Romantique et mystérieux : le Temple de Lanleff

Nombreux sont les visiteurs des Côtes d’Armor qui, entre Plérin et Paimpol, viennent admirer les superbes et contrastés paysages de la Côte du Goëlo, d’où partaient naguère les pêcheurs d’Islande pour de longues et rudes campagnes sur les bancs de morues. Parmi ces touristes, bien peu connaissent l’étonnant Temple de Lanleff. Il n’est pourtant situé qu’à une dizaine de kilomètres des spectaculaires falaises de Plouha et de la célèbre plage Bonaparte*...
Curieux lieu de culte que ce Temple de Lanleff. Principalement construit en grès, exception faite de quelques parements en granit et en spilite (une roche volcanique), ce monument de style roman est constitué de deux cercles concentriques comme on n’en voit nulle part ailleurs en France si l’on excepte quatre autres églises** dont les rotondes présentent des analogies avec le monument du Goëlo. Le premier cercle du Temple de Lanleff comporte 12 piliers carrés, chacun flanqué de 4 colonnes engagées, et 12 arcades en plein cintre. Le second cercle – un mur d’enceinte percé de fenêtres en forme de meurtrières –, comporterait 16 piliers s’il n’avait été amputé au fil du temps d’environ un tiers de sa circonférence, à la suite notamment d’un effondrement consécutif à des fouilles entreprises en 1856. Entre ces deux cercles court un déambulatoire partiellement couvert qui dessert deux absidioles en cul-de-four encore présentes sur les trois qui existaient autrefois comme en témoignent les documents anciens.
Aucune voûte ne couronne le Temple de Lanleff. Sans doute n’a-t-il jamais été surmonté d’une coupole en pierre si l’on en juge par l’absence des contreforts qu’aurait nécessité le poids d’une telle voûte. Le plus probable est que le Temple – en réalité une ancienne église dédiée à Sainte-Marie – ait été coiffé d’une charpente en bois couverte de tuiles ou d’ardoises. Autrement dit par des matériaux qui ont très probablement disparu à l’occasion d’un incendie. Et cela il y a fort longtemps : au cœur du Temple était autrefois planté un grand if dont les branches et le feuillage assuraient une forme de couverture à l’édifice, ce qui ne manquait pas de lui conférer un charme romantique dont témoignent les gravures de l’époque. Le plus étonnant est que cet if se soit développé après la construction – à la fin du 15e siècle – d’une chapelle attenante au Temple, réduit par cet ajout à l’état de vestibule. Vieux de trois-cents ans, l’if a disparu au même moment que la chapelle, lui abattu par les haches, elle détruite par les pioches en 1855 pour redonner au lieu son aspect d’origine, le culte ayant été transféré dans une nouvelle église, l’actuelle Notre-Dame.
De quand date cet édifice que l’on a longtemps cru d’origine païenne et qui a tant fait travailler les imaginations de nos aïeux lors des siècles passés ? On a parlé de temple gaulois, de temple romain, de lieu de culte solaire, de baptistère carolingien, et même de temple saxon. On a également évoqué des origines celtiques et une vocation druidique. Et l’on a évidemment attribué la construction de ce monument aux…Templiers, d’où son appellation de « temple ». En réalité, rien de tout cela ne résiste à l’étude architecturale et à la plongée dans les documents historiques de cette « trêve » de la paroisse de Lanloup. Le Temple de Lanleff n’est autre qu’un lieu de culte chrétien dont le style roman archaïque atteste qu’il est très ancien, ce que confirment les dessins et les sculptures rudimentaires*** qui ornent les chapiteaux des colonnes. Et de fait, cet édifice, déjà mentionné dans une charte notariale de 1148, a très probablement été bâti au cours du 11e siècle sur le modèle du Saint-Sépulcre de Jérusalem dont la structure en rotonde a essaimé en de nombreux lieux de la chrétienté.
Le mystère du Temple de Lanleff étant levé, le merveilleux n’est pas absent du site pour autant. Comme chacun sait, la Bretagne est une terre de légendes. Or, l’une de ces légendes est attachée à la fontaine attenante à ce lieu de culte insolite. Impossible de quitter le village de Lanleff sans découvrir cette édifiante histoire dont l’héroïne est tantôt une miséreuse, tantôt une sorcière, selon les versions qui sont portées par les eaux du Leff ou l’inspiration du conteur :
Il y a bien longtemps, une femme indigente et laide vivait dans la vallée du Leff. Elle était si misérable qu’elle était vêtue de haillons et ne mangeait qu’une fois par jour une bolée de bouillie de fèves. Elle était si vilaine que l’on se détournait d’elle comme si sa laideur pouvait atteindre ceux qui la regardaient. Or, cette femme avait un enfant en bas âge, une bouche qu’elle ne parvenait pas à nourrir et qui lui pesait. Laide au physique, cette femme l’était également dans sa tête. Dieu étant resté sourd à ses prières, elle fit appel au Diable pour qu’il lui vienne en aide. Satan saisit l’opportunité : instruit de la cupidité de cette mère, il lui proposa d’échanger son enfant contre 12 pièces d’or. Le marché conclu, le Diable emporta l’enfant après avoir déposé les pièces d’or sur les dalles de granit de la fontaine de Lanleff. Avec avidité, la femme se précipita sur les pièces pour les saisir. Mal lui en prit, celles-ci sortaient tout droit des terribles feux de l’Enfer, et la mère indigne se brûla gravement les doigts tandis que résonnait sur les murs du Temple l’écho du rire démoniaque de Satan. Presqu’aussitôt, les pièces s’incrustèrent dans le granit de la fontaine et disparurent à la vue des humains.
On raconte toutefois, dans le pays de Lanleff, que les pièces sont toujours là et qu’il suffit de mouiller la pierre pour les voir réapparaître, étincelantes et tentatrices. Mais gare à celui qui tenterait de les saisir…
* Bonaparte n’a jamais rien eu à voir avec cette plage de la commune de Lanloup. Avant d’être ainsi rebaptisée par la Résistance bretonne, cette plage se nommait l’Anse Cochat. Grâce à l’action du réseau Shelburn, c’est de ce lieu que 135 aviateurs alliés et 7 agents de renseignement ont pu être exfiltrés vers l’Angleterre.
** Église Sainte-Croix de Quimperlé (Finistère), église Saint-Étienne de Neuvy-Saint-Sépulchre (Indre), église Saint-Bonnet de Saint-Bonnet-la-Rivière (Corrèze), église de l’Assomption de Rieux-Minervois (Aude).
*** L’un des chapiteaux sculptés représente un homme nu aux mains démesurées qui ne comportent que 4 doigts. Les experts pensent qu’il s’agit d’Adam.
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