l’antiquité dont le développement technologique et les structures sociales étaient différentes de celles de la société allemande du dix-huitième siècle.

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