Réforme des rythmes : comment finir de couler une école déjà bien plombée
Un embrouillamini, un pataquès entre un décret, une loi et une circulaire qui prévaudrait, tandis que des dispositions non législatives viendraient compléter ! Qu'en disent les juristes ? Un chambardement lamentable de la part de Peillon, le seul ministre jusque là au-dessus de la mêlée, pourtant lui aussi dans la vacuité et les tergiversations. Qu'en pensent les citoyens sinon que la centralisation jacobine du gouvernement s'exacerbe pour refuser la réalité et enfoncer la pays ? Un état des lieux encore plus flagrant outre-mer, à Mayotte.

Si l’école à Mayotte surnage par endroits malgré, en premier lieu, l’impéritie de l’État et des pouvoirs décentralisés, sinon des deux (manque d’implication, établissements ne respectant pas les normes sanitaires, sécuritaires, constructions illégales, etc.), les quelques signes positifs permettant d’espérer en l’avenir vont être vite balayés par une réforme Peillon aussi bornée qu’insidieuse, portée par des fonctionnaires dont le zèle se limite à faire appliquer sans discuter ce que Paris a décidé... Ce n’est pas sur eux qu’il faut compter pour une quelconque adaptation.
Si le projet ne revenait que sur la calamiteuse journée de quatre jours, nous pourrions croire en une volonté réformatrice vertueuse. Malheureusement, l’argument toujours martelé par le ministre n’en appelant qu’à l’héritage imputable à la droite pourrait dissimuler des dessous déloyaux. Et si les citoyens avaient l’habitude de sourire des réformettes, ce n’est pas pour autant qu’ils vont s’enthousiasmer pour une « réformasse », un véritable cataclysme plutôt coupable d’aggraver une situation de crise que capable de l’améliorer.
Qu’en est-il du projet et dans quelle mesure impacte-t-il les écoles non concernées par les rotations (deux classes, une le matin, l’autre l’après-midi, pour une même salle) ? Notre école de référence se situe à Sada.
1) La semaine de 24 heures sur cinq jours avec 5 h 30 au maximum par jour.
Mayotte répond déjà à cette norme sauf pour le mercredi qui est un jour comme les autres.
2) Passer de 144 jours à 180 jours de classe.
Mayotte, plus avancée en cela que la métropole, compte déjà 175 jours de classe, il suffirait d’ajouter une semaine pour entrer dans le cadre légal.
3) Prise en charge jusqu’à 16h 30 avec pause méridienne d’au moins 1h 30.
C’est sur ce point que la réforme amène le vice-rectorat à imposer une journée de classe type :
*de 7 à 10h 30 le matin x 5 j = 17h 30 minutes
* la pause de midi jusqu’à 13h et les cours de l’après-midi :
* de 13 à 15h 10 sauf le mercredi et à 15 h le vendredi = 8h 30 minutes ?
Sauf qu’en comptant 1 h d’Activités Pédagogiques Complémentaires pour tous alors que les enfants en difficulté sont en théorie prioritaires on arrive à 25 heures de cours pour la semaine. Bien qu’en contradiction avec les propos du ministre, on peut estimer, jusque là, qu’1 h supplémentaire par semaine ne ferait pas de mal aux enfants mais qu’en est-il du service des enseignants ?
Concernant la pause, est-ce pour faire plaisir au dit ministre (et dans une pure tradition jacobine) que toutes les écoles de France de Navarre et d’Outre-mer doivent se soumettre aux mêmes impératifs alors que les contraintes notamment de moyens ainsi que climatiques, varient du tout au tout. En fonction de la situation indigente de l’enseignement à Mayotte et du climat qui prévaut dans la zone, nos enfants seront donc obligés de manger sous plus de 40° au soleil ou sous la pluie et les trombes de la saison cycclonique, dans la poussière de septembre ou la boue de février sinon dans la classe dont la destination première n’est pas d’être une salle à manger. Ne parlons pas du soulagement que pourraient apporter des ventilateurs en panne et des systèmes de climatisation inexistants... Et comment la commune assumera-t-elle la collation (ne parlons pas de restauration scolaire) ? Certainement que les parents auront à payer pour des « repas » apportés dans un camion-benne puisque c’est ce qui se passe à Bandraboua où des édiles (peut-être serviles envers le pouvoir en place) ont embrayé sur la réforme, la fleur au stylo ! Quant au soulagement naturel du corps, avec des wc innommables où de nombreux enfants se retiennent d’aller, que se passera-t-il lorsque lesdits enfants seront tenus de rester deux heures et demie de plus par jour. Le ministre a beau jeu d’affirmer "Il ne s'agit pas simplement de revenir à la semaine de 4,5 jours", abandonnée en 2008. Il s'agit surtout de "réduire la journée de classe".
