Macron-Benalla : « venir chercher » le président de la République ?
Macron-Benalla : « Venir chercher » le président de la République ?
Derrière les gaffes de diverses personnalités du pouvoir exécutif ou des membres de leurs cabinets, qui s’enchaînent presque à la cadence de celles commises par François Pignon dans un film célèbre (1) se pose en réalité la très sérieuse question du statut du président de la République.
Surtout après que le président de la République, mettant d’un ton déterminé et emprunt d’humour un terme à la cacophonie … (et en fait à l’utilité des investigations des commissions parlementaires qui se sont saisies de « l’affaire Benalla-Macron »), a martelé (ce mardi 24 juillet 2018) que s’il y avait un responsable … c’était lui. Et que ceux qui voulaient un responsable n’avaient « qu’à venir le chercher ».
Comme le texte constitutionnel actuellement en vigueur met le président de la République à l’abri de toute recherche de « responsabilité » (la « destitution » de l’article 68 ne permettant pas aux institutions de la République de « venir le chercher »), se pose la question de la réforme dudit texte.
Ce qui fait l’objet des observations qui suivent.
Surtout que depuis 1958, si le texte constitutionnel est le même (sauf là où il a reçu des coups de canif ) les gens et les choses ont changé. Profondément.
En 1958, le général de Gaulle, n’était pas intéressé par l’argent. Pour lui le respect de la France et de son histoire primait sur le reste. La politique intérieure n’avait pas à se faire « à la corbeille ».
Les juristes du général de Gaulle fabriquèrent une constitution en vue de permettre à ce dernier d’essayer (ils n’étaient pas certains que « ça marche ») d’imposer une ligne sur l’avenir et sur les intérêts fondamentaux du pays. Sans devoir (continuer à) subir les manœuvres des lobbys en cheville avec les parlementaires. Et sans que la composition et la survie du gouvernement ne continuent à dépendre des intérêts de carrière des chefs et des sous-chefs de partis.
Le président pouvait jouer du peuple contre les « combinards » (référendum et élection du président au suffrage universel direct dès que cela fut possible). Et diverses dispositions (relevant en réalité techniquement des règlements des assemblées) furent placées dans la constitution. Pour que le conseil des ministres n’ait plus le comportement d’un conseil syndical de leaders des partis politiques. Et pour que les réformes qui devaient être faites, le soient (par la loi ou par ordonnances) dès lors qu’elles ne suscitaient pas un rejet majoritaire de la part des parlementaires (2).
Il se trouve que les résultats dépassèrent les espoirs du général de Gaulle.
Le chef de l’Etat n’eut plus à veiller au bon fonctionnement des pouvoirs publics. Qui se mirent à tourner tout seuls. Ni à faire en sorte de sauver l’essentiel en dépit des intrigues politiciennes. Puisque c’est celui qui (plus malin ou mieux financé que les autres) a réussi entrer à l’Elysée, qui est à la manœuvre sur tout, et parfois dans les moindres détails. Les ministres n’étant plus que des faire valoir. Le Premier Ministre, ayant de son côté définitivement quitté l’habit de président du conseil, pour endosser la livrée du premier des gens de la maison présidentielle.
Une majorité parlementaire se dégagea régulièrement (qu’elle fut d’un bord ou d’un autre) dont le rôle ne fut plus ni de représenter les électeurs ni de contrôler la politique, mais d’applaudir le chef de l’Etat surtout que les investitures sont décidées dans son entourage quand ce n’est pas par lui.
Et l’on vit s’installer à l’Elysée des personnes qui n’eurent de cesse de mettre leurs compétences constitutionnelles et leur ascendant sur la classe politicienne, au service de conceptions exactement opposées à celles du général de Gaulle.
Ce dernier annonçait qu’avec lui, la politique de la France ne se ferait pas à la corbeille … Ses successeurs ont fait en sorte, en signant divers traités et en faisant voter diverses lois, que ce soit dorénavant les banquiers et les marchés financiers qui la définissent. D’autant plus facilement que certains venaient des affaires ou de la banque et/ou ne manifestaient nulle inappétence pour l’argent.
Le général de Gaulle voulait l’indépendance de la France… Ses successeurs placèrent et maintinrent le Pays sous commandement militaire américain. Ou vendirent, aux mêmes, les entreprises qui fournissaient des pièces détachées à certains de nos matériels militaires.
