Pendant ce temps là, à Cuba…
Depuis un an, les plages sont désertes à Cuba, mais l’histoire semble avoir repris son mouvement.
L’absence de touristes pour cause de virus en 2020 (baisse de - 75 % à - 90 % selon les sources - par rapport à 2019) ajoutée à la surenchère des sanctions d’un Trump en campagne électorale ont déclenché une crise catastrophique, en passe de rejoindre celle qui a suivi la fin du soutien soviétique.
Habitué du bricolage, le gouvernement cubain a dû sortir de nombreuses fois la boîte à outils pour éviter la panne terminale.
Au cours des derniers mois, de nombreux changements ont été opérés et commence à se dessiner le visage du nouveau système économique cubain. Pour faire simple, il s’agit d’une société dont le moteur économique est une « consommation financée de l’extérieur ».
En clair, cela signifie que pour acquérir certains biens et services, les cubains sont obligés de payer en devises étrangères. Ce mouvement amorcé depuis des années portait au début sur des crédits téléphoniques, payés par les cubains exilés souhaitant rester en contact avec leurs familles. Progressivement, ce mode de paiement s’est étendu à d’autres catégories de produits, comme les équipements électroménagers.
La grande nouveauté, apparue fin 2020 est l’extension du paiement en « MLC » (Monnaie Librement Convertible) aux produits alimentaires. On annonce que cela sera aussi bientôt possible pour le gaz ou l’électricité…
Le problème est que ces « monnaies librement convertibles » ne sont pas celles qu’utilise le principal employeur du pays, l’état, pour payer ses salariés. Pour limiter les détournements, le paiement se fait exclusivement par carte de crédit, le compte étant crédité par virement de l’étranger ou versement de cash. La monnaie nationale, le peso cubain, donne accès à un nombre de produits chaque semaine plus réduit, ainsi le très populaire rhum Havana Club « añejo blanco » a quitté les rayons des boutiques en pesos pour passer dans ceux des boutiques « dollarisées ».
Pour résumer, il appartient désormais au peuple de faire rentrer l’argent dans le pays.
Dans un pays très largement agricole, on pourrait supposer que la production nationale permet de nourrir la population. Ce n’est malheureusement pas le cas, la part de l’importation dans les produits alimentaires représente 80 % des besoins du pays.
Depuis mai 2020, le journal télévisé de 20 h donne à voir presque chaque soir des "abus manifestes" des "tentatives d'enrichissement personnel" dans le secteur agricole, et montre des saisies, d'oignons, de patates, de fromages...Les paysans ont le choix entre vendre aux prix dérisoires fixés par l'état ou vendre par des réseaux parallèles, en gros, le choix entre ne rien gagner et risquer de tout perdre. Résultat, on ne trouve à peu près plus rien sur les marchés.
Facteur aggravant, l’état exporte massivement les quelques productions vendables sur le marché international… ainsi, on ne voit plus un seul citron sur les marchés, le café destiné à la consommation intérieure est coupé, le cours du sucre remonte, mais la production est depuis quelques années à son plus bas niveau historique…
A la date du 1er janvier 2021 il était mis fin à un système de double monnaie particulièrement absurde, puisqu’il comptait trois taux de changes simultanés et très différents selon le statut du demandeur. Certaines entreprises d’état pouvaient changer un peso cubain contre un dollar US, alors que le citoyen de base devait réunir 24 pesos pour obtenir le même dollar.
Ce changement s’est accompagné de très fortes hausses de prix dans tous les domaines, la facture d’électricité voit son montant multiplié par 3 à 5 fois (les plus gros consommateurs ayant droit à la plus forte augmentation). En contrepartie, les salaires ont été doublés, ce qui revient à dire qu’il y a eu une dévaluation qui touche davantage les salaires que les prix.
Le taux de change sur le marché parallèle est environ le double du taux officiel (qui reste théorique, les banques et bureaux de change n’ayant jamais de devises disponibles pour effectuer l’opération). Donc, si on veut acheter une bouteille de rhum qui valait 100 pesos cubains en 2020 (soit 4 dollars au taux de l’an dernier), il faut désormais débourser 400 de ces mêmes pesos pour obtenir les 8 dollars nécessaires à son achat en 2021.
L’état reste tolérant avec les changeurs qui agissent assez ouvertement avec des annonces sur internet. Il ne sont pour lui qu’un phénomène passager, son objectif étant la dématérialisation généralisée de la monnaie. Autre phénomène, les transactions entre particuliers pour les gros achats (maison, voiture) se font le plus souvent par virements à l’étranger entre la famille de l’acheteur et celle du vendeur.
Un tournant vers le développement du secteur privé ?
Le mois dernier, il a été annoncé l’ouverture aux particuliers de nombreux secteurs d’activités qui étaient jusqu’alors réservés à l’état. Cela ressemble davantage à une tentative de plus pour faire rentrer des devises qu’à une vraie ouverture de l’économie à l’initiative individuelle. D’ailleurs, toute activité d’importation reste gérée par l’état. L’objectif des « réformes » étant, comme dans de nombreux pays, d’assurer le maintien des revenus de ceux qui contrôlent la société.
Les dirigeants sont favorables à l’entreprise individuelle quand elle permet de pallier à leurs propres insuffisances. Le cas du logement chez l’habitant est exemplaire de cette attitude. Quand il a fallu développer le tourisme, le pays n’avait pas la capacité hôtelière suffisante pour faire face à un afflux de vacanciers. Des mesures favorisant le développement de l’hébergement chez l’habitant, baisse des taxes et simplification des formalités, ont entrainé un essor massif du secteur.