Dans ces conditions, pas un parent d’élève ne peut accepter une réforme venant mettre à mal les fragiles acquis éducatifs actuels et dont les méfaits sont proportionnellement inverses aux bénéfices escomptés !
Quant aux élus, espérons qu’ils resteront raisonnables, pour des progrès à petits pas plutôt que pour un grand saut qui retomberait mal. Le ministre, lui, est bien malvenu d’imposer un chambardement trop rapide, trop fort, trop cher, trop ambigu et manquant pour le moins de sincérité.
Bizarre la présentation de la loi avec en « Annexe » un constat de fond mais orienté surtout sur le dé-tricotage de ce qu’a fait la droite, presque une profession de foi préélectorale. Bizarre, bizarre qu’une réforme de cette ampleur ne se traduise que par un décret et non une loi qui elle est inattaquable... Le gouvernement aurait-il accouché d’une souris ? Plus étrange encore, l’élément censément essentiel (1), le PET-PEDT, le fameux projet pour lequel on force la main aux communes, est présenté à part, par une circulaire qui ne semble, vu les termes employés et bien que jointe, sous le décret, dans les « Textes de référence », ne rien avoir d’impératif :
« Le projet éducatif territorial (PEDT), mentionné à l’article D. 521-12 du code de l’éducation, formalise une démarche permettant aux collectivités territoriales volontaires de proposer à chaque enfant un parcours éducatif cohérent et de qualité avant, pendant et après l’école, organisant ainsi, dans le respect des compétences de chacun, la complémentarité des temps éducatifs. »
Toujours sur une page du ministère : « Le projet éducatif territorial une politique locale partenariale au cœur de la réforme des rythmes scolaires.
Le projet de loi pour la refondation de l’École prévoit que les activités périscolaires prolongeant le service public de l’éducation peuvent être organisées dans le cadre d’un projet éducatif territorial (PEDT)... /... L’élaboration d’un PEDT doit ainsi permettre de structurer... » passons sur le blabla de circonstance.
L’État s’embarrasserait-il d’une telle courtoisie si la circulaire valait texte de loi ?
Même si tout semble fait pour satisfaire à la constitutionnalité, les élus qui ne se laisseront pas impressionner par l’esbroufe ne sont donc tenus qu’aux charges induites par le changement d’horaires, à savoir la prise en charge de la pause « méridienne » en métropole, ce qui est impossible ici, au vu de ce que vit Mayotte ! Gageons que les maires sauront résister à un autoritarisme latent (malgré une empathie de façade), aux flatteries ainsi qu’à l’intéressement promis... pour deux ans seulement. Ils sont bien placés pour savoir que l’État a des idées pour lesquelles eux, auront à payer, décentralisation oblige. A Bandraboua, La commune devrait toucher 225000 euros alors que le coût de la réforme est estimé à 500000 euros soit plus du double !
Et si le flou juridique retient de se prononcer sur le fond, les élus peuvent demander des dérogations, dans le respect de la loi, serait-elle mal présentée et floue sinon douteuse. Ces dérogations porteraient sur un PET-PEDT limité, à la charge des mairies, inapproprié au vu des priorités urgentes et impossible à mettre en place en tant que collation « méridienne ». Point barre.
