Des « gogues » aux « goguettes »
En cette nouvelle période de confinement, peut-être aurons-nous le plaisir d’entendre à nouveau Les Goguettes, ce sympathique groupe « en trio mais à quatre » dont les parodies ont réjoui tant de nos compatriotes assignés à résidence au printemps pour cause de Covid-19. Mais d’où vient ce nom : « goguettes » ?
Comme ses membres se plaisent à le rappeler, Les Goguettes sont un « trio mais à quatre ». Formé il y a 6 ans, le groupe est composé de Clémence, Stan, Aurélien et Valentin. Tous se nourrissent de l’actualité pour alimenter, de manière satirique, leur créativité décapante dans la tradition des chansonniers que l’on prenait plaisir à aller écouter naguère dans les caveaux parisiens : le Caveau de la République, le Théâtre des Deux-Ânes, le Théâtre de Dix heures. Peu connus avant le confinement du printemps, Les Goguettes se sont, durant cette période difficile, taillé un vif succès avec quelques parodies. Notamment avec ces deux titres en rapport avec la situation sanitaire : T’as voulu voir l’salon (sur l’air de Vesoul, de Jacques Brel) et Le battement d’ailes du Pangolin (sur l’air du Youki, de Richard Gotainer). Cela dit, le répertoire des Goguettes n’est pas centré uniquement sur la crise sanitaire. Au plan politique, ces quatre insolents ont également fait un tabac avec des titres comme le désopilant Bygmalion ou bien encore Merci Macron ! sur la musique empruntée aux Charlots. En cette période de reconfinement, il s’agit là de friandises musicales à consommer sans modération.
Curieux nom, Les Goguettes ! Depuis que ce groupe voit sa notoriété essaimer dans le pays, nombre d’entre nous se sont posé la question : d’où vient ce nom qui sonne comme une provocation ? Aussi surprenant que cela paraisse, il faut remonter très loin pour en trouver l’origine. Dès le 13e siècle, le mot « gogue » désignait la liesse, la réjouissance. Le mot a traversé les siècles pour nommer un endroit dédié à la fête : « aller au gogues » est, dès le 16e siècle, devenu synonyme, non pas de se rendre dans un édicule d’aisance comme pourraient le penser les mauvais esprits contemporains, mais d’aller s’amuser dans un lieu où l’on chantait en sacrifiant le plus souvent au culte de Bacchus.
C’est évidemment de là qu’est née l’expression « partir en goguette », autrement dit s’en aller « faire la fête » ou, plus rarement, « perdre le contrôle de soi ». Quelque peu différente, l’expression « être en goguette » s’apparente plus à « s’arsouiller » qu’à se détendre dans un cabaret. Et pour peu que l’ambiance ait été débridée, ce qui était tout particulièrement le cas lors des périodes de carnaval, l’on pouvait se livrer à des débordements sans fin, bref boire et chanter « à gogo », cette expression étant peut-être née d’un problème d’élocution avinée. À noter que, parmi les amateurs des goguettes – ceux que l’on nommait les « goguettiers » –, figuraient souvent des gens à la trogne réjouie ; peu à peu, l’on a qualifié ces derniers de « goguenards », ce dernier mot étant, contrairement au précédent, resté dans le langage populaire.
Une société bachique et chantante
Il pouvait arriver que la liesse prenne un tour satirique visant une personnalité en vue. « Chanter goguette » à quelqu’un n’était alors plaisant que pour le chanteur et son public, moins pour la cible choisie qui était moquée, brocardée, raillée en musique, souvent dans une ambiance de franche gaîté. Cette tradition s’est progressivement installée, à côté d’une autre tradition, plus égrillarde, dans des cabarets qui, tout naturellement, ont pris, dès le 18e siècle, le nom de « goguettes ». Au cours du 19e siècle, on en a compté des milliers en France, et plusieurs centaines de ces goguettes ont perduré durant la Belle époque avant de disparaître. Leur nom lui-même a été très largement oublié.
Leur nom, mais pas les fonctions satirique et égrillarde qui se sont développées dans les caveaux de chansonniers en s’inscrivant très librement dans la lignée du premier d’entre eux. Né en 1729 et simplement dénommé Le Caveau, celui-ci était niché dans une salle basse dépourvue de fenêtres du restaurant Landel, situé à l’actuel n°4 de la rue de Buci à Paris. Deux fois par mois, les membres de la Société du Caveau, s’y réussissaient pour boire et chanter. Fondée par le sieur Pierre Gallet, dramaturge et… goguettier, cette « société bachique et chantante » lui a, dit-on, été inspirée par les exemples lointains de Rabelais et d’Anacréon. On retrouvait là quelques beaux esprits de l’époque friands d’épigrammes, au nombre desquels ont notamment figuré les hommes de lettres Caylus, Crébillon, Piron, et même le compositeur Rameau. Considéré comme le pionnier du genre, Le Caveau n’avait, il est vrai, que peu de rapports avec ses descendants plus populaires.
De nos jours, le mot goguette revient timidement dans le vocabulaire de notre société. Il ne désigne toutefois plus les rassemblements festifs et les cabarets d’autrefois dans son acception moderne, mais la création parodique et irrévérencieuse d’un chansonnier. C’est d’ailleurs très exactement cet esprit-là qui anime Les Goguettes, ce « trio mais à quatre » qui s’est constitué lors d’une soirée au Limonaire, un « bistrot à vins et à chansons » de la Cité Bergère où se pratiquait précisément l’art de la goguette avant – hélas ! – que la propriétaire du lieu ne mette fin au bail. Gageons que la notoriété croissante du quatuor contribuera à rendre à nouveau populaire, non seulement le mot, mais aussi l’exercice de la chanson parodique à contenu satirique. Longue vie à la goguette !
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