Souriez, EDVIGE vous fiche
Dés le XVIII ème siècle, l’idée de ficher une partie de la population avait vu le jour sous la forme des papiers destinés à la surveillance des vagabonds (véritables figures de la dangerosité en ces temps là) puis élargi aux artisans. Suit sous Napoléon la mise en place en 1803 du livret ouvrier, véritable outil destiné au contrôle des déplacements de la population ouvrière, ceux qui ne s’y soumettaient pas étaient considérés comme vagabonds, donc relevant de la justice pénale. Depuis, cette pratique du fichage n’a fait que se perpétuer, en proliférant considérablement au cours des deux siècles suivants, pour arriver aujourd’hui à une situation qui empiète largement sur les libertés individuelles de tous les citoyens. Dernière création en date, le fichier EDVIGE, charmant acronyme qui désigne pourtant un outil redoutable au service du contrôle de la population.
Par décret publié au journal officiel du 1er juillet 2008 (sous la pression de la CNIL, sinon il n’aurait fait l’objet d’aucune publication), le gouvernement a créé le nouveau fichier EDVIGE, pour exploitation documentaire et valorisation de l’information générale. Sa dénomination pose déjà l’étendue particulièrement vaste de ses objectifs forcément liberticides. En effet, comment ne pas voir dans cette appellation la volonté d’élargir au maximum le filet du fichage en France, d’autant que la limite d’âge des personnes potentiellement fichables est désormais de 13 ans. C’est d’ailleurs ce point précis qui à provoqué une levée de boucliers, notamment des professionnels de la justice et de l’enfance.
Mais regardons de plus prêt les termes de ce décret qui dans son article premier définit clairement les raisons pour lesquelles un individu pourra faire l’objet d’une fiche, trois situations sont ainsi envisagées :
1. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif, sous condition que ces informations soient nécessaires au Gouvernement ou à ses représentants pour l’exercice de leurs responsabilités ;
2. De centraliser et d’analyser les informations relatives aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ;
3. De permettre aux services de police d’exécuter les enquêtes administratives qui leur sont confiées en vertu des lois et règlements, pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales intéressées est compatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées.
Ceci en vue de tenir informé le gouvernement et les représentants de l’Etat dans les départements et les collectivités locales, bien évidemment consultable par nombre de fonctionnaires (article 3).
Quant à l’article 2 du texte, il précise la nature des informations qui pourront être enregistrées concernant les personnes physique de treize ans et plus, le pouvoir exécutif s’étant aussi montré très prodigue en cette matière, jugez-en :
Informations ayant trait à l’état civil et à la profession ; adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques ; signes physiques particuliers et objectifs, photographies et comportement ; titres d’identité ; immatriculation des véhicules ; informations fiscales et patrimoniales ; déplacements et antécédents judiciaires ; motif de l’enregistrement des données ; données relatives à l’environnement de la personne, notamment à celles entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec elle.
Soit une somme d’informations considérables, qui franchissent allègrement la frontière des libertés individuelles, d’autant que l’enregistrement de ces données n’a aucune limite dans le temps. Chacun jugera ici combien notre démocratie sait se faire intrusive en faisant fi de quelques grands principes imposés par notre droit, notamment, la liberté d’expression et d’action. Rappelons en effet qu’il ne s’agit pas ici de ficher des personnes qui auraient fait l’objet d’une quelconque condamnation ou même d’une interpellation, non il s’agit de tout citoyen qui aura été ciblé par une autorité administrative ou policière en raison de ses activités, qu’elles fûssent délinquancielles ou non. De fait, c’est aussi le délit d’opinion, tout autant que la dangerosité en puissance des jeunes qui sont ici visés. C’est cela qui a été pointé tant par la CNIL que par le Conseil de l’Europe, mais encore par de nombreuses associations [1]. Tous dénonçant l’existence de ce fichier, notamment en ce qu’il transgresse un principe fondamental posé par la loi informatique et liberté posé dans son Chapitre II, Section 2. Article 8 :
« Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. » La règle est donc sans ambiguïté, mais que néni, le pouvoir exécutif doit l’interpréter à sa manière, puisqu’il permet à la toute nouvelle agence de renseignements, la Direction centrale du renseignement intérieur (qui fusionne la DST et les Renseignements généraux), de collecter sur les individus des informations sensibles en portant atteinte aux libertés individuelles.
Pour autant, il ne faudra pas compter sur la CNIL, dont les pouvoirs contraignants sont inexistants, ni sur le Conseil d’Etat pour remettre en cause la validité de ce nouveau fichier, à moins qu’un recours pour excès de pouvoir n’aboutisse, ce dont nous pouvons douter.
Alors c’est sur les citoyens qu’il faut compter, rassemblés autour des associations militantes ou bien en collectifs divers, chacun devant prendre ses responsabilités et ne pas se laisser emprisonner dehors, chaque jour un peu plus, au prétexte d’une quelconque notion de sécurité qui se transforme de fait en insécurité citoyenne.
En effet, rappelons-nous le nombre de fichiers déjà existants [2], dont certains peuvent être légitimes, si parfaitement encadrés, dans le cadre de la lutte contre quelques franges très restreintes de populations potentiellement dangereuses [3] et ayant déjà commis de véritables passages à l’acte. Mais EDVIGE est le fichier qui risque de faire déborder le vase des atteintes aux libertés fondamentales garanties par nos textes les plus essentiels, au premier rang desquels notre constitution et son préambule qui intègre la déclaration universelle des droits de l’homme. Enfin, n’est on pas en droit de penser qu’une démocratie se jugera désormais à l’aune du nombre de fichiers qu’elle peut mettre en place pour contrôler sa population ?
[1] Les voix qui se sont élevées contre le fichier EDVIGE
[2] Rappel des principaux fichiers existant :
- Fichier national des empreintes digitales (FNAED)
- Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)
- Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infraction sexuelle (FIJAIS)
- Le système judiciaire de documentation et d’exploitation (JUDEX), gendarmerie nationale
- Le système de triatement des infractions constatées (STIC), police nationale
- Système d’analyse des liens de la violence associé aux crime (SALVAC)
- Fichier ELOI pour les personnes en situation irrégulière
- Le système d’information Shengen (SIS)
- Base-élèves
Et, si la liste n’est pas exhaustive, elle donne toutefois une idée de l’ampleur du maillage étroit de la population, auquel se surajoute le développement inquiétant de la vidéo surveillance. 1984 n’est plus un mythe romanesque, mais une réalité qui a envahie notre quotidien, subrepticement, « à l’insu de notre plein gré ! ».
[3] Nous entendons ici les infracteurs multirécidivistes particulièrement dangereux pour la société ayant commis des atteintes graves aux personnes.
Image : Infographie, Le Monde
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