L’étonnant capharnaüm de l’écrivain Henri Pollès
Cet auteur breton fait partie des écrivains méconnus dont l’œuvre mériterait une plus grande reconnaissance. Henri Pollès n’est en effet ancré dans le patrimoine culturel que d’une manière confidentielle au plan littéraire. Force est même de constater que son nom est désormais plus lié à l’extraordinaire capharnaüm de son habitation qu’à ses qualités de romancier et d’essayiste...
Avant de bénéficier après-guerre d’une incontestable notoriété dans les milieux littéraires qui lui a valu à trois reprises (1945, 1963 et 1964) de voir l’un de ses livres sélectionné pour le Prix Goncourt, Henri Pollès s’était déjà fait remarquer comme un auteur de talent dès les années 30. Et ce n’est pas un hasard si, en 1933, il a été récompensé par le Prix du roman populiste* pour son livre Sophie de Tréguier dont l’action se situe dans sa ville natale où a également vu le jour Ernest Renan. Un succès dont on mesure mieux la valeur lorsqu’on sait qu’il a été acquis au détriment de Louis-Ferdinand Céline, finaliste malheureux avec son célèbre Voyage au bout de la nuit.
Né le 13 juillet 1909 dans une famille du Trégor où l’on parlait le breton, Henri Pollès était le fis d’Eugénie Rosalie Lalauze et de Charles Pollès, capitaine au long cours. Très tôt, le jeune Pollès manifeste un goût marqué pour la poésie et, plus surprenant, pour les collections en tous genres. Après avoir réussi son bac à Rennes, il part pour Paris afin d’y suivre une formation de philosophie qu’il n’achève pas. Faute de pouvoir vivre de sa seule plume d’écrivain, Henri Pollès devient journaliste et collabore notamment – de 1933 à 1936 – à Giustizia e Libertà, un mouvement politique antifasciste créé à Paris en 1929 par des exilés italiens. L’opéra politique, son pamphlet contre le fascisme, illustre en 1937 un engagement déjà remarqué auparavant par un reportage sur la Guerre civile d’Espagne.
Curieusement, Henri Pollès rejoint durant l’Occupation Yann Fouéré, le fondateur controversé du journal La Bretagne, un organe de presse régionaliste ouvertement pétainiste et collaborationniste. La guerre terminée, il se remet à l’écriture littéraire sans connaître le succès auquel il aspire. Au point qu’il publie en 1956 un roman intitulé Journal d’un raté, lui qui, trois ans plus tôt, avait pourtant publié Journal d’un homme heureux. « Raté », Henri Pollès l’est d’autant moins aux yeux de l’intelligentsia littéraire que ses livres Amour, ma douce mort (1963) et Le fils de l’auteur (1964) lui valent, à deux nouvelles reprises, de faire partie de la sélection du Prix Goncourt après un premier échec en 1945 pour Toute la guerre se fait la nuit.
Quelques années et quatre nouveaux romans plus tard, Henri Pollès, en quête de revenus plus solides et plus que jamais passionné de bibliophilie, délaisse la littérature pour se lancer dans une carrière de courtier en livres. Une carrière pour laquelle il était prédestiné, eu égard à son goût marqué pour les collections, tout particulièrement pour les reliures de livres auxquelles il voue un véritable culte. Dès lors, Henri Pollès achète, vend, et garde pour lui-même, des milliers d’ouvrages qui, au fil des ans, constituent l’une des plus originales collections privées qui se puisse voir.
Une collection qui, faute de place suffisante dans sa maison de Brunoy (Essonne), occupe peu à peu, non seulement les différentes pièces de son habitation, mais également les dégagements et l’escalier qui mène à l’étage ! Henri Le Bellec, professeur de lettres et ami d’Henri Pollès, décrivait ainsi cette étonnante habitation au quotidien Ouest-France en 2012 : « D'abord, il y a la profusion. Elle est partout : de la cave aux combles, de la cuisine aux chambres, en passant par la salle de bains et même les toilettes. Quant à l'escalier, il n'est plus qu'un étroit boyau entre deux murailles de livres. Trente, quarante, cinquante mille volumes – l'auteur le sait-il lui-même ? – se bousculent ainsi et s'entassent, s'accumulent et s'empilent à travers la dizaine de pièces que comporte la maison. Les objets les plus divers voisinent avec les livres : au hasard d'une pièce, on découvre des portraits ou des tableaux ; plus loin, des originaux introuvables de George Sand ; encore plus loin, une édition datée de 1811 des lettres de Mme de Sévigné ou le miroir de Sarah Bernhardt. »
Le vendredi 30 septembre 1994, Henri Pollès – âgé de 85 ans – décède dans l’incendie de sa maison. Nombre de livres et d’objets appartenant à l’écrivain disparaissent dans les flammes. À ce drame humain aurait pu s’ajouter un désastre culturel si Henri Pollès n’avait, en 1985, fait un pied de nez au destin tragique qui allait marquer la fin de son existence. Cette année-là, l’écrivain avait en effet légué à la ville de Rennes l’essentiel de ses collections, soit environ 30 000 livres et de nombreux objets hétéroclites qu’il avait collectés au fil des années en se fiant à ses coups de cœur.
Ce sont ces livres et ces objets qui sont visibles dans l’étonnant Musée Henri Pollès, accessible gratuitement au 6e étage de la superbe médiathèque rennaise Les Champs Libres**. Inauguré le samedi 16 septembre 2006, ce musée dédié à l’écrivain trégorrois consiste en une reconstitution très fidèle – les photos de la maison de Brunoy en attestent – de quelques-unes des pièces les plus emblématiques du surprenant « capharnaüm », constitué de livres, de revues et d’objets de brocante, dans lequel vivait Henri Pollès. Assurément, l’un des lieux les plus insolites de la métropole bretonne.
Vidéo « Une journée chez Henri Pollès »
* Depuis 2012, ce prix littéraire se nomme Prix Eugène-Dabit du roman populiste en hommage à son premier lauréat (1931).
** Les Champs Libres est un remarquable espace culturel de 23 000 m² signé Christian de Portzamparc, l’architecte à qui l’on doit également la Cité de la Musique de Paris. Les Champs Libres comportent une médiathèque de 700 000 documents, un espace des Sciences doté d’un planétarium, un centre de ressources, le Musée de Bretagne, le Musée Henri Pollès, des espaces d’exposition temporaire, un auditorium de 450 places, et, pour se détendre, un vaste café.
Photos : Fergus
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