Et voilà que l’affaire Macron-Benalla en « rajoute ». M. Macron recrute une personne, dont la profession d’origine semble avoir été celle de garde du corps. Et l’on constate que cette personne jouit en conséquence, d’une situation qui sort de l’ordinaire pour un membre de cette profession. Et, pour couronner le tout, qui va faire le coup de poing contre des manifestants. Faits que l’on apprend, non des autorités constituées, qui semble avoir été paralysés ou s’être auto-paralysées, mais par des journalistes qui mettent sur la place publique des vidéos qui interpellent.
Nous ne comparerons évidemment ni la France à une république bananière, ni M. Benalla aux employés de certains Etats, notamment d’Amérique du sud, qui, leur service achevé, vont casser de l’opposant ou vont faire du nettoyage extra judiciaire…
… Mais nous pensons que pour que la République soit « inaltérable », il ne suffit que cela soit proclamé. Il faut que des garde-fous existent ou soient mis en place pour qu’elle le soit dans les faits.
Ces garde-fous (qui n’avaient d’ailleurs pas lieu d’être avec le général de Gaulle ) n’existent en réalité pas. Or les faits et diverses déclarations (v. ci-dessus) viennent d’enseigner que ces garde-fous sont devenus nécessaires et urgents. Dans le domaine du contrôle politique et dans celui de la responsabilité pénale du chef de l’Etat.
1/ Pour la responsabilité politique du premier décideur :
On peut conserver l’article 49 (l’article 49 a fait ses preuves puisque les parlementaires n’ont plus renversé le gouvernement pout récupérer les maroquins de leurs copains) et en étendre l’application au président de la République. Puisque c’est ce dernier et non le gouvernement qui détermine toute la politique. Etant entendu que ce dernier peut, en plus, démissionner, s’il s’estime désavoué par les Français, notamment à l’occasion d’une votation populaire : référendum (comme l’a fait le général de Gaulle en 1969) ; ou d’élections législatives ( comme ne l’ont pas fait les présidents Mitterrand et Chirac).
2/ Pour certains comportements personnels (3) :
les dispositions de la constitution sur la responsabilité du président de la République ont montré qu’ils ne donnaient pas satisfaction puisqu’il permettaient des errements (ou ne les empêchaient pas). On doit donc les abroger. Et soumettre (avant que ce ne soit trop tard pour le faire efficacement) le président de la République (4) à la même loi pénale et aux mêmes juridictions que les autres Français . Etant constaté que la menace pénale qui pèse sur les autres élus et sur les fonctionnaires n’empêche pas ces derniers d’agir et ne les expose pas à des procédures abusives des citoyens ou des juges.
La loi constitutionnelle (5), qui intégrerait ces préoccupations, pourrait être rédigée ainsi :
Art 1er Les titres IX et X de la constitution sont abrogés.
Art 2. Le premier alinéa de l’article 2 est rédigé comme suit : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, DE FONCTIONS, de race ou de religion.
Art 3. L’article 49 est complété comme suit. « La responsabilité politique du président de la République est mise en cause selon les dispositions du premier et du deuxième alinéas du présent article. Une même motion de censure peut engager simultanément la responsabilité du président de la République et celle du gouvernement ».
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités.
(1) « le dîner de cons ». Film de Francis Veber sorti en 1988, qui a repris la pièce de théâtre du même.
(2) Sur ces questions, voir notre ouvrage ; « textes et documents constitutionnels depuis 1958. Analyses et commentaires. (Dalloz-Armand Colin).
(3) on fait croire que dès lors que le président est élu, ce qu’il fait est légitime. Et que la légitimité de la décision est encore plus forte lorsque la décision est la mise en œuvre d’une promesse de campagne électorale. C’est une absurdité grossière dont on peut prendre la mesure avec l’exemple suivant : qu’un candidat annonce qu’il s’en prendra à tel groupe de personnes, ne rend évidemment pas légitimes (comme le révèlent les juges dès qu’ils le peuvent) les exactions et les crimes qui peuvent être commis par l’élu. NB. Cette constatation peut être transposée et s’appliquer à tous les domaines.
(4) et dans la même logique, les ministres. Et les parlementaires pour ce qui leur reste de « privilèges » ; ce qui suppose d’autres modifications – qui dépassent l’objet de notre propos- du texte de la constitution.
(5) que les historiens reliraient probablement, selon leur habitude, à l’affaire en cours.
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