Par ailleurs, élus et parents se doivent de relever les conditions particulières faites par la loi à Mayotte à savoir l’inégalité flagrante de traitement malgré les belles paroles. Par exemple, qu’en est-il des dispositions de l’article L 541-1 modifié qui institue le contrôle médical et préventif en matière de santé et de dépistages. Morceau choisi :
« Au cours de la sixième année, une visite comprenant un dépistage des troubles spécifiques du langage et de l'apprentissage est organisée. Les médecins de l'éducation nationale travaillent en lien avec l'équipe éducative, les professionnels de santé et les parents, afin que, pour chaque enfant, une prise en charge et un suivi adaptés soient réalisés suite à ces visites. »
Plus grave, le surréalisme est dépassé lorsque les vœux pieux sont rayés d’un trait par la mention « Applicable à Mayotte ».(manière plus subtile de refuser qui nous change de l’habituel « Non applicable à Mayotte » !). Il en va ainsi de l’avant-dernier alinéa de l’Article 8, section 1, chapitre 1, de la LOI (cette fois) n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, APPLICABLE à Mayotte :
« Dans les classes enfantines ou les écoles maternelles, les enfants peuvent être accueillis dès l'âge de deux ans révolus dans des conditions éducatives et pédagogiques adaptées à leur âge visant leur développement moteur, sensoriel et cognitif, précisées par le ministre chargé de l'éducation nationale. Cet accueil donne lieu à un dialogue avec les familles. Il est organisé en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne et dans les régions d'outre-mer. »
A contrario, le dernier alinéa, lui, ne donne pas à s’appliquer :
« Dans ces classes et ces écoles, les enfants de moins de trois ans sont comptabilisés dans les prévisions d'effectifs d'élèves pour la rentrée. »
Comme par hasard, oui aux devoirs, oui aux obligations et non aux moyens pour y faire face : nos enfants, en l’occurrence, étant moins égaux et légitimes que d’autres sur le sol de notre belle France !
En tout état de cause, référons-nous à la prudence d’un premier ministre "prometteur" qui musela un temps Mayotte d’un « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ! » (J. Chirac).
En ce domaine, rappelons certaines positions, même si elles posent question, du plus concerné à Mayotte, après le préfet : "L’emploi du temps est extrêmement contraint", reconnaît le vice-recteur, avouant que Mayotte est "hors sujet quant au débat sur les rythmes scolaires". (François-Marie Perrin cité dans l’Alsace à propos de la départementalisation / avril 2011, l’ancien vice-recteur de Mayotte, celui qui pérorait, feignant d’ignorer complètement les effets de l’immigration clandestine, que le rythme des constructions scolaires ne pourrait suivre celui des utérus des Mahoraises. Son profil Linkedin nous apprend qu’aujourd’hui il est seulement DASEN (Directeur Académique des Services de l’EN de Saône-et-Loire) chargé de finaliser les horaires consécutifs à la réforme qui nous préoccupe, justement).
D’un point de vue plus général, en tant qu’"éleccicons" (électeurs-citoyens-contribuables), et s’il faut nous garder de la synergie néfaste d’une oligarchie farouchement jacobine (décideurs, politiques, hauts fonctionnaires) ainsi que du package malhonnête (2) fourgué par le ministre, tant sur le contenu que du montage disparate de la loi (3), en attendant qu’un juriste nous décripte le chamboulement, nous sommes en droit, alors que des élections locales approchent, de faire dire aux candidats quelles répercussions la "loi-décret-circulaire" aura sur les finances communales et la hausse d’impôts locaux qui en découlera une fois que la petite carotte mise en avant par le gouvernement disparaîtra (à la rentrée 2015, rappelons-le !). C’est bien la plus petite parcelle de pouvoir qui nous reste dans notre monarchie si peu républicaine et très centralisatrice pour ne pas dire centripète à propos de ceux qui avancent le PET tout en n’osant que l’acronyme PEDT ! En toute prétention, je vous propose le mien de PET, en tant qu'amendement inédit annulant le reste : l'heure d'étude après la classe...
(1) « La réforme des rythmes doit agir comme un levier pour faire évoluer le fonctionnement de l'école autour d'un projet éducatif territorial et doit conduire à mieux articuler le temps scolaire et les temps périscolaires et extrascolaires et, par conséquent, à coordonner les actions de l'Etat, des collectivités territoriales et des organismes œuvrant dans le champ éducatif. »
L’essentiel n’est donc plus porté par les enseignants et si l’école semble vouloir s’ouvrir vers l’extérieur, les parents sont pour le moins ignorés. C’est du n’importe quoi et nous le devons à ces hauts fonctionnaires inamovibles, ces éminences dans l’ombre des ministères, représentant, à ce stade, un État dans l’État, un levier aussi illégal qu’inacceptable sur le devenir institutionnel du pays ! A mon humble avis de béotien, le manque de sincérité touche à la tromperie.
(2) package = services vendus ensemble et ne pouvant être séparés, proposés notamment par les banques soucieuses de noyer un service utile au milieu de gadgets fourgués avec, gadgets dont le seul mérite est de faire monter la facture.
(3) Dit en "annexe" « La loi d'orientation et de programmation constitue une étape majeure de la refondation de l'école, qui a été érigée en priorité par la nation.Elle doit être complétée par de nombreuses autres actions qui relèvent de réformes et de dispositions non législatives. » ???
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