En quelques années, le nombre de touristes a doublé, et en 2019, grosse marche arrière, avec une hausse considérable des impôts et un durcissement des contrôles pour ces casas particulares… rendant hypothétique un revenu décent. Et, cela coïncidait avec l’ouverture de nombreux hôtels, dont la plupart ont été construits par Bouygues. En 2017, nos bâtisseurs affirmaient mener une quarantaine de chantiers majeurs dans le pays.
On m’a rapporté une conversation entre un dirigeant militaire cubain de l’entreprise de l’armée, qui possède l’essentiel des hôtels de l’île, et un responsable de Bouygues. Le gradé confirmait que les casas particulares avaient constitué une étape dans l’augmentation du tourisme, mais qu’il s’agissait maintenant de tourner la page et d’attirer la clientèle vers les hôtels.
En clair, merci le peuple, et maintenant… à nous les dollars !
La petite caste qui dirige l’île ne s’exprime jamais ouvertement sur quoi que ce soit… à l’exception des héritiers Castro, dont l’un deux a beaucoup fait parler de lui ces dernières semaines. Il s’agit d’un petit fils de Fidel, Sandro Castro, en février 2021, il a mis sur son compte twitter une video où on le voit conduire une jolie Mercedes à 140 kmh en émettant quelques commentaires passablement arrogants. Entre autres « J’avais ce petit jouet à la maison, il faut bien le sortir ».
Devant les réactions indignées, il a été obligé de diffuser peu après une video d’excuses…
Le peuple cubain commence à réagir
« Ah ! la faim ! la faim ! ce mot-là, ou plutôt cette chose-là, a fait les révolutions ; elle en fera bien d'autres ! » disait Gustave Flaubert
Les pénuries font partie intégrante de la vie à Cuba, mais en 2020, elles sont devenues omniprésentes et les réactions critiques des cubains s’expriment de plus en plus ouvertement en dehors des maisons. A la Havane, cela a donné jour au mouvement San Isidro, à une manifestation d’artistes devant le ministère de la culture le 26 novembre, à Santiago de Cuba, un mouvement (l’’Unpacu - Union patriotique de Cuba) revendique publiquement un changement de régime depuis des années… Ces activistes ne se découragent pas, malgré de nombreux séjours en prison ils continuent de demander du pain et de la liberté.
Dans le reste du pays, majoritairement rural, la communication gouvernementale attribuant l’essentiel des problèmes à « l’embargo injuste et criminel » suscite une bien plus grande adhésion.
Patria y vida : la chanson qui détourne le slogan n°1 de la révolution cubaine.
Début février, des musiciens cubains connus pour des succès planétaires ont sorti une chanson intitulée « Patria y Vida » (la patrie et la vie), un titre qui fait directement référence au « Patria o Muerte » (la patrie ou la mort) que Fidel utilisait presque toujours en point final de ses discours. Cette formule fait elle même écho à une phrase de l’hymne national composé en 1868, la Bayamesa : « morir por la patria es vivir » (mourir pour la patrie, c’est vivre).
Le succès immédiat de ce morceau tient à son titre mais surtout à son discours qui annonce que « c’est fini, nous n’avons plus peur, arrêtez les mensonges… ». Les interprètes sont le duo Gente de Zona, Yotuel Romero (du groupe Orishas), Descemer Bueno, des artistes reconnus qui ont enregistré à Miami, ainsi que deux rappeurs issus du mouvement San Isidro, Maikel Osorbo et El Funky, qui eux vivent toujours à la Havane.
Quatre jours après la mise en ligne, le titre atteignait déjà le million de vues sur la seule plateforme Youtube et le gouvernement lançait la contre attaque, consacrant une bonne partie du journal télévisé à la critique de cette chanson « annexioniste » et « antipatriotique » financée par l’impérialisme.
Le président lui-même, Diaz-Canel a tweeté pour condamner la chanson. Puis, suivait la sortie d’une chanson vite faite mal faite au titre de « patria o muerte por la vida », diffusée à haute fréquence par la télévision. Elle n’a fait que rappeler le titre dissident, de la même manière que les innombrables « Patria o Muerte » qui jalonnent les rues et les routes du pays.
Et le covid 19 dans tout ça ?
L’un des seuls succès de l’état cubain réside dans sa réaction face au virus. La gestion de la crise est confiée à des médecins et les décisions « politiques » sont prises au niveau local dans chacune des 15 provinces. Depuis les premiers jours, les directives sont claires et les méthodes montrent une vraie stratégie pour l’éradication de ce micro organisme. A l’heure actuelle, il y a une hausse des contaminations, due à l’entrée dans le pays de cubains de l’étranger lors des fêtes de fin d’année.
Ici, on a droit tous les matins à un coup de sonnette d’étudiants en médecine qui passent voir si tout va bien. Les arrivants dans le pays sont testés systématiquement, lors de leur arrivée et une semaine plus tard. Tout n’est pas merveilleux, les queues devant les magasins d’alimentation respectent rarement les « distances de sécurité » . A l’heure actuelle, certains quartiers de la Havane sont encore totalement fermés avec des barrages policiers empêchant tout déplacement.
Cuba est aussi en passe de réussir ce que même la France n'a pas su faire. D’ici quelques semaines le vaccin conçu et produit localement, « Soberana Dos", aura été testé à grande échelle et ses premiers résultats seront évalués. Le gouvernement mise beaucoup sur les chercheurs et l’engagement du corps médical pour garder un peu de crédibilité.
Mais pour rétablir la confiance, il faudra qu'il trouve le moyen de garnir les rayons des magasins et les étals des marchés. En ce moment, la situation alimentaire se dégrade un peu plus chaque semaine.
Pour la première fois depuis 60 ans, les cubains se mettent à penser qu'ils vont bientôt assister à la fin de ce régime qui ne parvient plus à assurer le minimum vital aux citoyens.
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